La Jordanie n'a jamais connu autant d'attentats terroristes que durant l'année 2016 depuis les attentats d'Amman perpétrés le 9 septembre 2005 et qui avaient fait 60 morts. Durant l'année écoulée, le pays a subi 4 attentats revendiqués par Daesh.
Le dernier en date est celui du 19 décembre: l'opération de Karak s'est déroulée dans la ville située à 120 km d'Amman et faisant 10 morts dont 7 agents des forces de sécurité, un civil et une touriste canadienne. L'ensemble de ces attentats risque d'intégrer la Jordanie -qui était jusqu'alors considérée comme une oasis de paix en comparaison avec ses pays voisins- dans "le club" des états victimes de violences, terrorisme et d'instabilité.
La Jordanie, un indicateur d'inquiétude?
La dernière opération de Karak confirme de nouveau que les organisations djihadistes telles que Daech prennent pour cible la Jordanie et en veulent à sa sécurité politique et sociétale à travers une série d' d'attentats terroristes bien planifiés dans le temps et l'espace.
Le feuilleton du terrorisme en Jordanie a commencé le 2 mars 2016, quand les services de renseignement jordanien ont réussi à démanteler une cellule terroriste au nord du pays nommée "la cellule d'Irbid", qui s'apprêtait à passer à l'acte contre des positions militaires et civiles. L'opération s'est soldée par la mort d'un officier jordanien et sept extrémistes.
Le 6 juin -soit trois mois après- un homme armé a réussi facilement à entrer dans un centre des services de renseignements jordaniens proches du camp de Beqaa et à tuer 5 agents de sécurité. Le troisième attentat est survenu deux semaines après, soit le 21 juin lorsque un membre de Daech a foncé avec une voiture piégée sur un poste de sécurité à la frontière jordano-syrienne (opération d'Al-Rokban) ; ce qui a fait 6 morts et 14 blessés parmi les soldats.
En général, plusieurs facteurs peuvent expliquer ces attentats qui ont coûté la vie à 28 agents des services de sécurité jordanienne en 2016:
- Se venger de la Jordanie qui représente, d'une part, un allié classique fort de l'occident, et d'autre part, un membre actif dans "l'alliance internationale contre le terrorisme" en Irak et en Syrie, dirigé par les USA, et qui compte une soixantaine de pays, surtout après que les djihadiste aient fait chuter l'avion du pilote Moath al-Kasasbeh, et l'avoir brûlé vif, donc d'une manière horrible et inhumaine à la fin 2015.
- Il semble que Daech ait pris la décision de cibles les institutions sécuritaires en Jordanie, en particulier le service de renseignement considéré -selon la revue "Foreign Policy Journal"- parmi les 7 meilleurs services de renseignements au monde dans la lutte contre le terrorisme et la coordination avec les autres services similaires et qui obtient, donc, des résultats positifs dans la luttes contre ces organisations et déjoue ses plans terroristes idéologiques et militaires.
- Nuire au tourisme jordanien en s'attaquant au palais historique de Karak qui date du 12eme siècle, pour démontrer que la route qui mène de la capitale Amman au sud du pays n'est pas sécurisé, surtout que le sud abrite plusieurs villes touristiques telles que Karak, Aqaba, Petra, etc. Ainsi les groupes terroristes tentent à mettre en échec la stratégie de l'état jordanien qui s'articule sur le tourisme comme "une nouvelle ressource" après avoir perdu le soutien extérieur de la part des pays du Golfe qui font face à la chute des prix du pétrole et des dépenses grandissante dans la guerre en Syrie et au Yémen.
- Faire perdre la confiance sécuritaire entre l'état jordanien et la population en montrant la capacité de Daech à cibler n'importe quelle partie de la Jordanie à tout moment, à Irbid au nord (en mars), à Amman au centre (en juin) et au sud du pays (en décembre). Ainsi, l'organisation terroriste acquiert plus de sympathisants parmi les couches sociales, en particulier parmi les plus démunis qui souffrent de pauvreté, chômage, marginalisation et de la hausse des prix, ce qui signifie la création d'autres "cellule dormantes" et "des loups solitaires" sur la scène jordanienne dans l'avenir.
- Suite à la défaite à Alep et la ville de Mossoul est cernée, les groupes extrémistes tentent de trouver des « solutions pratiques » à travers l'expansion à l'intérieur de l'état jordanien et de s'implanter dans ce pays en cas de « défaite définitive » dans les pays voisins, la Syrie et l'Irak.
Malgré tous ces facteurs qui poussent les groupes terroristes à s'en prendre à la Jordanie et à créer un état de "sauvagerie" dans ce pays pour le faire plier, la réalité démontre qu'il y a un ralliement populaire, social et politique autour du pouvoir politique pour faire face à de tels groupes terroristes qui tendent à transformer le Jordanie en "état en faillite" submergé par le chaos à l'instar de l'Irak, le Yémen, la Syrie ou encore d'autres pays. En revanche, on peut dire que ces attentats dispersés, et complémentaires dans leurs objectifs de déstabiliser la Jordanie ont eu des impacts sur les couches politiques et militaires de la société jordanienne. Ces attentats ont poussé des généraux retraités à demander du roi Abdallah II de former "un gouvernement de salut national" et de renvoyer tous les directeurs actuels des organes sécuritaires (ce qui est une première), ainsi que de revoir les amendements constitutionnels qui ont liés les organes sécuritaires en la personne du roi et non pas au pouvoir exécutif, ce qui à empêcher le peuple et le pouvoir législatif de leur demander des comptes.
Beaucoup de questions restent en suspens; la Jordanie est-elle capable de faire face à la menace sécuritaire croissante à l'ombre d'une situation économique très difficile (35 milliards de dette qui représente 93% du revenu national), sans parler des réfugiés irakiens, syriens et yéménites qui représentent 40% de la population et qui épuisent les ressources du pays déjà faibles?
La Jordanie peut-elle faire face aux "marées montantes de terrorisme" sans une coordination sécuritaire de haut niveau avec tous les pays concernés, y compris la Syrie qui à commencer à se rétablir "psychiquement" après la reprise de Alep de la main des groupes terroristes?
Enfin, quelle est la position du peuple, des organes sécuritaires et de la sphère politique jordanienne vis-à-vis de "l'hypothèse" du retour de quelque 3000 djihadistes membres de Daech et du front Al-Nosra (ex- Al-Qaïda) accusés mondialement de terrorisme?.
En effet, la situation économique en Jordanie est fragile, certes, la situation politique est incertaine et la situation sécuritaire est préoccupante, ce qui oblige le haut commandement politique de l'état à mettre des scénarios et des alternatives allant des plus simples aux plus complexes, sinon, les jours à venir seront "un examen difficile" pour la Jordanie pour vaincre le terrorisme et aller de l'avant vers une Jordanie "modèle" de stabilité au Moyen-Orient, ou bien échouer devant la solidité de cette organisation terrorisme et la violence de ses coups, ce qui fera du pays un membre du "club des états non-sécurisés" tels que les autres pays de l'Orient arabe!
A problème euro-méditerranéen, il n'y a qu'une solution euro-méditerranéenne
On voit bien toute la nécessité de réinscrire le cas jordanien avec tous les autres pays de la Méditerranée qui se confrontent aux mêmes problèmes quelle que soit leur politique menée contre le terrorisme. Au nord comme au sud, la volonté de Daesh de toucher nos pays au coeur ou bien de déstabiliser certains pays arabes proches de l'Occident, ou ceux qui tentent de passer à la démocratie coûte que coûte avec bien du mal, est évidente. A la fois punir les Occidentaux pour leur désastreuse politique menée depuis des décennies dans la région, mais aussi "agiter" l'épouvantail musulman en renforçant leur propre stigmatisation au sein de nos sociétés pour entraîner des phénomènes de quasi guerre civile. C'est là tout le défi que les pays européens et méditerranéens doivent relever ensemble: ne pas céder au chantage du terrorisme aveugle et à la folie nihiliste de Daesh.
Au nord comme au Sud, les gouvernements sont impuissants pour trouver une solution à la crise économique et sociale, au creusement des écarts entre les deux rives de la Méditerranée, à résorber le chômage croissant des jeunes qui se retrouvent même diplômés sans avenir, à prévenir la radicalisation des jeunes tant que l'on est dans le tout sécuritaire. S'il faut bien reconnaître que ça marche un peu mieux dans les pays d'Afrique du Nord, et notamment au Maroc dont la lutte contre le terrorisme a été saluée par les Etats-Unis (...), ce n'est pas le cas encore en Europe et aujourd'hui dans des pays pro-américains comme la Jordanie.
C'est un enjeu majeur que de traiter le problème à la racine et cela ne pourra se faire sans une coordination euro-méditerranéenne à la tête et efficace. Le plan de lutte contre le terrorisme de l'UE de 2015 est un premier pas qui a des répercussions sur les politiques nationales. Mais il va falloir gérer de manière pragmatique l'affaissement voir l'effondrement de Daesh, le problème de "returnees", ces combattants formés qui vont revenir en Europe à la fin, la question des nouvelles vocations qui se dévoileront devant tant de déception face à un Califat qui n'aurait même pas duré cinq ans, la spirale montante des conflits autour du facteur religieux dans nos sociétés et Etats laïcs qui n'ont pas voulu interférer à aucun moment.
Il faudra éviter la contagion, et des pays dont on parle peu et qui commencent à être de plus en plus touchés, comme la Jordanie, est un mauvais signe. Si les attentats sont quotidiens en Irak, le terrorisme est déjà devenu banalisé en Turquie. Il ne faudrait pas que l'on s'y habitue ou qu'on les prenne comme une fatalité comme lorsque l'on attend impuissant l'arrivée d'un cyclone.
Par Sébastien Boussois (Docteur en sciences politiques, spécialiste Moyen-Orient) et Jamal Shalabi (Professeur de sciences politiques à l'université hachemite de Zarka) - Source de l'article Huffpostmaghreb
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