Quelle coopération énergétique entre les pays du Maghreb ?

Comme chacun sait, un vent de changements souffle, avec plus ou moins d’intensité, sur les pays du Maghreb. Ces changements, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux ne seront pas, et on l’imagine bien, sans conséquence sur le développement de nos pays ; je serais tenté de dire même sur le devenir ou pour le moins, sur la place de certains d’entre eux dans la région.
La question à la base est : allons nous assister impuissants devant ce mouvement de transformation de nos sociétés avec la peur de l’inconnu et l’angoisse de lendemains peu enchanteurs ou sommes nous en mesure de nous projeter, par nos aspirations communes, vers un ensemble intégré, prospère, dans le cadre d’une approche globale axée sur les complémentarités et les solidarités actives, plus que jamais nécessaires.
Cette question est cruciale lorsque l’on considère le domaine de l’énergie. En effet, parmi les contraintes des pays du Maghreb, et elles sont nombreuses, celle qui a trait à l’énergie est primordiale puisqu’elle est à la base de tout développement économique et de tout progrès social.
Avec une très forte demande énergétique et une inégale répartition des ressources, nous retrouvons au cœur des préoccupations, notamment :
- la question des moyens financiers et des infrastructures, de la disponibilité énergétique et de la sécurité d’approvisionnement, des dépendances et des termes d’échanges ;
- le diptyque ou l’interaction ″l’énergie pour l’eau et l’eau pour l’énergie″, à savoir comment gérer l’énergie nécessaire à l’alimentation en eau des populations et comment gérer l’eau nécessaire au fonctionnement des centrales énergétiques qu’il va falloir construire ;
- les effets d’une telle consommation énergétique, sur les plans de la vulnérabilité au changement climatique et du risque environnemental pour notre région;
- les impacts de la forte urbanisation que connaissent nos pays, en particulier ceux du Bâtiment, sur la consommation énergétique. 
(1) En guise de préalable, je préciserais que cette note fait suite à la réflexion “qu’il appartient aux Maghrébins d’abord, de réfléchir à leurs problèmes ” comme j’ai eu souvent à le penser lors de participations à des tables rondes organisées par des Think tanks espagnols, français, italiens et autres, supposées traiter des difficultés de nos pays, de discuter de projets qui nous concernent mais bien sûr, sous l’angle de vue qui est le leur.

Aussi, face à de tels enjeux, il est clair que pour les pays du Maghreb, le schéma existant caractérisé par ″le Chacun pour soi″, est d’une rare ineptie. Adopté jusqu’ici, et basé sur une vision essentiellement nationale des problèmes de développement, il se heurte notamment, à l’étroitesse des marchés respectifs, à la faible solvabilité des demandes locales, à l’insuffisance des infrastructures et à une déficience en matière de moyens financiers et de capacité de conception et de réalisation.
Au lieu de favoriser leurs échanges ainsi que les complémentarités de leurs structures productives, afin d’une part, de lever les contraintes liées notamment au marché, au financement et à la capacité de réalisation et d’autre part, de constituer des partenaires fondamentaux pour des tiers, notamment les entreprises européennes, les pays du Maghreb se sont évertués à développer séparément leurs exportations de matières premières et de produits primaires et à attirer des investissements extérieurs.

Les partenaires étrangers ont plutôt tendance à nous considérer en de simples pourvoyeurs de matières premières énergétiques et de produits primaires et/ou en des opportunités de marché séparées, pour écouler leurs produits manufacturés, leurs produits de large consommation et leurs services.
La coopération, notamment avec les pays de l’autre rive de la Méditerranée, a souvent pris la forme d’une assistance du Nord au Sud, accompagnée de dépendances diverses, notamment commerciales, financières et technologiques ; les pays du Maghreb continuant d’importer au prix fort des technologies, sans être en mesure de pouvoir les reproduire et encore moins les développer. Le lancement de larges coopérations est ainsi entravé, réduit par des approches dépassées et des pratiques incongrues du développement.
Force est donc de souligner qu’il est temps pour les pays du Maghreb, de considérer les atouts qu’offre l’ensemble régional, tant sur les plans géostratégique, économique, commercial et financier que sur le plan de la force de travail, constituée par une population jeune. Il reste cependant que la construction du Maghreb est une entreprise de longue haleine. Dans le domaine de l’énergie, plusieurs axes de coopération intra maghrébine pourraient être considérés, notamment :

