Le voisinage sud de l'Europe est un volcan en éruption : Etats qui s'effondrent, terroristes qui s'expatrient, mafias qui prospèrent, religions qui s'affrontent, frontières qui se disloquent, guerres et révolutions génératrices de massives migrations.
Les images à court terme sont effrayantes mais l'histoire en devenir est encourageante : sur le long terme, "le rendez-vous des civilisations est à l'œuvre" (Emmanuel Todd).
Deux scénarii sont possibles : soit l'Europe ne réagit pas de façon coordonnée et ambitieuse. Le chacun pour soi l'emporte. La peur saisit les peuples. Les leaders politiques n'ont pas le courage de proposer une vision de l'avenir. Les intellectuels sont absents du débat. L'Europe s'érige en forteresse et vieillit. La stagnation économique conduit à l'appauvrissement. Les mouvements populistes européens deviennent majoritaires, l'Union Européenne se disloque. L'Afrique, pour sa part, est pillée. Les pays arabes voient la fin de la rente pétrolière et gazière se transformer en cauchemar.
Dans l'autre scénario, l'Union Européenne propose à son Sud-Méditerranéen un new deal. Ecrire ensemble une nouvelle page de notre histoire commune. Cela passe par différentes mesures :
- Tout d'abord, accepter un nombre significatif de migrants dont l'Europe a besoin et favoriser la mobilité professionnelle. Selon Hervé Le Bras, pour maintenir en 2050 à son niveau actuel la population active de l'Europe à 28, il faudrait accueillir pendant 34 ans 2.2 millions de réfugiés par an (soit multiplier par trois le solde migratoire actuel).
- Remplacer l'aide au développement par une stratégie de codéveloppement en faveur du Sud avec transfert de technologie et partage de la valeur ajoutée, de savoir-faire et d'expériences économiques, notamment dans les start-up et dans les PME. Faire de notre sud l'espace pertinent de diffusion des technologies de la 3ème révolution industrielle. La coproduction qui consiste à transformer le client en partenaire doit être systématique. La Banque Mondiale a estimé que 85 millions d'emplois allaient quitter la Chine pour se relocaliser ailleurs : les pays méditerranéens aux portes de l'Europe et de l'Afrique pourraient en être les principaux bénéficiaires.
- Créer une fondation, "La Verticale Afrique-Méditerranée-Europe"qui soit le creuset politique de l'intégration économique et le lieu de brassage des élites suivant le modèle de la CEPAL en Amérique (700 chercheurs, 40 millions de budget annuel) ou de l'ERIA en Asie (15 laboratoires et 30 millions de budget annuel).
- Mettre en place une banque de développement intercontinentale, comme la Banque Interaméricaine ou la Banque Asiatique pour les Investissements et les Infrastructures, pour assurer la mobilité des capitaux et garantir la sécurité des investissements à long terme.
- Changer de regard et de comportement vis-à-vis des peuples méditerranéens et africains. Passer de l'esprit de conquête à l'esprit de partage. L'émotion doit laisser la place à la raison. Certes, il faut rester ferme sur nos convictions de laïcité, d'équité et de justice, mais ces valeurs doivent être de plus en plus partagées par une majorité silencieuse au Sud.
"L'Amérique et surtout l'Asie centrale se sont déjà lancées dans l'intégration régionale Nord-Sud; elles l'ont fait de manière pragmatique dans un souci d'efficacité économique" (Pierre Beckouche). Matteo Renzi a raison de faire de l'Afrique la priorité de sa diplomatie. Angela Merkel a raison d'être attentive aux réfugiés pour donner du souffle à l'économie allemande et européenne. François Hollande a raison de mettre l'accent sur la sécurité et les interventions militaires.
La Méditerranée ne doit plus diviser l'Europe. Pour aller plus loin, il faut un axe fort: Allemagne, France, Italie, Espagne.
Le sommet de l'Union Européenne et des pays africains à Malte les 10 et 11 novembre 2015 ne doit pas se limiter aux questions à court terme de l'immigration, mais proposer de jeter les bases d'un new deal entre l'Europe, la Méditerranée et l'Afrique.
Par Franco Bassanini (Ancien ministre italien) Jean-Louis Guigou (Haut fonctionnaire et fondateur du think tank euroméditerranéen I Miguel-Angel Moratinos (Ancien ministre espagnol et Président du COP d’Ipemed)) - Source de l'article Huffingtonpost