L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et l’Agence international de l’énergie (AIE) ont revu, au début du mois de décembre, à la hausse les prévisions de la demande mondiale de brut pour 2013 et 2014.
Dans une interview, parue dans les colonnes de L’Éco (n°79 / du 1er au 15 décembre 2013), Francis Perrin, directeur de la rédaction de Pétrole et Gaz Arabes, affirme que les principaux défis de l’Algérie, dans le domaine des hydrocarbures, sont le renouvellement des réserves, la forte croissance de la demande énergétique nationale et l’attraction des investissements étrangers.
L’Eco : L’OPEP et l’AIE ont publié leurs rapports annuels respectifs. Les deux organisations prévoient une demande pétrolière en hausse en 2013 et 2014. Quelle serait votre prévision ?
Francis Perrin : La demande pétrolière mondiale va augmenter en 2013, c’est à présent une certitude puisque nous sommes quasiment arrivés à la fin de cette année. Dans la mesure où 2013 a été une année difficile sur le plan économique, notamment du fait des crises au sein de la zone euro et de leurs répercussions sur la croissance économique mondiale et comme il est raisonnable de penser que 2014 sera une année un peu meilleure - ou moins mauvaise -, l’hypothèse d’une hausse modérée de la demande l’an prochain (2014, ndlr) me semble fort réaliste dans l’état actuel de nos informations. Les dernières projections de l’AIE sont une augmentation de la demande mondiale de 1 million de barils par jour (Mb/j) en 2013 et de 1,1 Mb/j en 2014 (soit +1,2% pour chacune de ces deux années) et celles de l’OPEP de +900 000 b/j et de +1,04 Mb/j. Selon l’AIE, la demande dépasserait alors 92 Mb/j, contre 91 Mb/j en 2013. Les chiffres publiés en novembre par ces deux organisations sont proches et assez prudents, l’OPEP étant souvent un peu plus réservée sur les perspectives de la demande. On ne peut d’ailleurs exclure une progression de la demande un peu plus forte l’an prochain.
Les deux organisations s’entendent à dire également que les prix du pétrole resteront élevés en dépit de la grisaille qui pointe encore sur l’économie européenne et américaine. Comment justifiez-vous ce pronostic ?
Sur les dix premiers mois de l’année 2013, le prix moyen du panier de référence de l’OPEP (une moyenne des prix de certains bruts des pays membres de cette organisation) s’établit à 105,79 dollars par baril. Le 20 novembre, au cours de la matinée, le prix à terme du Brent pour le mois de janvier 2014 était de 106-107 dollars/b environ. Certes, les cours du brut ont légèrement baissé, notamment du fait de l’abondance des stocks aux Etats-Unis, mais leur niveau reste élevé en dépit de la grisaille économique que vous évoquez à juste titre. Là encore, si l‘on accepte l’hypothèse, qui me semble juste, que 2014 sera une meilleure année que 2013, il n’est pas surprenant que l’on estime que les prix du brut devraient demeurer élevés. Il est par ailleurs peu probable que, dans le contexte des printemps arabes, les tensions et incertitudes politiques qui affectent divers pays en Afrique du Nord et au Moyen-Orient s’évanouissent rapidement et ces tensions sont bien sûr un facteur haussier pour les prix. Si l’on prend un peu de recul, on s’aperçoit que les principaux prix de référence du brut sont supérieurs à 100 dollars/b ou de cet ordre depuis 2011 en moyenne. Le maintien de prix élevés n’est donc pas purement conjoncturel et de court terme. La poussée de la demande des pays émergents en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique Latine est un facteur durable de même que le fait que les compagnies pétrolières doivent développer, pour faire face à cette demande, des champs pétroliers de plus en plus complexes géologiquement et techniquement et, donc, souvent plus coûteux (mer profonde et très profonde, pétroles non conventionnels, gisements à haute pression et à haute température, plus grande profondeur des structures, etc.).
Quels sont les facteurs-risque auxquels est confronté un pays comme l’Algérie, dont la production d’hydrocarbures et les recettes s’inscrivaient, depuis quelques mois déjà, dans une tendance baissière ?
