Dans cette interview avec La Tribune Afrique, Isabelle Bébéar, Directrice de l’International chez Bpifrance, détaille la stratégie de l'institution financière française à destination de l'Afrique.
Son fonds d'investissement dédié à l'Afrique, Averroès Finance, est sur le point de boucler son troisième cycle d'investissement, ouvrant la voie à un fonds numéro 4. Isabelle Bébéar nous livre également son retour d'expérience sur l'intérêt des entreprises françaises, clientes de Bpifrance, pour les opportunités d'affaires en Afrique.
La Tribune Afrique - De quelle manière Bpifrance intervient-elle sur le Continent africain ?
Isabelle Bébéar - Nous avons mis un focus particulier sur l'Europe et l'Afrique. Nous offrons aux entreprises françaises clientes des outils financiers et un accompagnement pour les stimuler à aller à l'international. Nous mettons en œuvre également des actions qui nous permettent d'augmenter la notoriété de Bpifrance en Afrique et de créer un grand réseau de partenaires professionnels pour nos clients.
Pour ce qui est de l'Afrique, nous avons une activité fonds de fonds. Nous gérons depuis 2003 avec notre partenaire Proparco, le fonds Averroès Finance. Il investit dans des fonds africains qui investissent à leur tour dans des PME africaines de différents secteurs. Nous avons lancé le cycle d'investissement de la troisième génération de ce fond et la quatrième devrait être lancée d'ici la fin de l'année.
Quelles est la stratégie d'investissement du Fonds Averroès Finance ?
Les fonds d'investissements dans lesquels nous investissons sont généralistes et couvrent plusieurs pays africains. Les secteurs d'activité sont très variés allant de l'éducation à l'industrie en passant par l'agroalimentaire et la santé. Il n'y a pas de segmentation sectorielle particulière, mais les fonds que nous soutenons ciblent évidemment des secteurs très porteurs en Afrique. En revanche, il y a des secteurs qui sont écartés, comme l'immobilier, les infrastructures et les mines.
Au-delà de la rentabilité des investissements qui est au rendez-vous, ils nous permettent également de créer un réseau d'équipes de gestion très professionnelles et de toucher de très belles entreprises africaines que nous pouvons mettre en relation avec nos clients français.
Nous venons par ailleurs, fin 2017, d'investir dans Partech Africa, qui est ainsi le premier fonds de capital risque que nous soutenons en Afrique.
Vous dites que Averroès III est sur le point de clore son cycle d'investissements. Qu'est-il prévu pour la suite quant aux investissements en Afrique ?
Nous prévoyons de lancer le fonds Averroès IV d'ici la fin de l'année 2018, car le fonds numéro 3 est quasiment totalement investi. Il fera partie de l'enveloppe d'un milliard d'euros d'investissements en Afrique annoncée par le président Emmanuel Macron lors de son discours à Ouagadougou fin novembre 2017.
Qu'en est-il des ressources du fonds d'investissement, sont-elles exclusivement publiques ?
Dans le tour de table d'Averroès III , il y a à nos côtés Proparco et deux banques privées libanaises, Bank Audi et Fransabank
Quid d'Averroès VI ? Peut-on envisager la participation de banques africaines par exemple ?
Nous n'avons pas encore débuté la levée de fonds, mais l'idée est d'embarquer d'autres investisseurs internationaux, mais aussi des banques africaines.
Les activités de Bpifrance ne se limitent pas à l'investissement. Quelles sont les autres actions que vous menez en Afrique ?
Nous avons une autre action importante en Afrique, celle de l'expertise. Nous conseillons des gouvernements africains qui veulent créer des structures similaires à Bpifrance dans leurs pays. Nous intervenons également auprès d'institutions financières qui existent déjà et qui veulent améliorer certains aspects de leurs activités, notamment des pratiques métier comme la cotation du risque ou encore l'approche des projets innovants par exemple.
Y a-t-il des projets concrets qui ont été réalisés en Afrique dans le cadre de vos actions d'expertise ?
Nous travaillons actuellement avec le ministère ivoirien des PME à la création d'un fonds de garantie pour le PME ivoiriennes. Nous venons également de terminer une mission de conseil au Maroc pour la création d'un produit destiné à financer l'innovation. Il s'agit d'un exemple typique notre action d'expertise sur le continent africain.