Le développement des échanges énergétiques. C’est une nécessité économique et sociale. L’énergie serait un moteur de développement et d’élévation du niveau de vie des populations locales. Elle contribuerait également à résoudre les graves problèmes engendrés notamment par l’insuffisance en eau, la sécheresse, la déforestation, etc. Ce développement présente un fort potentiel pour peu que, les pays du Maghreb le veuillent sur le plan politique et l’encouragent sur le plan commercial. Globalement, ce sont près de 20 Millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep), contre moins de 4 Mtep actuellement, qui pourraient faire, à l’horizon 2020-­‐2025, l’objet d’échanges entre les pays du Maghreb, représentant ainsi 15% de la demande d’énergie primaire de l’ensemble. Parmi les initiatives concrètes envisageables à court et moyen termes dans ce secteur, je pourrais mentionner entre autres :
- La réalisation de pipelines multi produits pétroliers (LPG, essence et diesel) reliant des centres de distribution et/ou d’enfutage, situés de chaque côté des frontières. Une telle réalisation, outre qu’elle répondrait aux besoins croissants des populations locales, mettrait fin à l’important trafic transfrontalier qui échappe à tout contrôle.
- Un plan global de réalisation de centrales électriques, en partenariat dans le cadre de sociétés mixtes maghrébines devrait être mis en œuvre. Certaines centrales seraient couplées à des unités de dessalement d’eau de mer, contribuant ainsi à la résolution du problème de l’eau, devenu crucial, et d’autres centrales pourraient être dédiées, pour partie, à l’exportation d’électricité.
La réalisation de projets industriels intégrés, en partenariat à intérêts croisés et multiformes. Ce serait un véritable plan industriel global et optimal, à l’échelle du Maghreb, qui ferait appel aux secteurs public et privé maghrébins. Il viserait outre la prise en charge de l’approvisionnement en produits semi finis et finis d’un vaste marché intérieur, à considérer des opportunités d’exportation maghrébines de produits à plus forte valeur ajoutée et donc plus rémunérateurs qu’offrent notamment, la pétrochimie, l’industrie des engrais, les industries de transformation, l’industrie automobile, etc.
Pour ce qui est des engrais par exemple, ne serait-il pas temps de considérer des partenariats et un développement commun au lieu de se retrouver en concurrence sur le marché international, comme le Maroc et la Tunisie pour les engrais phosphatés ou comme l’Algérie et la Libye pour les engrais azotés. Devrait-on continuer à voir le Maroc et la Tunisie s’approvisionner auprès d’autres sources plus lointaines alors que de l’ammoniac est produit et exporté à partir d’Algérie et de Libye ?