Comme indiqué ci-dessus en réponse à votre question précédente, je ne crois pas que le risque prix soit important pour l’Algérie comme pour tous les pays producteurs. Cela dit, les prévisions sont loin d’être des certitudes et un pays aussi dépendant des hydrocarbures ne doit pas écarter l’hypothèse d’une forte baisse des prix du pétrole en 2014 et au-delà même si ce n’est pas le scénario le plus probable à mes yeux.
Pour l’Algérie, les principaux défis dans le domaine des hydrocarbures sont le renouvellement des réserves, la forte croissance de la demande énergétique nationale et l’attraction des investissements étrangers. Les deux premiers d’entre eux constituent évidemment des risques dans une perspective de moyen terme même, si je ne considère pas ces questions comme sans solution, loin de là. Un autre défi clé, et il n’est pas nouveau, est l’utilisation des revenus provenant de l’industrie des hydrocarbures ou, comme le disent les économistes, la gestion de la rente pétrolière et gazière. L’Algérie va continuer pendant plusieurs années à encaisser chaque année des recettes importantes, ce qui est bien, mais dans quelle mesure ces recettes profitent-elles à l’ensemble de l’économie et contribuent-elles à une diversification de celle-ci ? A ce jour, chacun le sait bien, cette diversification, pourtant indispensable dans le long terme, est quasiment inexistante et c’est un problème majeur.
D’après les prévisions récentes de l’AIE, il est prévu que les Etats-Unis d’Amérique deviennent premier producteur de gaz d’ici 2015. Quelle serait la tendance sur les marchés, si les pronostics de l’AIE venaient à se confirmer ?
A mon avis, les Etats-Unis sont déjà le premier producteur de gaz dans le monde. Dans ses perspectives énergétiques mondiales à l’horizon 2035 (World Energy Outlook), l’AIE estime que ce pays deviendra en plus dès 2015 le premier producteur de pétrole devant l’Arabie Saoudite et la Russie grâce aux pétroles non conventionnels principalement. C’est une manifestation supplémentaire de la ‘’révolution des hydrocarbures non conventionnels’’. C’est bien sûr un bouleversement important mais il ne faut pas oublier que l’Arabie Saoudite restera le leader en termes de capacité de production (ce pays ne produit pas à 100% de ses possibilités, contrairement à presque tous les autres). De plus, selon l’AIE elle-même, la production pétrolière américaine pourrait atteindre un plateau vers le milieu des années 2020. Il ne faut donc pas penser que cette montée en puissance incontestable des Etats-Unis et de l’Amérique du Nord diminue l’importance stratégique des pays arabes et de l’Iran sur la scène énergétique mondiale.
Le risque de voir l’Algérie perdre des parts de marché sur le Vieux Continent, son principal marché, n’est pas à écarter n’est-ce pas ?
Le marché européen est de longue date, le marché naturel de l’Algérie pour ses hydrocarbures, notamment pour le gaz naturel. Cependant, la part de l’Algérie dans les approvisionnements gaziers de l’Union européenne a baissé de façon significative dans les dernières années et les crises économiques en Europe n’en sont pas la seule raison. A moyen terme, de nouveaux concurrents vont apparaître, tels que les Etats-Unis, des pays de l’Afrique de l’Est (Mozambique, Tanzanie) et des pays de la Méditerranée orientale (Israël, Chypre, peut-être le Liban) ; certains pays européens tenteront de développer leur propre potentiel de gaz non conventionnel ;les exportateurs traditionnels vers l’Europe, dont la Russie, devraient adopter un comportement plus agressif pour préserver leurs parts de marché ; et la souplesse commerciale du Qatar ne passe pas inaperçue.
On ne peut effectivement pas écarter le risque d’une nouvelle diminution de la part de marché de l’Algérie. Ce risque est élevé. Le pays doit réagir face à cette situation pour défendre ses positions et l’on sait que la meilleure défensive, dans le domaine du gaz naturel, de la stratégie militaire ou du football, c’est souvent l’offensive. L’Algérie doit par ailleurs diversifier ses marchés gaziers en allant plus vers l’Asie et vers l’Amérique Latine.
Par Ali Ben Mohamed - Source de l'article Leconews
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