L'enjeu de l'électricité en Afrique est essentiel tant cette ressource manque au plus grand nombre. En faisant une comparaison avec les télécoms, le développement des smart grids, voire des microgrids est peut-être la solution attendue.
Les problèmes liés à l’électrification de l’Afrique sont assez semblables aujourd’hui à ceux des télécoms d’hier : questions de facturation, difficulté d’accès à une banque et précarité des adresses postales qui posent de sérieux problèmes pour mettre en place un système de recette fiable grands espaces désertiques ou peu denses empêchant le déploiement d’un réseau de distribution, etc.
Le besoin d’investissements et de normalisation est considérable puisque le réseau est largement incomplet et que certaines infrastructures datent de l’époque coloniale. Les smart grids pourraient être une solution en générant le même bond que les télécoms et en permettant de passer d’un réseau limité à un réseau à haute valeur ajoutée.
Smart et microgrids, quels intérêts ?
Le smart grid est un réseau où circulent en temps réel et de façon bidirectionnelle les informations relatives à son opération. Des mesures sont prises automatiquement sur l’ensemble du maillage afin que les acteurs de la chaîne (principalement les producteurs, distributeurs et consommateurs) aient accès aux informations et puissent agir pour l’optimisation de l’équilibre global et la maîtrise de la consommation. Ces informations simplifient la gestion des consommateurs, et permettent d’optimiser la maintenance ou de suivre le transport du produit à distribuer (souvent de l’électricité, mais le concept s’élargit au gaz et à l’eau).
En parallèle du développement de ces réseaux, une idée complémentaire émerge. Les opérateurs téléphoniques ne pouvant pas compter sur les distributeurs électriques pour proposer des solutions d’alimentation continue en énergie, ils équipent leurs antennes relais en groupes électrogènes, panneaux solaires ou autre générateur indépendant qui assurent le fonctionnement du réseau. Il est donc envisageable de profiter de ces générateurs pour fournir en électricité les environs immédiats de l’antenne. Ces micros réseaux (microgrids) sont indépendants, autonomes et facilement installables.
Toutes les sources d’énergie ne possèdent pas la même flexibilité quant à leur débit de production. Or comme l’électricité n’est pas stockable, il faut produire en temps réel et en adéquation avec la demande, donc s’adapter aux pics de consommation. En France, par exemple, le nucléaire assure la partie constante de la production alors que l’hydraulique (en particulier) assure sa partie variable. De cette manière, un smart grid permet d’adapter au mieux la production pour ne pas produire dans le vide et pour écrêter les pics.
Un autre problème récurrent à l’ensemble des fournisseurs africains est la facturation, en plus de la question de la bancarisation. Qu’il s’agisse de piratages du réseau, de paiements non exigés ou de compteurs trafiqués, le manque à gagner est considérable. Une étude de la Banque Mondiale montre ainsi qu’environ 40 % des clients africains ne payent pas leurs factures. Là aussi, mieux maîtriser l’information est la clé. En utilisant des réseaux capables de détecter facilement et automatiquement la consommation de chacun, le système de prépayés devient une alternative intéressante. En récoltant les règlements en amont de la production, l’entreprise assure un service rentable et sécurisé.
Ce mécanisme a déjà fait ses preuves en Afrique du Sud et offre une alternative prometteuse pour les contrats de distribution de l’énergie. "Lors de l’électrification du bidonville de Khayelitsha, l’information qui remontait était très simple : si un client payait une quantité d’électricité une fois sans jamais revenir pour le recharger, cela pouvait signifier une fraude. Qui irait installer un compteur chez lui pour ne l’utiliser qu’une seule fois ?" explique Henri Boyé, ancien directeur EDF de la région Afrique. "Le prépayé est très bien rentré dans les mœurs en RSA".
Les smart grids faciliteraient considérablement le suivi individuel et permanent des clients, sans nécessiter systématiquement l’utilisation d’un compteur accessible au consommateur. Les microgrids, eux aussi, offrent des possibilités intéressantes : en assurant la proximité de chacun avec une source d’électricité unique, on aide à cibler le consommateur en fonction de la source associée. À chaque source est associée au mieux un usager, au pire une communauté ou un village. Cette bijection clarifie la situation, responsabilise les clients et favorise la protection des installations.
Par ailleurs, la densité africaine pose problème. Les disparités locales sont fortes : la Namibie, l’Algérie et le Centrafrique ont des densités inférieures à 10, alors que le Nigéria atteint 188 hbts. Ces grands espaces vides complexifient les projets d’électrification : un modèle de production très centralisé ne semble pas viable pour desservir les grandes régions désertes.
Là encore, ce challenge peut être relevé à l’aide des smart grids. Elles permettraient de masquer l’hétérogénéité d’un réseau et par conséquent de décentraliser la production. En divisant les sources d’électricité avec une combinaison de smart et microgrids, la distribution peut être assurée sur des régions plus vastes et moins peuplées. La production desservirait d’abord les environs immédiats, mais un surplus à un endroit pourrait éventuellement compenser un manque ailleurs.
