Voilà près de trois ans que les signataires de la déclaration "l'avenir que nous voulons" se sont engagés à Rio pour définir un agenda du développement après 2015.
Plus nombreux, plus ciblés et susceptibles d'être appliqués par la majorité des Etats, les Objectifs de Développement Durable (ODD) sont adoptés en ce mois de septembre par l'Assemblée générale des Nations Unies après un long, mais nécessaire, processus de négociations internationales.
Déjà en 1992, avec la Déclaration de Rio et, en 2000, avec l'adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), un compromis avait été trouvé entre les États, rendant possible le processus du développement durable. Depuis, celui-ci a connu de réels progrès, et ce, dans de nombreux domaines et au sein d'une majorité de Nations convaincues de cet impératif visant à concilier l'économie, le social et l'écologie dans leurs stratégies de croissance.
Mais le bilan ne saurait être lénifié car les résultats sont contrastés selon les pays et les secteurs d'activité et car il subsiste de véritables freins à la mise en œuvre du changement. Si l'on observe une tendance générale à l'amélioration, demeurent malheureusement de profonds écarts régionaux et des inégalités socio-économiques sans cesse plus évidentes au sein même des pays. Pour certains territoires, la situation se serait même dégradée. L'espace méditerranéen n'échappe pas à ces tendances mondiales. En effet, comme toujours, cette espace illustre à quel point les enjeux du développement, appelant à plus de coopérations et de synergies, révèlent aussi des difficultés à mettre en œuvre, sous un mode opératoire multilatéral, des politiques et des stratégies favorables à la construction d'un avenir meilleur.
En 2015, alors que devraient être célébrés les 20 ans d'une déclaration de Barcelone ayant suscité de grands espoirs en novembre 1995 lors de sa prononciation instaurant le Partenariat euro-méditerranéen, le paysage géopolitique de la région s'est profondément transformé et plusieurs inconnues résident sur les futurs possibles du développement en Méditerranée. Dans ces conditions, la Politique européenne de voisinage (PEV) cherche à mieux prioriser ses engagements sectoriels. Les enjeux liés à l'emploi, à la jeunesse et à la cohésion territoriale restent déterminants et liés au développement agricole et rural dans les pays de la région. Il en est de même des négociations commerciales, des stratégies en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes et des initiatives menées pour la stabilité géopolitique du bassin méditerranéen. Les insécurités alimentaires, hydriques, foncières et climatiques sont indissociables des problématiques économiques, sociales, migratoires et environnementales.
Pour le futur du Partenariat euro-méditerranéen, une plus grande coopération agricole, que ce soit dans la recherche ou dans le développement des zones rurales, s'avère sans aucun doute nécessaire. Mais d'autres défis attendent la Méditerranée et les 20 ans de la déclaration de Barcelone invitent à faire, en urgence, de nouvelles propositions. Le déplacement de populations auquel nous assistons - d'abord au sein même des pays en crise, puis vers les pays limitrophes et enfin jusqu'en Europe - en raison de son caractère durable et de son impact économique et social sur les pays d'accueil, nous oblige à considérer ce phénomène comme un double défi. Il y a tout d'abord une crise humanitaire à gérer et un défi politique à relever. Ne le nions pas. Mais il convient aussi de regarder le futur plus lointain et identifier quels pourrait être les instruments les plus propices à une atténuation des tensions au sein de l'espace méditerranéen. La sécurité alimentaire et le développement rural s'avèrent plus stratégiques que jamais dans ce contexte.
Sans doute la PEV devrait-elle désormais chercher à distinguer davantage les temporalités. Si la différenciation des coopérations euro-méditerranéennes entre les pays s'est mise en place, il serait peut-être opportun de différencier aussi les actions de la PEV qui relèvent du court-terme et celles qui s'inscrivent dans une perspective plus lointaine. Avec en toile de fond l'impérieuse nécessité de maintenir des initiatives multilatérales, car face à l'ampleur des enjeux de cet espace géopolitique si spécifique, comment pourrions-nous envisager un seul instant que les interdépendances tissées durant des siècles cesseraient soudain d'exister. Il est illusoire de penser qu'un événement majeur dans un pays riverain de la Méditerranée n'ait pas de conséquences sur ses voisins. Renversons les regards sur le plan stratégique : c'est l'Europe qui représente ce balcon ouvert sur la Méditerranée, pas l'inverse.
Une plus grande synergie entre les acteurs opérant en faveur du développement méditerranéen doit constituer à ce titre une voie prioritaire à explorer. Il faudra miser sur l'agriculture (pas seulement, mais cessons de la déclasser dans l'agenda stratégique du développement pour la Méditerranée) car elle constitue un réservoir formidable de solutions. Si la finalité alimentaire reste incontournable, l'agriculture est aussi pourvoyeuse d'emplois et de stabilité dans des territoires ruraux, souvent marginalisés, au sein desquels des politiques plus inclusives (à la fois sociale et économique) doivent être mises en œuvre.
