Des transitions politiques à la transition sanitaire: Comment améliorer les systèmes de santé au Maghreb ?


La transition sanitaire au Maghreb constituait le thème de discussion du petit déjeuner de la Méditerranée, organisé le 4 mai à Paris par IPEMED, en partenariat avec le magazine Jeune Afrique. 

Intervenaient à cette occasion Farid Chaoui, professeur de gastro-entérologie, chargé de la réforme de la santé et de la sécurité sociale auprès du Premier ministre algérien de 1990 à 1991, et Michel Legros, directeur du département des sciences humaines, sociales et des comportements de santé de l’EHESP.
Cette rencontre prenait appui sur un récent rapport, publié par IPEMED, intitulé « Défis nationaux et enjeux partagés, les systèmes de santé en Algérie, Maroc et Tunisie », et coordonné par les deux intervenants Farid Chaoui et Michel Legros. Dans cette étude, les auteurs dressent un état des lieux des systèmes de santé et présentent des lignes directrices méthodologiques ; autant d’outils pour les autorités des pays, désireuses d’engager des réformes.

Rappelant que les problèmes de santé ont été longtemps ignorés, voire marginalisés, Farid Chaoui, souligne le rôle de pression qu’a joué la rue pour replacer la problématique de la santé au cœur des débats politiques dans les pays arabes. « (…) En occupant la rue, en réclamant plus de droits et de justice, les populations maghrébines ont fini par mettre ces problèmes au premier plan et ont obligé les gouvernements à en faire une priorité ». Priorité certes, mais non assortie d’un agenda clairement déterminé déplore Michel Legros.

Etat des lieux et défi
Farid Chaoui rappelle qu’après la décolonisation, les gouvernements des trois pays du Maghreb ont été confrontés à des systèmes de santé au mieux inadaptés, au pire dévastés par la guerre. Dès lors, leur priorité a consisté à remettre le système en l’état, et les vingt années suivantes, s’attacher à lutter contre les maladies prévalentes à l’époque (les maladies transmissibles). Des efforts aux résultats mitigés, note-t-il.

Aujourd’hui, ces Etats sont confrontés à un « télescopage de transitions ». 

Transition épidémiologique, tout d’abord.  Si les maladies transmissibles sont pour la plupart éradiquées (possibles flambées épidémiques), en revanche l’apparition de nouvelles maladies (maladies non transmissibles –liées à la vie moderne, l’urbanisation et à l’évolution démographique) et la persistance d’un taux élevé de mortalité infantile et maternelle –dix fois plus élevées que dans les pays du Nord- sont source de préoccupation. 

 « Transition vers la modernité » ensuite. Faisant référence au vieillissement de la population, il souligne que « (…) l’espérance de vie à la naissance dépasse aujourd’hui 70 ans. Alors que les plus de 60 ans représentaient 5 % de la population totale dans les années 70, ils représenteront entre 12 et 15% autour des années 2020. »  

Farid Chaoui juge ce double fardeau d’autant plus préoccupant que les moyens mis à disposition par les gouvernements en matière de santé n’ont jamais suivi. En Tunisie, les dépenses globales de santé représentent 6% du PIB soit 400 dollars par habitant ; en Algérie 4% soit 350 dollars par habitant ; et au Maroc près de 4%, soit moins de 300 dollars par habitant. Un décalage moyens-besoins, qu’il convient d’interpréter en référence au modèle des pays de l’OCDE : « les pays du Maghreb évoluent doucement mais sûrement vers le modèle des pays de l’OCDE avec des moyens 10 fois moins importants». Il s’agit du « défi le plus important qu’ils auront à affronter dans les vingt prochaines années ».

Des axes d’évolution

Face à ce défi, Michel Legros présente quelques unes des pistes de réflexion qui sont avancées dans le rapport d’IPEMED.

Avant tout, précise t-il, « il faut trancher un débat idéologique : la santé doit être considérée comme un droit fondamental des citoyens, un bien commun, acteur essentiel de cohésion et d’équités sociales ». Elle renvoie à des valeurs de solidarité et d’équité, et mérite d’être considérée selon une approche globale, une approche liant la santé aux questions d’environnement (traitement de l’eau, habitat notamment).

Replacée au cœur du politique, la santé doit s’inscrire dans un cadre juridique, dans un cadre démocratique même, de manière à devenir « espace de débat pour la société civile », mais un espace dont « le  ministère de la Santé doit être le chef d’orchestre » rappelle Michel Legros. A charge pour lui, d’une part d’orchestrer selon des logiques interministérielle et intersectorielle, à l’aide d’outils davantage régulateurs, et d’autre part d’orienter le système de santé vers l’usager. En fait, il doit s’agir moins d’une logique d’équipements que d’une logique de services. Quitte à remettre en cause l’aménagement du territoire, note Michel Legros. En effet, le réseau des soins est implanté selon un modèle décentralisé alors que près de la majorité de la population vit en milieu  rural.

L’amélioration des systèmes de formation du personnel médical et d’information de l’usager, le cas échéant en comptant sur les NTIC, compte également parmi les priorités à mettre en place. Une amélioration possible notamment grâce au développement d’une coopération, autour d’échanges d’expériences avec les pays du Nord, ou entre pays du Maghreb selon une méthode de type MOC (Méthode Ouverte de Coopération – ndlr), souligne Michel Legros.

D’ailleurs, la question du médicament pourrait fédérer les pays du Maghreb. Face au besoin d’une harmonisation en matière de production, de commercialisation, de vigilance pharmaceutique, la mise en commun des ressources et des compétences pourraient constituer un sérieux atout. Michel Legros propose même l’idée d’une base industrielle maghrébine pour la production des médicaments, la région subsaharienne pouvant constituer un débouché intéressant.

Gouvernance et financement de la santé

Le système de santé doit s’apparenter à un système de négociations permanent « entre les personnels de santé, les usagers et les financeurs pour parvenir à un équilibre lui permettant de fonctionner au bénéfice des usagers », précise Michel Legros, ciblant, en fait, la dérive du secteur privé. Les Etats ont laissé le secteur privé se développer, au risque de conduire à la dégradation du secteur public. En fin de compte aujourd’hui, « le système de financement n’ayant pas été réformé, la hausse rapide des frais de santé a, dès lors, été en grande partie absorbée par les familles. », complète Farid Chaoui. 

Tant le financement de la santé que la couverture des frais de santé constituent des enjeux majeurs. La structure du financement devra pérenniser un système d’allocation pertinent transparent et équitable, prévient Michel Legros. « En ce qui me concerne, je plaide pour une caisse commune, l’Assurance maladie, abondée par l’Etat, la sécurité sociale, les assurances et chargée de financer les programmes de santé élaborés par le ministère ». 

Le type de financement –PPP, secteur privé-et la stratégie d’affectation des ressources financières mériteraient d’être ajustés. Michel Legros prévient : la stratégie d’affectation doit être étroitement liée à l’élaboration des programmes de santé. Il ne s’agit pas de financer des structures mais bien des programmes. C’est seulement sur la base de ces programmes que devraient être développés les modes de financement.

Ces défis relevés, Michel Legros est convaincu de l’atout des pays du Maghreb central (climat, langue, coût etc..), et escompte à l’horizon 2020-2050 leur positionnement dans la compétition mondiale pour la santé. 
Par Audrey Audusseau 
Source IPEMED

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