«Vivre ensemble : pour une culture du dialogue», c’est autour de cette thématique que des penseurs, des diplomates ainsi que d’éminentes personnalités se sont réunis, jeudi au Musée Mohammed VI.
Son Altesse Royale le Prince El Hassan Bin Talal de Jordanie, le conseiller du Roi Mohammed VI André Azoulay et le diplomate Miguel Angel Moratinos, entre autres, ont pris part à cette conférence animée par l’universitaire Gilles Kepel.
S'enrichir des valeurs de l’autre, accepter la différence, encourager le vivre ensemble. Ce sont là les idées phares formulées à l’issue de la conférence initiée par le Prince de Jordanie, jeudi dernier à Rabat. Une rencontre qui s’inscrit, comme l’a souligné le Président de la Fondation nationale des Musée, Mehdi Qotbi, dans la droite ligne des hautes instructions de S.M. le Roi Mohammed VI visant à promouvoir la cohabitation, la tolérance et le respect des valeurs des uns et des autres. «Vivre ensemble est une particularité marocaine et un symbole de notre identité fondée et confirmée dans notre Constitution qui institutionnalise la diversité des affluents culturels, principaux composants de notre civilisation marocaine. Ce texte juridique fondamental reconnait tous les affluents dont s’est abreuvée notre civilisation arabo-musulmane, amazighe, hassanie et méditerranéenne. Le Maroc est une terre où se croisent les civilisations et ne peut que demeurer fidèle à sa vocation d’espace de dialogue et d’ouverture».
Après cette belle introduction, M. Qotbi a cédé la place aux intervenants à ce débat important à plus d’un titre, selon Gilles Kepel, en raison des défis immenses auxquels sont confrontées les civilisations du nord et du sud de la Méditerranée. «Mais il faut retenir que la tenue de ce dialogue dans un lieu symbolique de la culture universelle qui est un Musée est particulièrement frappante à l’heure où nous voyons que le terrorisme au Moyen-Orient perpètre des massacres de sites, d’hommes, de femmes et d’enfants. Nous tous aujourd’hui, quel que soit notre culture ou notre pays d’origine, nous sommes confrontés à un défi considérable, dont Daech n’est que la pointe émergée de l’iceberg. On le voit aussi avec les questions des réfugiés qui nous concernent tous».
Ces problématiques d’identité, de tolérance, de paix interpellent tout le monde qui doit y consacrer plus de temps et de dialogue pour pouvoir trouver les solutions adéquates, en posant les bonnes questions en termes conceptuel et existentiel. Dans cette même quête de paix dans le monde, le Prince El Hassan Bin Talal n’a pas hésité de rappeler les souffrances endurées par les réfugiés des différents peuples dans l’histoire. «Nous avons besoin d’une loi de la paix. Pour combattre les idéologies négatives, il faut agir. Pour cela, il faut éradiquer le mal depuis la racine. Avoir une dignité humaine est une priorité», insiste le Prince El Hassan Bin Talal de Jordanie. «Quand les valeurs des musulmans à travers le monde sont prises en otage par des groupes qui cherchent à les plier à leur conception, cela nous pousse à agir le plus vite possible. D’ailleurs, ceci s’est aussi déroulé dans l’histoire du christianisme, du judaïsme et de l’hindouisme.
Cela demande un travail de réflexion pas seulement sur les autres, mais sur soi-même, sur ce que nous avons manqué, sur ce que nous n’avons pas fait», ajoute-t-il. Le diplomate Miguel Angel Moratinos, qui s’est consacré pendant des années à la médiation au Moyen-Orient, opte pour un monde pluriel dans une Méditerranée de paix, de tolérance, afin de vivre ensemble et construire ensemble. «Si on veut s’enrichir des valeurs des autres, il faut accepter la différence. Si on n’est pas conscient de cette situation, ce serait très difficile de changer le cours de l’histoire. Nous sommes tous autour de cette table des combattants pour le dialogue, la tolérance… Mais on n’a pas compris que le monde a changé dans la mauvaise direction, par des facteurs internes et externes. On se focalise seulement sur Daech. On oublie que celui-ci sort de ce conflit israélo-palestinien qu’on n’a pas voulu ou essayé de résoudre définitivement. Tant que ce conflit reste, il n’y aura jamais de paix, et ce rejet continuera toujours», explique M. Moratinos. Et d’ajouter qu’il faut reprendre la voie de la diplomatie et du dialogue. «Mettre l’humanitaire et la personne au centre du débat. Il ne faut pas perdre les valeurs humaines et prendre des initiatives qui s’adaptent aux enjeux actuels». De son côté, André Azoulay n’a pas été moins éloquent. Le conseiller de S.M. le Roi n’a pas mâché ses mots quand il a présenté les grandes lignes politiques et civilisationnelles du Maroc. «Dans l’espace euro-méditerranéen, j’ai eu l’occasion de parler avec des milliers de personnes. J’ai parlé avec des Syriens, des Libyens, des Égyptiens et bien d’autres, et aux moments les plus difficiles, il y avait dans les sociétés civiles une compréhension, une capacité de rebond, une volonté d’en sortir.
Ce partenariat euro-méditerranéen aurait pu faire que la Méditerranée soit l’addition de toutes nos richesses, de toutes nos civilisations, de toutes nos identités. Pour pouvoir assurer les mêmes exigences en termes de stratégies, en termes de sécurité, de partage, de parité, de coresponsabilité, la réponse n’existe pas encore», déplore André Azoulay, qui n’a pas manqué de mettre en avant le cas du Royaume du Maroc en termes de pluralisme et de diversité. «Mon pays a eu depuis des décennies l’art et la capacité de faire les choix qui s’imposaient, sitôt après l’indépendance. Nous avons été les seuls à refuser le parti unique, à adopter l’économie de marché, à nous inscrire dans la dynamique des valeurs dites occidentales ou universelles de diversité, de tolérance et d’ouverture. Tout ceci forme un peuple et forme sa culture. Ce pays musulman, arabe qui a été modelé par des civilisations berbères, par la civilisation juive, par la grande civilisation arabo-musulmane, par la civilisation hassanie et un peu par l’Andalousie. Avec tout ceci, les plus grands quotidiens européens et aussi américains n’y ont jamais consacré plus de deux ou trois lignes. J’imagine que si cela avait été le contraire, on l’aurait mis en pleine page. Nous ne faisons pas cela pour plaire, mais parce que c’est notre destinée. Cette réalité marocaine impose une lecture attentive», conclut pertinemment et lucidement M. Azoulay.
Par Ouafaâ Bennani - Source de l'article Le Matin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire