Dans ce texte écrit en mai dernier, à la veille de l’élection du Président Macron, mais toujours d’actualité, Alexandre Kateb et Karim Amellal esquissent les axes d’une coopération ambitieuse entre la France et l’Algérie.
Leurs mots-clés : pragmatisme, diversification économique, association de la diaspora, colocalisation, création d’un fonds pour fiancer des projets communs ainsi que d’un Office franco-algérien pour la jeunesse et d’une chaîne de télévision binationale…
Une Tribune libre de Alexandre Kateb et Karim Amellal
Le grand mérite du président François Hollande fut d’avoir normalisé les relations entre la France et l’Algérie, dès son arrivée à l’Élysée en 2012, et d’avoir hissé ces relations au rang d’un véritable partenariat stratégique. Toutefois, cinq ans après, ces relations bilatérales patinent [ce texte fut écrit en mai 2017, ndlr] et ne semblent pas avoir, concrètement, été à la hauteur de ce que beaucoup espéraient. Trop souvent encore, les mots l’emportent sur les actes. L’élection à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, un « ami de l’Algérie », selon les termes du président Abdelaziz Bouteflika, pourrait ouvrir une nouvelle ère. Une ère plus que jamais nécessaire.
La vision d’une génération pragmatique
En reconnaissant que la colonisation a constitué un « crime contre l’humanité » [lors de son voyage à Alger, en février 2017, ndlr], le nouveau président français a tourné une page importante de l’histoire. À 39 ans, il incarne une génération pragmatique qui veut surmonter le passé et bâtir un partenariat mutuellement avantageux entre les deux pays.
Rénové, approfondi, ce partenariat pourrait prendre pour modèle la relation qui s’est construite au lendemain de la guerre entre la France et l’Allemagne. Le couple franco-algérien pourrait ainsi être à l’espace euro-méditerranéen ce que le couple franco-allemand est à l’Union européenne, un moteur indispensable.
L’Algérie offre de nombreuses opportunités pour la France. Ce pays, le plus grand d’Afrique, doté de ressources minières conséquentes et d’importantes réserves en hydrocarbures, a décidé d’investir dans un programme d’énergies renouvelables avec un objectif ambitieux de 4 gigawatts à l’horizon 2020. L’Algérie est aussi le troisième pays le plus francophone du monde, avec une population jeune et éduquée, avide d’ouverture, créative, entreprenante.
Un programme de diversification économique
Nolens volens, face à la baisse des recettes d’hydrocarbures, le gouvernement s’est engagé dans un programme de diversification économique axé sur l’agriculture, l’industrie manufacturière et le tourisme, ainsi que sur l’économie numérique, qui bénéficie d’infrastructures de télécommunications parmi les plus performantes en Afrique (4G généralisée, fibre optique).
Bien sûr, beaucoup d’obstacles se dressent encore, de part et d’autre, sur le chemin d’une pleine et entière coopération.
Côté algérien, les lourdeurs bureaucratiques, la corruption liée à l’économie informelle et de vieux réflexes hérités de la période socialiste freinent encore le développement d’une économie dont le potentiel est considérable.
Côté français, le prisme migratoire et la prévalence d’une vision passéiste, voire de discours alarmistes sur une Algérie qui serait forcément au bord du chaos, faussent la perception des enjeux, et ne prennent pas en compte les profondes mutations intervenues dans un pays qui demeure un pôle de stabilité et de sécurité en Afrique du Nord.
L’association systématique des Franco-Algériens
En outre, grâce aux binationaux et à la diaspora algérienne installée sur son territoire, la France peut s’appuyer sur près de 2,5 millions de personnes directement liées à l’Algérie. Sans compter tous ceux, innombrables, à l’instar des rapatriés, qui ont gardé un lien affectif puissant avec ce pays.
Pour beaucoup de jeunes binationaux, la perception d’une relation amicale forte, apaisée, entre leur pays de naissance et le pays d’origine de leurs parents est un important facteur d’intégration, et d’acceptation paisible d’une double culture qui, lorsqu’elle n’est pas vécue de façon conflictuelle, est un avantage indéniable à l’ère de la mondialisation.
Le nouveau partenariat entre la France et l’Algérie devrait être fondé sur l’association systématique des Franco-Algériens à tous les projets de coopération conjoints, dans un esprit gagnant-gagnant qui se traduise par des actes, pour sortir d’une relation souvent perçue comme paternaliste, voire néocoloniale, par les Algériens.
De la colocalisation et un fonds pour des projets franco-algériens
Des verrous doivent aussi être levés, psychologiques pour la plupart, notamment en Algérie où les binationaux ne sont pas toujours bien accueillis, en dépit de la richesse qu’ils constituent pour le pays. Ce principe pourrait être décliné dans les faits à travers la création d’une grande fondation France-Algérie, et d’un fond d’investissement doté de moyens significatifs pour financer des projets franco-algériens, sur le modèle de la fondation AfricaFrance qui est centrée sur les pays d’Afrique subsaharienne.
En outre, une logique de colocalisation industrielle et de coproduction entre les deux pays pourrait être davantage encouragée à travers des rapprochements entre clusters et pôles de compétitivité, que ce soit dans l’économie numérique, l’industrie automobile, la santé ou le tourisme. On peut s’inspirer à cet égard de l’expérience du groupe algérien Cevital, qui a racheté il y a quelques années le groupe d’électro-ménager français Fagor-Brandt, et qui est parvenu à le redresser, en préservant les emplois en France tout en en créant de nouveaux en Algérie. Selon Issad Rebrab, le patron emblématique de Cevital, l’Algérie pourrait ainsi devenir « l’atelier de l’Europe ».
Créer un Office franco-algérien pour la jeunesse
La culture, l’éducation et la jeunesse doivent aussi devenir des priorités, des piliers, d’une relation qui les a trop longtemps laissées de côté, au profit du seul volant économique. Les partenariats qui unissent des établissements d’enseignement supérieur français et algériens sont encore trop peu nombreux.
Le même constat peut être fait dans le domaine de la recherche scientifique. Dans le domaine culturel, la relation entre les deux pays ne peut se limiterà la coproduction de projets cinématographiques ou d’expositions sur la guerre d’Algérie. La diaspora algérienne en France, qui regorge de talents dans le cinéma, la littérature, les arts plastiques, doit être mobilisée.
Ce partenariat culturel pourrait être renforcé par la création d’un Office franco-algérien pour la jeunesse, sur le modèle de l’OFAJ franco-allemand, ou encore par la création d’une chaîne de télévision binationale, sur le modèle d’Arte, conformément à une idée portée depuis plusieurs années par le journaliste Rachid Arhab.
C’est le sens de l’Histoire, mais aussi d’une évolution commandée par des intérêts communs. Pourvu qu’ils ne soient pas sacrifiés.
Par Alexandre Kateb (économiste-entrepreneur, a notamment conseillé la primature algérienne sur la diversification économique) et Karim Amellal (écrivain et enseignant à Sciences Po Paris) - Source de l'article Africapresse
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