Pour Radhi Meddeb, chef d'entreprise et économiste, personnalité éminente de la société civile tunisienne, son pays ne saurait rester seul dans la guerre contre l'obscurantisme criminel.
L'Europe, en particulier, doit exprimer haut et fort sa solidarité et son soutien à la Tunisie et à son peuple. Voici pourquoi et comment.
La Tunisie vient de vivre un drame sans précédent : le terrorisme a frappé lâchement et aveuglément. Des victimes innocentes sont tombées sous les balles de la haine, de la violence et de l'intolérance. Ce multiple assassinat, commis froidement et dans un haut lieu de la culture et de l'Histoire témoigne, si besoin était, du projet destructeur de ces fanatiques endoctrinés et de la haine qu'ils portent à tous les attributs de la modernité et de l'intelligence.
Par la violence et l'absurdité de leurs actes, ils ont voulu porter un coup fatal au processus de transition politique de la Tunisie, processus que le monde entier a salué avec admiration et respect. Ils ont voulu bloquer la transition économique qui aurait donné réconfort et légitimité à la transition politique. L'attaque de touristes est fortement symbolique du rejet par ces criminels de toute forme d'ouverture économique et culturelle. Le choix délibéré du lieu est un rappel des accointances de ces terroristes avec leurs inspirateurs rétrogrades : talibans d'hier, État islamique et Boko Haram d'aujourd'hui.
La Tunisie n'est pas seule à faire face à cette guerre contre l'obscurantisme et la bêtise. Cette guerre est globale. Elle oppose, à l'échelle planétaire, le camp des terroristes, trafiquants et fanatiques à celui des porteurs de modernité, d'ouverture, de respect des droits humains, de démocratie et de dialogue des cultures.
Plus que jamais, cette guerre nous rappelle la communauté de nos sorts, la similitude de nos destins. Face à de tels problèmes globaux, seules des solutions globales seraient à même de faire avancer la paix, la stabilité et la prospérité partagée.
La Tunisie a montré au monde sa capacité à identifier la voie politique, passant par le dialogue et le consensus. Le monde a salué sa démarche. Aujourd'hui, passé le temps de la révolte et de l'émotion, il est nécessaire que le monde et plus particulièrement l'Europe expriment haut et fort leur solidarité et leur soutien à la Tunisie et à son peuple.
Des mesures concrètes structurantes
Cette solidarité et ce soutien devraient aller au-delà des déclarations romantiques et des voeux pieux et prendre, pour une fois, le chemin de décisions fortes. Cela pourrait passer par :
- la mutualisation des moyens et l'échange d'informations entre les différents pays de la région dans une mobilisation conjointe et déterminée contre le terrorisme ;
- la mise en place, au profit de la Tunisie, d'un programme ambitieux de développement des infrastructures, cofinancé par la Banque européenne d'investissement (BEI), la Banque mondiale et ouvert aux fonds souverains du Golfe ;
- la mise en place au profit de la région d'une banque méditerranéenne de développement, constituée autour de la Femip, ouverte aux pays qui le souhaitent, destinée au financement des PME, à l'accompagnement des réformes nécessaires à la transformation des économies de la région et à la construction et au renforcement des capacités institutionnelles des pays bénéficiaires ; - la mise en place de programmes de jumelage entre administrations, secteurs économiques et sociaux de pays des deux rives de la Méditerranée, afin de favoriser et d'accélérer leur évolution et leur modernisation ;
- la mise en place d'une facilité de financement des activités de la société civile, de l'économie sociale et solidaire et des activités culturelles par un prélèvement à opérer systématiquement sur les montants de la coopération financière entre les deux zones
- la mise en place d'une structure permanente de dialogue et de concertation entre les acteurs politiques, sociaux et économiques de la région afin de favoriser la compréhension mutuelle, l'échange de connaissances et d'expériences et l'élaboration d'un projet sociétal partagé.
Des actions immédiates de soutien
À court terme et pour aider la Tunisie à se sortir de ses difficultés économiques, l'Europe devrait :
- lever, pour la campagne en cours, le quota imposé à l'huile d'olive tunisienne ;
- mettre en place une garantie d'un milliard d'euros par an, sur cinq ans, de la Banque centrale européenne pour le financement sur le marché des capitaux des besoins de développement de l'État tunisien ;
- convertir une partie substantielle de la dette extérieure de la Tunisie en investissements dans des partenariats publics-privés (PPP), parallèlement à l'engagement fort de la Tunisie en matière de réformes structurelles et d'assainissement de ses équilibres macroéconomiques ;
- étendre le bénéfice du programme d'échange Erasmus aux étudiants des universités tunisiennes ;
- mettre en place un fonds d'investissement eurotunisien pour financer les partenariats et colocalisations des entreprises européennes en Tunisie et tunisiennes en Europe.
Une démarche volontaire et audacieuse est nécessaire pour exprimer haut et fort la solidarité internationale à la Tunisie en ces temps d'adversité.
Cela est à la portée de l'Europe, pourrait influer positivement sur le processus politique et économique en cours en Tunisie et favoriser la paix et la sécurité dans l'ensemble de la région. Sachons être à la hauteur des enjeux et des défis de l'Histoire. Sachons rompre avec la fatalité du « Toujours trop peu, toujours trop tard !»
Radhi Meddeb est Président de l'Association Action et développement solidaire (ADS, Tunis) et Président de l'Institut de prospective économique de monde méditerranéen, (IPEMED, Paris).
Par Alfred Mignot - Source de l'article La Tribune
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