Le voisinage sud de l'Europe est un volcan en éruption : Etats qui s'effondrent, terroristes qui s'expatrient, mafias qui prospèrent, religions qui s'affrontent, frontières qui se disloquent, guerres et révolutions génératrices de massives migrations.
Mais, il n'y a pas que des catastrophes. Loin de là! Des tendances profondes sont à l'œuvre. Elles dessinent des perspectives porteuses d'espérance et même de convergence Nord-Sud: face aux grandes migrations, les leaders politiques européens commencent à redécouvrir "leur Sud", de même que les valeurs historiques, morales et politiques de l'Europe, entraînant autour de ces valeurs un mouvement d'élan populaire en réponse aux populistes; le "capital" joue à terme la carte de l'Afrique, hissant, en 2014, cinq pays africains parmi les dix pays du monde en plus forte croissance économique et l'on commence à comprendre que l'Europe ne sera pas en condition de résoudre ses problèmes de croissance et de compétitivité, de vieillissement de ses populations et de soutenabilité de son welfare, sans une coopération étroite, et même une intégration économique et politique avec les pays du Sud de la Méditerranée et, en perspective, les pays de l'Afrique. La proximité géographique et culturelle des peuples qui ont connu ensemble la colonisation, la décolonisation et les guerres pour la défense des libertés constitue une grande ressource, comme le sont les jeunes, les femmes et les patrons des pays du Sud qui luttent pour leur émancipation et pour l'ancrage à l'Europe.
Les images à court terme sont effrayantes mais l'histoire en devenir est encourageante : sur le long terme, "le rendez-vous des civilisations est à l'œuvre" (Emmanuel Todd).
Deux scénarii sont possibles : soit l'Europe ne réagit pas de façon coordonnée et ambitieuse. Le chacun pour soi l'emporte. La peur saisit les peuples. Les leaders politiques n'ont pas le courage de proposer une vision de l'avenir. Les intellectuels sont absents du débat. L'Europe s'érige en forteresse et vieillit. La stagnation économique conduit à l'appauvrissement. Les mouvements populistes européens deviennent majoritaires, l'Union Européenne se disloque. L'Afrique, pour sa part, est pillée. Les pays arabes voient la fin de la rente pétrolière et gazière se transformer en cauchemar.
Dans l'autre scénario, l'Union Européenne propose à son Sud-Méditerranéen un new deal. Ecrire ensemble une nouvelle page de notre histoire commune. Cela passe par différentes mesures :
- Tout d'abord, accepter un nombre significatif de migrants dont l'Europe a besoin et favoriser la mobilité professionnelle. Selon Hervé Le Bras, pour maintenir en 2050 à son niveau actuel la population active de l'Europe à 28, il faudrait accueillir pendant 34 ans 2.2 millions de réfugiés par an (soit multiplier par trois le solde migratoire actuel).
- Remplacer l'aide au développement par une stratégie de codéveloppement en faveur du Sud avec transfert de technologie et partage de la valeur ajoutée, de savoir-faire et d'expériences économiques, notamment dans les start-up et dans les PME. Faire de notre sud l'espace pertinent de diffusion des technologies de la 3ème révolution industrielle. La coproduction qui consiste à transformer le client en partenaire doit être systématique. La Banque Mondiale a estimé que 85 millions d'emplois allaient quitter la Chine pour se relocaliser ailleurs : les pays méditerranéens aux portes de l'Europe et de l'Afrique pourraient en être les principaux bénéficiaires.
- Créer une fondation, "La Verticale Afrique-Méditerranée-Europe"qui soit le creuset politique de l'intégration économique et le lieu de brassage des élites suivant le modèle de la CEPAL en Amérique (700 chercheurs, 40 millions de budget annuel) ou de l'ERIA en Asie (15 laboratoires et 30 millions de budget annuel).
- Mettre en place une banque de développement intercontinentale, comme la Banque Interaméricaine ou la Banque Asiatique pour les Investissements et les Infrastructures, pour assurer la mobilité des capitaux et garantir la sécurité des investissements à long terme.
- Changer de regard et de comportement vis-à-vis des peuples méditerranéens et africains. Passer de l'esprit de conquête à l'esprit de partage. L'émotion doit laisser la place à la raison. Certes, il faut rester ferme sur nos convictions de laïcité, d'équité et de justice, mais ces valeurs doivent être de plus en plus partagées par une majorité silencieuse au Sud.
"L'Amérique et surtout l'Asie centrale se sont déjà lancées dans l'intégration régionale Nord-Sud; elles l'ont fait de manière pragmatique dans un souci d'efficacité économique" (Pierre Beckouche). Matteo Renzi a raison de faire de l'Afrique la priorité de sa diplomatie. Angela Merkel a raison d'être attentive aux réfugiés pour donner du souffle à l'économie allemande et européenne. François Hollande a raison de mettre l'accent sur la sécurité et les interventions militaires.
La Méditerranée ne doit plus diviser l'Europe. Pour aller plus loin, il faut un axe fort: Allemagne, France, Italie, Espagne.
Le sommet de l'Union Européenne et des pays africains à Malte les 10 et 11 novembre 2015 ne doit pas se limiter aux questions à court terme de l'immigration, mais proposer de jeter les bases d'un new deal entre l'Europe, la Méditerranée et l'Afrique.
Par Franco Bassanini (Ancien ministre italien) Jean-Louis Guigou (Haut fonctionnaire et fondateur du think tank euroméditerranéen I Miguel-Angel Moratinos (Ancien ministre espagnol et Président du COP d’Ipemed)) - Source de l'article Huffingtonpost