L’agence de rating Standard & Poor’s a confirmé le 15 novembre dernier la note souveraine BBB- attribué au Maroc avec perspective négative liée au déficit jumeaux ce qui révèle sa suspicion quant à l’avenir de l’économie marocaine. Au moins 2 grandes apostrophes interpellent le Maroc : booster l'offre exportable et rationaliser la demande afin de redorer son blason aux yeux des agences de notation.
La situation budgétaire du Maroc devient de plus en plus inquiétante. En effet, à l’appui des dernières statistiques portant l’autographe des économistes de la Direction du Trésor et des Finances extérieures relevant du Ministère de l’Économie et des Finances, la dette extérieure publique a atteint, au terme du premier semestre 2013, 215 milliards de DH, représentant plus de 42 % de la dette publique marocaine.
À l’antipode des autres pays qui empruntent par leur propre monnaie sur les marchés financiers internationaux, le Maroc se prête en devises clés (Euro et Dollar), ce qui pèsera d’un poids lourd sur ses avoirs extérieurs à l’échéance des remboursements.
Cette paracentèse sur les avoirs extérieurs à l’expiration de l’acquittement est de nature à éveiller des risques, scepticismes et soupçons aux yeux des agences de notation.
Aussi, cette hausse de la dette extérieure n’a pas baissé le voltage et la tension sur l’endettement intérieur qui continue à escalader en atteignant le montant de 400 milliards de DH depuis le début de 2013.
Cette envolée de la dette intérieure risque d’être continuelle à en croire les statistiques récentes de la Direction du Trésor des Finances extérieures qui estime que, pour le seul mois de novembre 2013, le Trésor a prévu de lever plus de 15 milliards de DH.
Il en découle que le trésor continue à être le premier emprunteur au niveau national et international.
D’où, deux corollaires économiques et financiers de taille :
- La première conséquence financière et monétaire est la ponction des liquidités sur le marché bancaire et monétaire, liquidités censées servir de financement le tissu économique marocain.
- Le second impact financier est la recrudescence des taux des obligations de l’État qui servent d’étalon de référence aux taux appliqués par les banques à l’économie.
À titre illustratif, les taux à 1 an de l’emprunt de l’État ont atteint 4 % contre 3,2 % en 2010 et les taux à 2 ans se situent désormais à 4,7 % contre 3,3 % en 2010.
La conjugaison de tous ces impacts économiques, financiers et monétaires laisse augurer que le Maroc risque une dégradation de sa note souveraine. D’ailleurs, l’agence de rating Standard & Poor’s a confirmé, le 15 novembre dernier, la note souveraine BBB- attribué au Maroc avec perspective négative liée essentiellement aux déficits jumeaux (budget et balance du compte courant) ; des déséquilibres des comptes extérieurs qui semblent s’inscrire dans la durée.
Depuis deux ans, le Maroc a connu un retournement de situation avec la perte de 8 milliards de dollars de devises en raison de l’envolée des cours du pétrole et la baisse de la demande en provenance d’Europe. Le trou de la balance des transactions courantes culmine à 8 % du PIB. Ni les recettes touristiques, ni les envois des fonds de MRE, ni les recettes au titre des Investissements Directs Etrangers n’arrivent plus à combler ce déficit, rognant les réserves de changes estimées actuellement à un peu plus de 3,5 mois d’importations.
Par ailleurs, les risques qui peuvent impacter la notation souveraine du Maroc concernent les incertitudes liées au chômage élevé des jeunes diplômés, les remous sociaux persistants, et la réduction des subventions qui pourrait secréter d’impopulaires fortes hausses de prix.
La défloraison et la dégradation de la note souveraine traduisent, somme toute, la méfiance et la suspicion des agences de notation quant à l’avenir de l’économie marocaine et ses perspectives de reprise de la dynamique économique et sociale.
À cet égard, au moins deux grands challenges apostrophent (offre et demande) le Maroc pour s’insérer dans la dynamique de l’économique internationale. À notre avis, ce sont, entre autres, ces deux grands défis qui vont permettre d’inscrire le Maroc dans la trajectoire de l’économie mondiale, atténuer le gouffre de la dépense publique et par ricochet redorer son blason aux yeux des agences de notation.
- Le premier grand chantier se situe au niveau de l’offre :
Sur ce plan structurel, l’offre marocaine demeure inélastique, peu diversifiée et peu compétitive, rend la demande étrangère hypersensible à la concurrence féroce des pays émergents qui demeurent plus agressifs que nous. D’ailleurs, les exportations du Maroc n’ont cessé de s’atrophier depuis 2011 avant d’accuser une baisse de 6,5 % en février 2013 puis de 4,7 % en mars 2013. Le contexte économique européen explique en partie cette chute, puisque l’Europe absorbe en moyenne 60 % des exportations marocaines.
Les mauvaises prouesses commerciales du Maroc découlent, par ailleurs, de facteurs structurels étant donné que l’offre marocaine est constituée de produits à faible valeur ajoutée, pour lesquels l’industrie marocaine n’est pas compétitive.
En effet, à l’appui des statistiques récentes de l’Office de Changes, la structure des exportations marocaines dévoile une spécialisation dans des produits à faible contenu technologique : entre 2007 et 2013, le Maroc a exporté principalement des produits d’origine minérale bruts et semi-finis (phosphate, zinc, plomb et cuivre), de l’habillement (vêtements, bonneterie, chaussures), des produits agroalimentaires (produits de la mer, agrumes).
