A en croire les géopoliticiens des années 90, l’ouverture du mur de Berlin en 89 devait permettre à l’Europe de remettre dans le bon ordre les pièces égarées du puzzle européen que tous les grands décideurs politiques rêvaient d’assembler.
Ce nouvel ensemble consacra une destinée commune avant d’élargir ses frontières rapidement vers le Nord Est et le Sud Est jusqu’à intégrer 28 pays. Les pays du sud de l’Europe : la Grèce, la France, l’Espagne, l’Italie et le Portugal ont fini par se convaincre que la suite du feuilleton historique se jouerait vers le Sud du Sud, non par élargissement des frontières de l’UE mais par la création de valeurs en raison de la porosité avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée, enfin prête disait-on à l’époque, à impulser un virage économique plus libéral et entrepreneurial.
Le message subliminal de l’Union aux pays de la rive Nord de la Méditerranée, était qu’une nouvelle destinée économique leur tendait désormais les bras avec plus de croissance, plus d’échanges, plus de partenariats. Ce jeu économique vertueux tendance « domino express » devait même pour les plus optimistes, déclencher des appels d’air dans quelques pays d’Afrique noire comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Congo…
Nous sommes alors peu de temps avant les années 2000, le numérique investit déjà presque tous les champs sociétaux, l’Afrique continentale entame un cycle de croissance nominale de 5-7% par an et en tant qu’émergent, attire les investisseurs étrangers principalement Chinois.
Pendant cette double décennie, des régions autrefois illustres se refont plus ou moins discrètement une beauté en misant sur les grands facteurs de déséquilibre mondiaux (ou d’équilibre selon le parti pris) : le Printemps arabe, l’hyper croissance chinoise, le désengagement américain d’Irak, la volonté de puissance iranienne, le virus Ebola, la transition énergétique, etc.
Ces trois grandes régions, situées en deuxième rideau de L’Union européenne autour du triumvirat des 3 mers que sont la mer Caspienne, la mer Noire et le Golfe persique, placent ainsi leurs pions et bouleversent les courants d’influences traditionnels avec à leur tête la Turquie, le Qatar et l’Iran selon des fortunes de notoriété et de leadership contrastées, tandis qu’en premier rideau sur le pourtour de la Méditerranée, l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie revisitent leurs modèles politiques avec véhémence ou retenue selon les contextes, mais rien n’y fait !
L’impulsion vertueuse espérée n’est pas au rendez-vous, la Méditerranée ne s’emballe pas comme prévue et pis, elle crispe les partenaires européens et ce malgré les investissements considérables des grandes puissances, Chine en tête. Israël reste sur la période, la seule puissance en Méditerranée qui fait bonifier ses partenariats scientifiques, technologiques avec les meilleurs de la classe. Quelque fut la responsabilité politique des uns ou des autres, des crises énergétiques ou des aléas climatiques, il demeure aujourd’hui que le bassin méditerranéen et le continent africain dans son ensemble, ne peuvent assumer le rôle de locomotive que nous européens du Sud, souhaitions lui voir jouer, au grand regret des grands hubs de la Méditerranée, Gênes, Marseille et Barcelone, formatés et entraînés pour le grand soir de la libéralisation des flux !
Persévérance et volonté n’ont jamais constitué des éléments de stratégies pour faire avancer la cause de Marseille et de sa région en Méditerranée mais pourquoi finalement s’entêter depuis douze années, à développer les marchés avec le Sud de la Méditerranée, envoyer des dizaines de délégations associatives, institutionnelles, académiques et économiques en l’absence de résultats tangibles qui servent les intérêts des deux rives Nord et Sud.
Entretenir des relations diplomatiques fortes avec la Méditerranée est une chose, engager des moyens prioritaires sur cette zone en est une autre, c’est pourquoi à l’aube d’une élection régionale en Paca fin 2015 qui promet une belle empoignade sur le sujet de l’emploi, des transports et infrastructures, de la sécurité et du développement durable, lançons un vrai débat sur la stratégie régionale à l’international, qui examine enfin de façon pragmatique et équitable, les vrais enjeux culturels, humains et économiques des actions à entreprendre (ou à stopper) au sud et à l’est.
Pourquoi par exemple s’interdirait-on nécessairement la conquête de ce fameux deuxième rideau oriental qui portent les noms de : Mésopotamie, d’Anatolie, de Golfe arabo-persique, de Caucase… Au risque de froisser certains historiens et sociologues, la question n’est plus de savoir si la Méditerranée reste dans le jeu mais comment notre région pourrait monter en puissance sur les futurs hubs logistiques que vont devenir inévitablement Istanbul, Doha, ou Téhéran. C’est dans cette perspective que doivent aujourd’hui réfléchir, décideurs économiques, opérateurs logistiques (dont aéroports) et touristiques, acteurs académiques et recherche, dans le cadre d’un nouveau chapitre politique, au risque de passer à côté de l’histoire.
Souvenons-nous encore, lorsqu’en 2008 fut décidée l’Union pour la Méditerranée dont le siège sera fixée à Barcelone (au grand dam de Marseille qui avait défendu sa candidature avec peu de moyens de pression), nous étions convaincus qu’une étape historique se jouait sans les Marseillais. Cette décision d’implantation fut sans impact parce que vide de contenue et dénuée de momentum historique.
L’idée de vouloir placer implacablement la métropole marseillaise en position privilégiée sur la Méditerranée a fait long feu comme a fait long feu dans les années 80, le projet de rapprocher la Silicon Valley de la Maquiladora Mexicaine. Le leadership de Marseille en matière de desserte aérienne vers la Méditerranée et quelques pays d’Afrique noire n’est pas en soi un avantage s’il ne s’accompagne pas aussi d’un développement offensif vers les pays du 2e rideau dont on parle, car c’est bien au-delà du 1er rideau que les marchés vont croître au cours des 20 prochaines années. Sylvie Brunel, géo politologue et auteur de « Non, L’Afrique n’est pas si bien partie » ne dit pas autre chose lorsqu’elle dépouille argument contre argument, les raisons d’une faillite annoncée.
Notre rapport affectif à la Méditerranée est historique à défaut d’être vital, mais comme beaucoup d’histoires d’amour, elles finissent par nous aveugler, et nous pousser à la faute, oblitérant ainsi toute autre opportunité.
A force de surjouer depuis 20 ans les faux enjeux économiques avec nos voisins de la rive Sud et de surmarketer le « Med » dans toutes nos communications, Marseille s’est épuisée sans avoir extrait une plus-value de notoriété et d’affaires substantielles. Marseille avec l’aide de la Région Paca saura-t-elle repartir d’un bon pied sur les traces d’Aladin et de sa lampe merveilleuse au lendemain des élections régionales ?
Par Pierre Distinguin : Source de l'article Destimed
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