Jusqu’à 10 000 réfugiés pourraient être évacués en 2018, grâce à ce système de couloir reliant l’Afrique à l’Europe.
Testés avec réussite au Liban, des corridors humanitaires reliant la Libye à l’Europe ont été mis en place depuis la fin de l’année 2017. L’objectif est de créer des parcours légaux, qui permettent aux États de gérer l’afflux de réfugiés, tout en assurant la sécurité de ces derniers durant leur déplacement. « En 2018, nous essaierons d’évacuer entre 5 000 et 10 000 individus », explique à L’Orient-Le Jour Roberto Mignone, représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Libye. Seules les personnes les plus vulnérables provenant d’Afrique subsaharienne seront concernées.
Souhaitant coûte que coûte se rendre en Europe, des dizaines de milliers de personnes ont recours à des passeurs pour quitter l’Érythrée, l’Éthiopie, la Somalie, le Yémen ou encore la Syrie. Les conditions de voyage sont terribles, les actes de violence sont fréquents et l’extorsion financière est routinière. En novembre 2017, un documentaire de CNN révélait les conditions de vie des migrants en Libye, en rapportant notamment que certains étaient vendus aux enchères comme des esclaves. Une situation que les accords conclus en 2011 puis en juillet 2017 entre la Libye et l’Europe n’ont fait qu’entériner. Un fonds européen est versé à Tunis pour empêcher les migrants de traverser la Méditerranée et les protéger.
Les corridors interviennent dans l’idée d’agir en amont, directement en Libye. « Le but est de leur éviter de risquer leur vie durant leur migration en Libye et à travers la Méditerranée », précise Roberto Mignone. Ce système est inspiré des couloirs instaurés en décembre 2015 depuis les camps libanais de réfugiés syriens et irakiens, créés à l’initiative d’associations religieuses italiennes comme l’association catholique Sant’Egidio. Au Liban comme en Libye, ces organisations travaillent en étroite collaboration avec le HCR pour repérer et enregistrer les réfugiés à évacuer directement dans les centres de détention et les camps.
Les plus « vulnérables » sont priorisés : les familles, les mères seules, les mineurs isolés, les femmes enceintes, les personnes âgées ou malades. Cette sélection varie selon les individus, explique Maria Quinto, responsable des corridors humanitaires au Liban pour Sant’Egidio, à L’OLJ : « Chaque situation est différente : certains ont un besoin urgent de partir, d’autres ont des problèmes de papier. Nous devons donc rencontrer les personnes plusieurs fois. »
L’architecture d’un couloir
Les migrants interceptés en mer par les gardes-côtes libyens « sont arrêtés et placés au sein de centres de détention gérés par la Libye », détaille Roberto Mignone. Conjointement, associations et HCR se rendent dans ces centres pour enregistrer les réfugiés, leur proposer des soins médicaux et une certaine protection. En 2017, 1 424 personnes ont été libérées et envoyées dans des infrastructures onusiennes à Tripoli. Ils sont ensuite emmenés soit aussitôt en Europe, soit placés dans un centre de transit au Niger.
Le processus d’asile commence par l’interrogation et l’évaluation des situations individuelles des individus. Les ambassades des pays d’accueils intéressés se rendent directement dans les centres pour les rencontrer. « Or l’Italie est le seul pays à avoir établi une ambassade à Tripoli », précise Roberto Mignone. Parce que Rome ne peut accueillir tout le monde, certains attendent à Niamey d’être interrogés et régularisés par les ambassades présentes et volontaires.
Entre novembre et décembre 2017, le couloir entre la Libye et l’Europe est inauguré par l’évacuation depuis Tripoli d’environ 390 réfugiés « vulnérables ». 162 ont directement été transportées à Rome, les 228 autres ont dû transiter par le Niger. Tout ce processus peut durer trois mois « si tout va bien », précise Roberto Mignone. Et l’encadrement se poursuit jusqu’aux pays d’accueil. « Nous demandons aux familles d’accueil de la communauté de prendre en charge les réfugiés syriens pendant un an après leur arrivée en Italie », explique Maria Quinto avec fierté. Depuis fin 2015, ces familles tutrices sont en charge de les aider dans leur intégration sociale et professionnelle. Ils sont hébergés dans des appartements privés et leur sont garantis des soins médicaux, des cours d’italien et la scolarisation de leurs enfants.
Un système gagnant pour tout le monde
« Actuellement, le système est perdant pour tout le monde, sauf pour les trafiquants. Nous voulons qu’il soit gagnant pour les pays, comme pour les réfugiés », insiste Roberto Mignone. La Libye, la France, l’Italie et la Belgique sont déjà convaincues. Au-delà d’un accompagnement total des individus, les couloirs humanitaires sont un moyen de contrôle du flux migratoire.
D’un côté, l’Europe filtre les individus en dehors de ses frontières. De l’autre, la Libye reçoit de l’aide financière, infrastructurelle et humaine pour gérer le passage des migrants et aider ces derniers à se stabiliser suite à la guerre civile de 2011. Pour ce qui est de la protection des populations, Maria Quinto assure en se basant sur son expérience au Liban que le système porte ses fruits. « Cela sera un bon moyen d’éviter le trafic et de sécuriser les migrants, quand les corridors seront plus récurrents et qu’ils transporteront davantage de personnes », précise la responsable de Sant’Egidio. Du reste, l’objectif de 10 000 personnes prises en charge promu par l’Italie, ainsi que la lutte contre l’immigration illégale sont conditionnés par la volonté et les capacités d’accueil des pays européens.
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