En sus, la compétitivité extérieure du Maroc ne cesse de s’éroder en raison de la faible productivité du travail. Pour preuve, les investissements marocains restent encore figés et confinés sur des secteurs comme le bâtiment et les travaux publics, dont les corollaires en matière cognitive et de productivité du travail, sont très limités.
À ce titre, moult défis interpellent l’industrie marocaine à savoir :
- Le développement de nouvelles filières à forte valeur ajoutée, tournées vers l’export tout en réorientant l’offre marocaine vers des produits à fort contenu technologique avec les conditions sine qua non de :
- L’amélioration de la qualité des produits : c’est une condition inéluctable pour fidéliser les clients et attirer les prospects. En outre, même dans une situation de crise, les produits de bonne qualité continuent à capter les marchés extérieurs. À cet égard, il est impératif que la politique commerciale s’engrène avec la politique industrielle en augmentant le taux d’intégration des filières de production en amont, en aval et en au niveau intermédiaire.
- En amont : c’est le design, le stylisme, le modélisme, la créativité,
- En aval : il s’agit de développer les techniques du Marketing,
- En niveau intermédiaire : il s’agit de développer les techniques de production à tous les stades de la chaine de valeur et de maitriser les nouvelles technologies.
- Le respecter les délais : les marchés extérieurs sont intraitables, car ils exigent d’être livrés dans délais très pointus, voir même "minutés". Il va sans dire que cela suppose de la part des exportateurs marocains une excellente maîtrise de la capacité de production, de la gestion des stocks et de l’organisation en logistique de livraison.
- Le respect des normes et les standards internationaux : les marchés étrangers exigent des normes et des standards admis sur le plan international répondant à des impératifs de sécurité et de respect de l’environnement.
- La diversification des produits : la diversification permet d’éviter les risques d’arrêt des commandes sur un seul produit suite à plusieurs mobiles : effets de mode, obsolescence, concurrence. Par ailleurs, les exportateurs, en diversifiant leurs produits, augmentent leur chiffre d’affaires et rentabilisent leur outil de production.
- Une politique agricole cohérente qui permettra d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Une telle intensification de politique verte permettra d’atténuer l’importation des céréales, sucre, huile végétale qui pèsent d’un poids lourd sur l’équilibre de la balance commerciale.
- Une politique de recherche énergétique, pétrolière et gazière afin de réduire ce poste à l’importation.
Les investissements étrangers pourraient accompagner une telle mutation à l’instar de la Tunisie, d’autant que le Maroc bénéficie déjà d’une certaine attractivité dont l’investissement direct étranger est en constante progression. Cependant, il bénéficie peu à l’industrie et reste pour une large part un investissement improductif, dirigé et confiné principalement sur le secteur immobilier.
Ces gisements amélioreront, à terme, la qualité et la compétitivité de l’offre marocaine ce qui est censé permettre une reprise des exportations.
Le second chantier se situe du côté de la demande : la politique de soutien à la consommation menée par les autorités n’est cependant pas sans conséquence.
Deux sources d’inquiétude pèsent aujourd’hui sur l’économie marocaine :
- La forte dégradation des finances publiques : Cette politique de soutien à la consommation a bien fonctionné avec des dépenses des ménages qui contribuent largement à la croissance du PIB depuis 2011. En revanche, les finances publiques se sont nettement dégradées. Positif en 2008, le solde budgétaire a beaucoup diminué pour atteindre 7,5 % du PIB en 2012. Le FMI table néanmoins sur une réduction du déficit public en 2013 à -5,5 % du PIB en 2013. Les autorités marocaines promettent quant à elles de réduire ce déficit à 3 % du PIB d’ici 2016.
- La stimulation de la demande est également en partie à l’origine de l’augmentation rapide des importations. La hausse des prix des matières premières en est le principal facteur explicatif où Le Maroc importe en majorité du blé, du pétrole brut, du charbon et des biens d’équipement industriel.
Il en découle que l’augmentation rapide des importations et la détérioration du solde de la balance commerciale creusent et plombent les déficits jumeaux grandissants.
Le déficit public s’est creusé jusqu’à atteindre 7,5 % du PIB en 2012. En conséquence, la dette publique a augmenté et s’établit à 59,6 % du PIB en 2012. En 2008, elle ne représentait que 48 % du PIB.
À cet égard, les actions devraient fondamentalement et foncièrement concerner la rationalisation des dépenses de gaspillage du secteur public notamment de consommation dont une grande partie génère d’énormes gaspillages et de veiller à une optimisation des recettes publiques, notamment à travers une amélioration du système de gouvernance et une lutte sans merci contre l’évasion et la fraude fiscales au lieu de peser lourdement sur la réduction des dépenses publiques d’investissement
En somme, des efforts laborieux pour améliorer la qualité et la compétitivité de l’offre marocaine devraient permettre une reprise des exportations. La rationalisation des dépenses publiques, la réduction du déficit public et une baisse des prix sur les marchés des matières premières sont propices à un ralentissement des importations.
Des mesures dans ces deux sens (amélioration de l’offre/réduction de la demande), si elles étaient effectivement mises en place, permettraient en théorie une réduction des déficits jumeaux, comme prévu par le FMI.
Le Team Benkirane, somme toute, devra apostropher l’offre exportable par un investissement technologiquement accru et mieux orienté, tout en interpellant la demande par des finances publiques mieux rationalisées. De ces deux apostrophes dépendra la note souveraine du Maroc.
Par Mustapha Maghriti (Docteur en Affaires Internationales Université Princeton New Jersey USA et Dr en Economie Internationale Faculté de Droit Rabat/Inspecteur de Finance )
- Source de l'article Les Echos
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