Bpifrance occupe une position privilégiée auprès des entreprises françaises qui se projettent à l'international. Comment évaluez-vous l'évolution de leur intérêt pour le continent africain ?
L'intérêt est vraiment là et il se renforce. Pour vous donner une idée, 70% de nos opérations sur le crédit-export, un produit que nous avons créé il y a 3 ans, concernent le continent africain.
Cela veut-il également dire que le risque est tellement élevé sur le continent que les entreprises françaises ont besoin de cet accompagnement pour y aller ?
L'on ne peut pas nier que l'Afrique reste un continent risqué, avec 54 pays et autant de risques différents. Mais en l'occurrence pour le crédit-export, il s'agit plus d'accompagner nos clients pour leur offrir un avantage compétitif, pour qu'ils puissent proposer à leurs clients africains une solution de financement pour les encourager à acheter du matériel français. Là ce n'est pas une question de risque.
Justement, la concurrence de certains pays comme la Chine, la Turquie ou même l'Allemagne devient de plus en plus féroce...
En effet, et c'est aussi pour ça que notre crédit-export est très prisé en Afrique par les entreprises françaises. Il y a de plus en plus de pays qui s'intéressent à cet énorme marché.
Est-ce que l'intérêt grandissant pour l'Afrique du voisin européen, l'Allemagne, impacte votre stratégie sur le continent ?
Non. Notre mission est d'accompagner les entreprises françaises. A partir du moment où nos clients nous demandent de les financer ou de les accompagner en Afrique, nous le faisons d'une manière très pragmatique. Les entreprises allemandes restent des concurrents parmi d'autres.
Les stratégies des partenaires de l'Afrique mettent toutes en avant un développement gagnant-gagnant, d'égal à égal. Encouragez-vous dans ce sens des projets de joint-venture et des co-investissements entre les entreprises françaises et africaines ?
Nous avons deux fonds d'investissement qui sont dédiés à cet aspect : le Fonds franco-tunisien et le Fonds franco-africain. Le premier, un peu plus ancien, est un fonds expérimental de 20 millions d'euros que nous avons créé avec la Caisse des dépôts tunisienne. Il est cogéré par AfricInvest pour la partie tunisienne et Siparex pour la partie française. Ce fonds investit dans les entreprises françaises qui veulent se développer en Tunisie et les entreprises tunisiennes qui veulent se développer en France.
Nous avons souhaité faire la même chose pour l'Afrique toute entière. Nous avons donc lancé l'année dernière le Fonds franco-africain, doté de 77 millions d'euros qui est géré entièrement par AfricInvest qui a à cette occasion ouvert un bureau à Paris. Il cible également les entreprises françaises qui veulent se développer en Afrique et les entreprises africaines qui veulent se développer en France. Ce sont nos deux outils pour permettre le développement des entreprises de part et d'autre de la méditerranée, mais aussi susciter des fusions et acquisitions entre entreprises.
Concrètement, quels sont les réalisations et les objectifs du fonds franco-africain ?
Il a déjà réalisé deux investissements côté français, et un peu plus côté africain. L'on est encore au tout début des 4 ans de sa période d'investissement et à priori, d'après les estimations des gestionnaires, nous aurons fini de l'investir en 2019. Pour le moment l'appétence pour ce type de fonds est certaine.
Bpifrance préside actuellement l'association Euromed Capital qui organise les 17 et 18 janvier la 6e édition de son Forum bisannuel à Barcelone. Quel sera l'enjeu de cette édition ?
Nous avons choisi la thématique de la digitalisation des entreprises, puisque de part et d'autre de la Méditerranée, nous nous sommes aperçus qu'une grande majorité de patrons de PME n'avaient pas mis la digitalisation au premier rang des priorités de leurs entreprises. Or, nous pensons que c'est quelque chose d'absolument stratégique pour leur développement et même leur survie. Sans une vision et une implication très forte du chef d'entreprise, les PME ne sont pas armées pour relever les défis actuels. Lors de cette édition, nous essayerons de convaincre tous les participants de l'importance de cette digitalisation et de leurs apporter des clés de compréhension de cette révolution ainsi que pour la mise en place d'une stratégie digitale au sein de l'entreprise.
Par Othmane Zakaria - Source de l'article La Tribune
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