Promouvoir la Sous-traitance à l’échelle maghrébine.
Pour faire face aux besoins en matière de sous-traitance des différentes industries existantes au Maghreb, et en particulier des industries pétrolière gazière et électrique, il est indispensable de promouvoir la sous-traitance notamment, la fabrication des pièces de rechange industrielles en s’appuyant sur un puissant tissu de Petites et Moyennes Entreprises (PME), qui fédèrerait toutes les expertises existantes au niveau maghrébin.
En effet, ce sont des sommes faramineuses qui sont, chaque année, dépensées en recourant à l’importation de pièces de rechange notamment industrielles alors qu’il existe un potentiel d’expertises et de capacités de sous-traitance, pouvant, si elles étaient consolidées et structurées en réseaux, répondre à la demande des pays du Maghreb.
Une telle dynamique s’appuierait sur les exigences de la maintenance industrielle et, articulée à l’activité d’engineering, permettrait d’accéder progressivement d’une part, à la fabrication à l’échelle du Maghreb d’équipements techniquement et technologiquement plus élaborés et d’autre part, à la mise en place de capacités de réalisations de projets. Le tissu industriel maghrébin, suffisamment développé, ferait alors appel aux universités et centres de recherche, facteur de développement du savoir faire.
Penser en commun le Développement durable avec la mise en œuvre de politiques communes et volontaristes, basées d’une part, sur l’économie d’énergie et l’efficacité énergétique et d’autre part, sur une large exploitation du solaire et de l’éolien.
Certes, les pays maghrébins ont, ces dernières années, initié séparément un certain nombre de projets de développement durable. C’est louable mais, nettement insuffisant à mon sens. Pourquoi ne pas développer des instituts de formation et des centres de Recherche & Développement maghrébins, dans les différentes filières, pour partager notre savoir faire et nos expériences ? Pourquoi ne pas faire du développement des énergies renouvelables notre cheval de bataille, notre ″cheval de Troie″ pour entrer dans l’arène réservée du développement technologique ? Pourquoi ne pas faire avec l’énergie solaire ce qu’autres pays ont fait avec l’électronique et l’informatique ?
Pourquoi ne pas considérer la mise en place, à l’échelle régionale, d’un grand nombre d’unités de production d’électricité solaire alliée, à la fabrication au Maghreb même, des équipements et accessoires. Une telle approche permettrait de répondre plus facilement aux critères de coûts et aux conditions du financement. Ce projet intégré contribuerait à mieux fixer les populations rurales et réduire ainsi les concentrations des villes, diminuer les tensions sur les ressources énergétiques et sur l’environnement. Un autre projet, celui-­ci pourrait porter sur la réduction des impacts du réchauffement climatique. En effet, plusieurs études montrent que la région méditerranéenne ne sera pas épargnée loin s’en faut, en particulier sa rive Sud qui sera très durement touchée dans les toutes prochaines années par ce phénomène.
Pour des raisons de sauvegarde ou pour le moins, de maintien des grands équilibres, les pays maghrébins se doivent de se préparer à cette mutation environnementale tout en faisant – et c’est là le paradoxe – face à l’augmentation inexorable de la demande en énergie. Il est vital pour nos pays de prendre, rapidement et dans un cadre global et intégré, des mesures pour pallier aux effets de la sécheresse, répondre aux besoins en eau et à une quasi-­‐ généralisation de la climatisation dans le bâtiment, réduire les rejets atmosphériques et autres. L’utilisation de technologies à faible émission de carbone, notamment le solaire et l’éolien, devrait être donc systématiquement mise en avant. Il y a urgence de mener des actions de sensibilisation et/ou des campagnes pédagogiques à destination de l’opinion publique.
D’une façon générale, des politiques énergétiques plus cohérentes sont à mettre en œuvre rapidement notamment, avec la mise en place de réformes réglementaires et d’instruments économiques incitatifs à l’échelle du Maghreb (restriction en matière de rejets, tarification de l’eau, taxes sur les pollutions, subventions pour les technologies propres, etc.).
Je dirais, en guise de conclusion, qu’il est de notre devoir à tous d’œuvrer résolument à mettre en place une transition économique afin que nos aspirations communes puissent être concrétisées. L’énergie pourrait être un facteur fédérateur dans les relations intra Maghreb et jouer un rôle moteur dans la mise en place d’une coopération équilibrée, solidaire et ambitieuse. Pour se faire, il serait nécessaire de réunir deux dimensions indissociables que sont l’entente politique et une approche commune pour affronter les défis auxquels fait face la région. Il est clair que le remodelage géopolitique en cours, la crise économique qui sévit et la marche, plus que jamais effrénée, de la mondialisation imposent à nos pays de faire, rapidement, les bons choix qu’ils soient d’ordre stratégique, économique ou politique.
Par Mustapha K. FAID, Président SPTEC Advisory
Source de l'article Algérie-Focus
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Mustapha K. Faïd est président de SPTEC Conseil, société de conseil et d’études, spécialisée dans le domaine de l’énergie. Ancien vice-président en charge du marketing et du développement économique de Sonatrach, leader algérien et méditerranéen de l’industrie pétrolière, il a également été directeur général de l’Observatoire méditerranéen de l’énergie (OME).

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