Face à la taxe carbone européenne, le secteur aérien méditerranéen active ses réseaux

En riposte à la taxe carbone de l’Union européenne, les compagnies aériennes du Sud de la Méditerranée se révoltent. Le lobbying discret mais actif des compagnies arabes est à l’œuvre.
Les 28 compagnies membres de l’Association des compagnies aériennes arabes se prononcent contre la taxe carbone de l’Union européenne, qui obligera à partir du printemps 2013 tous les transporteurs aériens survolant l’espace aérien européen à payer une taxe représentant l’équivalent de 15 % de leurs émissions de CO2.
La Royal Air Maroc (RAM) et Tunisair sont les principaux fers de lance de la contestation euro-méditerranéenne de la taxe carbone de l’UE. Toutefois cette fronde est moins vindicative que le refus catégorique des dix compagnies chinoises et indiennes de communiquer à l’Union européenne le montant de leurs émissions de CO2. Le PDG de la RAM, Driss Benhima, répète à l’envi que son opposition à cette décision européenne respectera les voies légales :
« Nous attendons que l’OACI (Organisation de l'aviation civile internationale) se prononce [l’organisation doit proposer d’ici la fin du mois de juin une solution à ce conflit, solution soumise à l’approbation unanime de ses membres] ; le mécanisme européen actuel est imposé, nous l’acceptons temporairement à notre corps défendant. »
La RAM a tenté de s'appuyer sur le gouvernement marocain
Mais en parallèle, le lobbying des transporteurs du Sud s’active. Et trouve des alliés au sein du secteur aérien en Europe. Bertrand Lebel, directeur général adjoint organisation et développement durable d’Air France-KLM, prolonge même la pensée de Driss Benhima en dénonçant « l’attitude impérialiste des institutions européennes sur ce sujet, attitude qui nous embarrasse plus que le principe même de cette lutte contre l’émission de carbone ». La RAM, reconnait Driss Benhima, a même tenté de convertir le nouveau gouvernement marocain à sa cause, espérant que le Premier ministre Abdelilah Benkirane contesterait par recours officiel cette politique de l’Union européenne. « Mais nous n’avons pas été suivis », a regretté D. Benhima.
Ces déclarations sont intervenues dans le cénacle de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed) qui accueillait le 8 juin à Paris un cercle de professionnels et hommes d’affaires impliqués dans les relations euro-méditerranéennes, parmi lesquels de nombreux spécialistes de l’aérien. L’assemblée, unanime dans son rejet de la commissaire européenne à l'action pour le climat Connie Hedegaard, a cherché les moyens de concilier lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et intérêts des compagnies des pays en voie de développement.

Un rôle de péréquation pour l'Europe ?
A cette occasion, les auteurs du rapport Contrainte carbone en Méditerranée : impacts différenciés et politiques de réduction d’émissions de CO2 (à paraître en septembre), Louis Boisgibault et Morgan Mozas, ont présenté un résumé par anticipation de leurs travaux. Ils appellent notamment à « une coopération régionale plus approfondie dans ce domaine [de la réduction des émissions de CO2, qui] permettrait d’encourager les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et de définir de bonnes pratiques qui pourraient être transposées dans d’autres régions du monde. »
« L’Europe doit jouer un rôle de péréquation et de transfert », avait d’ailleurs averti Jean-Louis Guigou, délégué général de l’Ipemed, en introduction. Une position qui résume l’ensemble des argumentations des transporteurs aériens, qui s’inquiètent de voir l’effort différencié dans la lutte contre le réchauffement climatique entre pays industrialisés et pays en voie de développement s’effondrer.
D. Benhima a déploré le coût du système européen de quotas d’émissions de CO2 :
« D’après nos estimations, le coût de ce système d’ETS [quotas d’émissions européens] serait de € 36 à 72 milliards, ce qui éliminerait tout le (petit) bénéfice des compagnies aériennes. »
D’après la version préliminaire du rapport, la compagnie dirigée par Driss Benhima (déjà en difficulté) serait effectivement directement impactée :
« L’objectif de réduction des émissions est de 3% en 2012, […] [dont] 15% de quotas sont mis aux enchères. […] Cette mesure pourrait constituer un coût global s’élevant de € 40 à 60 milliards pour l’ensemble des compagnies en provenance et à destination de l’Europe sur la période 2012-2020, et de près de € 1,5 million annuel pour une compagnie comme Royal Air Maroc à courte échéance. »
Un lobbying confiant
L’industrie aérienne préfère miser sur le renouvellement de flottes souvent vieillissantes pour atténuer ses émissions de CO2. Mais une hausse de la fiscalité ne pourra que retarder les investissements, plaident l’ensemble des professionnels du secteur.
Alors que Connie Hedegaard a ouvert la porte a une renégociation de la mesure, B. Lebel a fait part de son optimisme, en rappelant le « lobbying actuellement à l’œuvre à Bruxelles pour incurver la directive européenne » : « Nous espérons parvenir à remettre à niveau cette directive », s’inquiétant toutefois des conséquences d’un éventuel passage devant le Parlement européen du texte. L’industrie aérienne a une nette préférence pour les discussions moins médiatiques, en commission.
Par Antony DRUGEON

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