Les smart grids posent cependant le problème de la sécurité des infrastructures électriques, qui peut rebuter les investisseurs : le cuivre est cher et attire quand il est facilement récupérable. Les lignes aériennes sont trop exposées et les lignes souterraines trop coûteuses. Les smart grids ne résolvent donc pas tout : un réseau électrique est avant tout un réseau filaire, par opposition au réseau de télécom mobile.
"S’il est vrai que les smart grids permettent de garder un œil sur le réseau et d’envoyer une équipe de sécurité lorsque des manipulations étranges se font remarquer, cela devient tout à fait inutile face à des tentatives de pur sabotage" selon Henri Boyé. De ce point de vue, les microgrids ont un réel avantage compétitif, car il n’est pas nécessaire de poser des axes de distribution sur l’ensemble du territoire : le maillage du territoire est optimisé puisque réparti d’abord localement. La distribution se fait dans les environs immédiats de la source d’énergie.
D’éventuels câbles d’interconnexion s’envisagent, mais de manière plus légère, afin d’assurer la communication des réseaux exclusivement pendant les pics et de compenser le besoin qui ne peut être produit localement.
Là encore, les microgrids s’imposent pour parvenir à mettre en place des réseaux de distribution électriques. La combinaison de smart et microgrids offre une technologie encore plus élaborée que les smart grids seules, pour l’électrification de l’Afrique rurale. Un parallèle avec les télécommunications s’impose pour parier sur un modèle de développement. Si le modèle africain de la téléphonie a sauté une étape – celle du fixe –, celui de la connexion à internet a lui aussi connu un saut quantique. Alors que la connexion en Europe est passée par les étapes de ligne téléphonique fixe, puis de l’ADSL, et enfin de la connexion mobile, le modèle africain est passé directement à la connexion mobile.
Des compétences internationales, des enjeux locaux
Un autre challenge pour les distributeurs correspond aux besoins d’investissements. Ces politiques de rénovation nécessitent de déployer des réseaux nouveaux et de redéfinir les technologies employées, donc de doubler les capitaux nécessaires.
La situation est loin d’être verrouillée : d’autres pays se sont déjà lancés dans ces investissements. La Chine, les États-Unis et l’Union européenne se disputent la position de premier investisseur dans le domaine des smart grids. En 2010, les pays de l’Union investissaient 5,71 milliards d’euros dans le secteur, la Chine 5,1 et les États-Unis 4,9 selon le Joint Research Center.
Par ailleurs, ces grandes puissances ont prouvé leur volonté de se pencher sur des projets de modernisation des réseaux électriques. En 2010, l’alliance Medgrid voyait le jour. Ce projet d’étude de lignes électriques à travers la Méditerranée permettrait un partage des ressources en énergies renouvelables disponibles en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et dans les pays européens. Ce projet constitue une tête de pont pour les entreprises européennes désireuses de s’aventurer sur les marchés africains.
Les Américains, de leur côté, se sont orientés directement vers l’Afrique Sub-Saharienne : à l’ouest au Ghana, au Libéria et au Nigéria ; à l’Est en Tanzanie et au Kenya. Au début du mois de juillet 2013, Barack Obama annonçait un projet d’électrification de ces pays à hauteur de 7 milliards de dollars, avec l’espoir de lever 9 milliards de fonds privés supplémentaires pour mener à bien ces opérations.
General Electric, en particulier, est attendu comme leader sur les chantiers à venir. La Chine, enfin, ne cache plus ses ambitions de conquête des marchés africains, dans le domaine de la distribution électrique comme sur d’autres fronts. Les capitaux étrangers ne manquent pas, mais comme pour les télécoms, les premiers arrivés seront les mieux servis.
Par ailleurs, certains marchés de développement des télécoms commencent déjà à atteindre leurs niveaux de maturité. L’ensemble de la population africaine n’est pourtant pas fourni : beaucoup sont encore dans des régions trop reculées pour avoir accès à l’électricité, donc pour pouvoir recharger leurs batteries régulièrement. Il y a fort à parier que les opérateurs pourraient être séduits à l’idée d’électrifier d’autres régions et d’élargir leurs marchés…
Attirer les investisseurs n’est pas le seul défi à relever pour voir bâtir un projet viable. Les durées de vie constatées par les distributeurs énergétiques le montrent : il n’est pas rare que des infrastructures atteignent 50 ans. Afin d’anticiper une hétérogénéité des réseaux bloquant toute possibilité de les interconnecter, il est indispensable de choisir des critères de normalisation prévenant de tout verrou technologique futur.
La difficulté est donc double : il faut trouver un organisme dont la légitimité est assez grande pour imposer ses décisions aux acteurs futurs, et que celui-ci soit capable d’anticiper sur les aspects clés des problématiques de demain. Qui pourra normaliser les réseaux ? Comment devra-t-il choisir ses normes ? Homogénéiser un continent entier où personne n’a encore pris une position de leader n’est pas chose facile.
Par Jean-Michel Huet, Franck Charlouty, Augustin Colas - Source de l'article les Echos
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