Isabelle Bébéar (Bpifrance et EuroMed Capital) : « La transformation numérique des entreprises est absolument vitale »

Isabelle Bébéar, Directrice de l’International et de l’Université à Bpifrance, Présidente de EuroMed Capital
Créée voici onze ans, l’association Euromed Capital regroupe désormais plusieurs centaines d’opérateurs : fonds d’investissement, entreprises bénéficiaires, institutions financières, cabinets conseil et autres acteurs du secteur, tous basés dans les pays du pourtour méditerranéen. 

L’objectif double de l’association : faciliter la mise en contact des acteurs économiques euroméditerranéens afin de stimuler les flux d’affaires entre eux, accompagner ses adhérents dans les transformations structurelles – et notamment la numérisation des entreprises, thème du VIe Forum de l’association, à Barcelone où sont attendus quelque 400 professionnels, les 17 et 18 janvier prochains.


Entretien exclusif avec Isabelle Bébéar,
Directrice de l’International et de l’Université à Bpifrance,
Présidente de EuroMed Capital
Pour son VIe Forum qui se tient à Barcelone, les 17 et 18 janvier, EuroMed Capital a choisi la thématique de la numérisation des entreprises. Pourquoi ce choix ? 
Isabelle Bébéar - Nous avons choisi d’organiser ce VIe Forum autour du thème de la digitalisation parce que, en tant que financeur des entreprises de la Méditerranée, nous avons fait le constat qu’il s’agit d’un sujet absolument stratégique.
À cette occasion sera d’ailleurs présentée l’étude réalisée par Bpifrance-Le Lab sur la digitalisation des entreprises françaises, sur comment réussir sa transformation digitale et, sans dévoiler dès maintenant les enseignements détaillés de l’étude, on peut relever un chiffre extrêmement inquiétant : 87 % des 1 800 dirigeants français de PME et ETI interrogés ne considèrent pas la transformation digitale comme une priorité stratégique !
Comment pouvez-vous réagir face à cet indicateur plutôt désolant ? 
Isabelle Bébéar - C’est en effet extrêmement étonnant et préoccupant. C’est pourquoi chez Bpifrance comme chez Siparex et AfricInvest, nos deux partenaires sponsors d’Euromed Capital, nous sommes bien sûr décidés à prendre toutes les mesures possibles pour convaincre les chefs d’entreprise que la transformation numérique est absolument vitale, que sans cela certaines entreprises disparaîtront, et que l’implication du dirigeant est bien sûr absolument essentielle.
D’où l’idée d’organiser ce forum sur ce thème. Viendront témoigner bien sûr des chefs d’entreprise, des fonds d’investissement, des conseils, des experts, des personnalités impliquées dans ce processus de la transformation digitale des entreprises.
EuroMed Capital va donc renforcer, son action de plaidoyer en faveur de la numérisation ? 
Isabelle Bébéar - Oui. Après ce forum de Barcelone, Euromed Capital organisera tout au long de l’année différentes activités dont certaines bien sûr auront trait au digital. Déjà, nous organisons par exemple des formations où les chefs d’entreprise des deux rives de la Méditerranée se rencontrent, nous proposons aussi des matinales, nous animons une communauté numérique avec notamment des conférences Web sur le site EuroQuity… [https://www.euroquity.com] Donc oui, la thématique du digital sera mise encore plus en avant en 2018.
Comme son nom l’indique, EuroMed Capital est tournée vers le sud méditerranéen, l’Afrique du Nord. Pour autant, la région dispose aussi de tous les outils de financement mis en place ces dernières années à destination de l’Afrique, non ? 
Isabelle Bébéar - Bien sûr ! Bpifrance est très engagée pour accompagner les entreprises françaises sur l’Afrique. Nous avons ainsi mis en place un certain nombre d’outils, dont par exemple le Fonds franco-africain géré par AfricInvest. Créé au tout début de l’année 2017, doté de 77 millions d’euros, il a bien sûr commencé à prendre des participations dans des entreprises africaines et françaises.
Et si nous sommes très impliqués en Afrique, les pays de Méditerranée n’en restent pas moins nos voisins immédiats, et notre coopération forte avec eux garde certes tout son sens, l’une n’exclut pas l’autre. En Tunisie comme en Algérie et au Maroc, nous intervenons indirectement au travers de fonds d’investissement : AfricInvest, Mediterrania Capital Partners, CDG Private Equity, qui sont les trois grands acteurs d’Afrique du Nord, et aussi un peu avec EuroMena.
Aujourd’hui tous les pays d’Afrique du Nord se positionnent comme hub d’entrée vers l’Afrique « profonde », comme on dit… 
Isabelle Bébéar - On peut considérer en effet qu’il y a aujourd’hui depuis le Maghreb plusieurs portes d’entrée vers la profondeur de l’Afrique. Mais dans notre activité, nous ne faisons pas de distinction entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.
C’est le cas quand nous investissons au travers de notre outil Averroès Finance, le fonds de fonds que nous gérons avec Proparco. C’est aussi le cas pour notre activité d’expertise ou de conseil auprès d’institutions financières ou de gouvernements africains. Idem pour le financement du crédit export des produits français.
