Urgences méditerranéennes

La campagne présidentielle a laissé peu de place à Méditerranée. Et pourtant, à l'heure des révolutions arabes et de la crise de la zone euro, elle représente, pour nous Français, pour nous Européens, une partie de notre avenir. En Méditerranée se trouvent les complémentarités et les solidarités dont nous avons collectivement besoin pour le développement, la stabilité et la sécurité de la région. 
Or, aujourd'hui, la crédibilité de la France en Méditerranée est sérieusement éprouvée, après cinq années d'effets d'annonce sans vision, de conception étroite des intérêts de notre pays. Ainsi, l'Union pour la Méditerranée, lancée sans consultations préalables par Nicolas Sarkozy en 2007, et qui promettait le rapprochement des peuples autour de grands projets d'infrastructures, a-t-elle tout du gâchis d'une belle ambition. Il en a découlé une zizanie inutile entre Européens et la déstabilisation du Partenariat euroméditerranéen, cadre certes imparfait mais puissant et réformable de la coopération euro-méditerranéenne. De leur côté, les Etats sud-méditerranéens se sont vus imposer, de façon unilatérale, une nouvelle formule institutionnelle pour un projet qui se voulait paritaire. 

Face à un tel gâchis, il faut dire clairement: non, les seuls projets d'infrastructures ne résolvent pas les conflits territoriaux ou politiques. Non, les relations entre l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée ne peuvent se fonder sur les seuls objectifs de sécurité et de blocage de toute circulation des personnes alors que la richesse de demain naîtra des échanges. Non, une politique de voisinage ne peut se faire sans associer les sociétés civiles et la diversité de leurs acteurs, politiques, économiques, associatifs, culturels. Il est donc urgent d'engager une rupture avec les errements passés et de proposer une ambition renouvelée pour les relations euro-méditerranéennes, ancrée dans le concret.
Car aujourd'hui, il y a urgence.
Urgence à répondre aux aspirations à la démocratie, à la liberté et au respect des droits humains que manifestent les citoyens du Sud -aujourd'hui, au prix de leur sang, les Syriens. N'imaginons pas que les prisons politiques des dictatures soient plus sûres que l'apprentissage de la démocratie. La France et l'Europe doivent, toujours, préférer accompagner les démocraties en devenir plutôt que traiter avec des dictateurs chevronnés.
Urgence à combler la triple fracture qui traverse la Méditerranée: une fracture de développement avec des différences de niveau de revenus de l'ordre de 1 à 10 entre le nord et le sud, et au sud une pauvreté qui touche plus du tiers des populations, l'un des taux de chômage réel les plus élevés au monde, et une croissance démographique qui nécessite la création massive d'emplois dans les deux prochaines décennies; une fracture d'interconnaissance entre les deux rives, les peuples du sud nous connaissant bien mieux que nous ne les connaissons; une fracture environnementale, la population au sud étant particulièrement affectée par la dégradation des milieux naturels qui met en péril des ressources communes indispensables à la vie: eau potable, énergie, disponibilité des terres arables, ressources halieutiques...
Urgence, pour nous Français, pour nous Européens, à sortir des contradictions qui se sont développées au sein du Partenariat euroméditerranéen. - Première contradiction: cette politique, à la naissance de laquelle la France a beaucoup contribué, se voulait porteuse d'échanges et de coopération. Or, l'Union Européenne, au cours des dix dernières années, est devenue une véritable forteresse du point de vue des circulations des personnes.
- Deuxième contradiction: l'émergence de nouveaux pouvoirs au sud nous invite à travailler ensemble, comme partenaires, dans le cadre d'une parité réelle. Ainsi, il est grand temps d'abandonner les conditions à sens unique dont nous assortissons nos politiques avec les pays du sud de la Méditerranée. C'est désormais sur un même respect des droits humains et à partir d'objectifs politiques et des engagements communs qu'il faut fonder notre coopération.
Urgence à mettre la jeunesse au centre de notre coopération, autour de priorités articulées autour de l'éducation, de la formation, de l'emploi. Il n'est pas inutile de rappeler qu'outre le désir de liberté, le printemps arabe s'est aussi nourri des révoltes économiques et sociales d'une jeunesse dont l'avenir a été pris en otage par des régimes corrompus et prévaricateurs. La réalisation de cet objectif suppose un développement économique réel, fondé sur la création durable de richesses, la sécurité alimentaire, et la préservation de l'environnement.
La France de 2012 doit répondre aux urgences qui s'imposent en réorientant sa politique pour redonner sens, moyens et avenir au partenariat entre les pays de l'Union Européenne et les pays du Sud de la Méditerranée. Il ne s'agit pas pour cela de proposer un énième cadre institutionnel, mais de rattraper le temps perdu et les opportunités gâchées. Il s'agit de construire un dialogue serein, fondé sur la confiance mutuelle, entre les partenaires et entre les peuples, autour de priorités agréées ensemble.
Notre ambition est de construire une Méditerranée viable et solidaire, fondée sur des coopérations efficaces et des objectifs politiques concrets et partagés. Ce qui comptera, pour nos pays, pour les peuples, ce seront les résultats. La France reviendra à sa vocation universaliste en mettant toutes ses forces au service d'une Euro Méditerranée des peuples, des sociétés et des cultures.
Source de l'article Huffingtonpost
Ce papier a été écrit à plusieurs mains, par les personnalités suivantes: Kader Arif, député européen, Diane Binder, spécialiste des questions méditerranéennes, Monique Cerisier Ben Guiga, ancienne sénatrice, Eric Diamantis, avocat, Miguel Moratinos, ancien Ministre espagnol des Affaires Etrangères et de la Coopération, et ancien Envoyé Spécial de l'Union Européenne au Proche-Orient et Leïla Vignal, spécialiste des questions méditerranéennes

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