Pour cela, les modes opératoires des politiques publiques et les processus décisionnels devront davantage intégrer les évolutions en cours en matière de participation des publics vulnérables à la gouvernance. Au regard des résultats escomptés, il deviendra également indispensable d'élargir le tour de table à l'ensemble des parties prenantes (partenaires sociaux, entreprises, associations, administrations publiques...) afin de consolider un dialogue constructif, pérenne et de soutenir la co-construction des projets de développement. Dans les territoires isolés, où les enjeux du développement durable restent insuffisamment connus, des efforts accrus de sensibilisation devront être menés.
Un Agenda post-2015 au cœur des activités du CIHEAM
L'agenda du développement après 2015 devra engager, en effet, la communauté internationale vers des efforts considérables pour mettre fin à la pauvreté, faire face au changement climatique et offrir les opportunités pour que chacun se saisisse de son avenir. Malgré les controverses sur le niveau de précision des ODD et leurs moyens de mises en œuvre, les négociateurs se sont mis d'accord sur un ensemble de 17 Objectifs comprenant 169 cibles spécifiques qui participeront aux orientations de l'aide au développement, de la recherche, ainsi que des politiques publiques d'ici 2030. Certains ODD font partie intégrante de la mission du CIHEAM et des activités qu'il déploie avec les pays de la Méditerranée: la promotion de la sécurité alimentaire et de la nutrition, la garantie de modèles de consommation et de production durables ainsi que la gestion durable de l'eau, des ressources marines et des écosystèmes terrestres. Les ODD visant à garantir une éducation de qualité tout au long de la vie, à parvenir à l'égalité entre les sexes et à réduire les inégalités entre et à l'intérieur des pays entrent également dans le champ d'actions du CIHEAM. Ces différents ODD sont cruciaux pour l'espace méditerranéen où les besoins premiers des populations demeurent l'accès à une alimentation saine et équilibrée produite dans le respect des équilibres naturels et la possibilité de vivre dignement dans les espaces ruraux. En progressant sur ces enjeux dans les années à venir, nous contribuerons à la sécurité humaine, au développement inclusif et à la durabilité des ressources en Méditerranée.
Mettre en œuvre ces Objectifs ne sera pas une tâche facile et les inquiétudes sont encore nombreuses quant à la lisibilité d'un tel agenda qui devrait compter près de 800 indicateurs à évaluer. Il faudra donc être inventif pour concevoir un mécanisme de suivi et de redevabilité transparent, capable de rendre les États comptables de leurs choix (sans oublier non plus la société civile ainsi que le secteur privé qui sont autant d'acteurs clés pour le développement durable). Face aux ambitions relatives à l'agenda du développement demeure aussi l'épineuse question de la feuille de route des engagements financiers dans un contexte de plafonnement des budgets publics. Les besoins dépassent en effet le millier de milliards de dollars par an d'ici 2030, soit plus de 20 fois les montants annuels de l'aide publique au développement. Atteindre ces 17 ODD demandera donc des efforts colossaux, continus et collectifs dans des États qui devront mobiliser eux-mêmes les financements nécessaires au développement durable. A ce titre, précisons ici que le renforcement des capacités locales et nationales constituera l'une des principales clés de voute du processus des ODD. Depuis 1962, le CIHEAM a fait du renforcement des capacités et du partage des savoirs et connaissances, son moteur et sa principale force. Nos instituts de recherche et de formation remplissent cette mission au quotidien toujours en quête d'innovation et d'adaptation pour répondre aux divers besoins des pays et accompagner des dynamiques au niveau local, en particulier en milieu rural.
La difficile mise en œuvre des ODD rend d'autant plus essentielle une coopération multilatérale renouvelée et opérationnelle. L'expérience de plusieurs décennies de coopération méditerranéenne efficace face aux changements et défis globaux est donc une chance pour l'agenda du développement après 2015 dans notre région. Le CIHEAM entend d'ailleurs s'engager pleinement dans ce processus et apporter tout son soutien au partenariat mondial pour le développement durable. L'après 2015, avec les ODD et la mise en œuvre de l'accord, que nous espérons tous ambitieux, sur le climat après la Conférence de Paris (COP 21), offrira sans doute de nouvelles opportunités pour la dynamique de coopération en Méditerranée. Cette dernière devra assurément s'appuyer sur les forces vives de cette région. Mais pour avancer sur un développement plus durable et responsable en Méditerranée, il faut aussi favoriser les synergies entre les différents acteurs, du public comme du privé, convaincus que les alliances et les partenariats doivent désormais guider les initiatives et les stratégies dans une région qui souffre souvent d'un trop plein d'activités désordonnées. C'est aussi l'un des axes défendus actuellement par le CIHEAM, Organisation méditerranéenne de 13 Etats membres, mais qui travaille avec tous les pays de cet espace euro-méditerranéen et toutes les institutions internationales et nationales mobilisés pour le développement.
Par Cosimo Lacirignola (Secrétaire général du Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes) - Source de l'article Huffingtonpost
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