Et vos critères d’investissement ? RSE, climat, égalité des genres… on présume que toutes ces préoccupations sont prises en considération dans vos choix, même indirects ? 
Isabelle Bébéar - Nous sommes maintenant assez en pointe sur ces sujets de respect des critères de RSE et autres. Ainsi nous demandons un diagnostic à l’entrée, et ensuite la validation d’objectifs tout au long de la réalisation de l’investissement. Nous sommes attentifs à cela chaque fois que nous choisissons un fonds d’investissement local. Pour autant le fonds en lui-même investit dans tout secteur d’activité, c’est sa responsabilité.
Vous coopérez avec l’Agence française de développement (AFD), qui s’affirme de plus en plus comme l’outil de référence pour notre diplomatie économique en Afrique ? 
Isabelle Bébéar - Bien sûr ! C’est le cas depuis longtemps via Proparco, la filiale de l’AFD dédiée au privé, partie prenante dans le dispositif Averroès Finance… D’ailleurs cette semaine nous avons justement une réunion entre les équipes de Bpifrance et de Proparco pour échanger sur nos nouveaux produits, sur notre façon de financer les entreprises, afin de créer une dynamique encore plus forte entre nous, pour que les équipes intègrent bien le réflexe de travailler ensemble. C’est aujourd’hui déjà une dynamique bien enclenchée, et que nous entretenons.
Vous avez mis en place des passerelles de coopération de « haut niveau », selon l’expression consacrée ? 
Isabelle Bébéar - Pour ma part je suis administrateur de Proparco. Un autre responsable de Bpifrance est membre du comité consultatif d’investissement de Proparco. Et nous avons effectivement des rencontres régulières, à la fois au niveau des équipes comme celle de cette semaine, et aussi au niveau du management.
Où en êtes-vous avec le Fonds Averroès ? 
Isabelle Bébéar - Averroès Finance III, le fonds actuel, sera totalement investi en 2018. Toujours avec Proparco, nous lancerons alors Averroès Finance IV, toujours dans l’objectif d’investir dans des fonds d’investissement panafricains généralistes pour la PME, sur toute l’Afrique.
Vous coopérez aussi avec Expertise France ? 
Isabelle Bébéar - Oui, sur la partie conseil et expertise, justement, nous coopérons sur les quatre principaux pays maghrébins, donc le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Libye. Par exemple actuellement nous œuvrons à partir de Tunis auprès de la Libye, pour y créer un fonds de garantie. Récemment nous avons aussi accompli plusieurs missions en Algérie, à la demande du gouvernement, pour l’installation d’une politique d’évaluation de leur dispositif d’innovation après la mise en place d’outils de financement.
Qu’attendez-vous de ce VIe Forum d’EuroMed Capital ? 
Isabelle Bébéar - Notre objectif est vraiment de porter la bonne parole. Ce plaidoyer est absolument essentiel, c’est ce que nous apprend le résultat de l’étude que j’évoquais. Car autant les grandes entreprises ont bien compris l’enjeu, autant une grande majorité de dirigeants de PME et d’ETI n’ont pas encore véritablement saisi la dimension du défi auquel nous avons à faire face. Donc nous nous projetons véritablement dans une posture de plaidoyer.
Mais bien sûr, il s’agit aussi d’une rencontre entre différents acteurs économiques de la Méditerranée, du nord au sud et d’est en ouest. Permettre ce partage, ces rencontres et la possibilité qu’elles ouvrent de se développer à l’international, c’est l’une des promesses fondatrices de l’association EuroMed Capital.
Le financement, la modernisation, le réseau… peut-on dire que ce sont-là les mots-clés de votre action ? 
Isabelle Bébéar - Que l’on agisse dans le financement d’entreprises françaises pour se développer en Afrique, ou que l’on exerce une activité d’expertise de fonds de fonds ou autre, l’une des finalités est toujours de créer un grand réseau de partenaires professionnels que l’on peut mettre en contact avec les entreprises françaises.
D’ailleurs, le fait que Bpifrance soit sponsor-président d’EuroMed Capital relève pleinement de cette logique. L’idée, notre grande logique, c’est de toujours mettre en relation nos clients français avec des interlocuteurs internationaux fiables et de qualité. Car pour se développer à l’international, et en Afrique en particulier, il faut trouver le bon partenaire !
Notre activité d’investissement dans des fonds africains nous permet ainsi de pouvoir compter d’une part sur les équipes d’investissement que l’on accompagne, et d’autre part sur les entreprises dans lesquelles elles investissent et qui peuvent être ou devenir des clients, des fournisseurs, des partenaires de nos clients français. C’est la clé de la démarche globale de Bpifrance à l’international, à laquelle EuroMed Capital adhère et participe.
Par Alfred Mignot - Source de l'article Africapresse

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