Au sein du monde arabe, le Maroc fait figure d'exception à bien des égards. Il n'a connu au cours des dernières années ni révolution violente sur le mode égyptien, ni guerre civile sur le mode syrien, ni brejnevisation du pouvoir sur le mode algérien.
Au contraire, voilà un pays dit "arabe" - plus exactement arabo-berbère - qui évolue de manière ordonnée vers la maturité institutionnelle, l'état de droit et la démocratie depuis une quinzaine d'années. Le référendum constitutionnel du 1er juillet 2011, avec son taux de participation de 70%, a permis de valider cette stratégie de réforme inscrite dans la durée.
Le contraste économique marocain
Sur le plan économique, la situation est plus contrastée. D'un côté, il y a un volontarisme certain et une détermination des autorités à faire "émerger" le pays, à travers notamment des plans sectoriels en faveur de l'agriculture, de l'industrie et du tourisme, ainsi que des réformes structurelles importantes comme la généralisation de l'enseignement primaire et, -de plus en plus-, secondaire, l'introduction de la couverture santé universelle, ou encore le développement des infrastructures. D'un autre côté, le poids de l'économie informelle et la dépendance vis-à-vis de l'agriculture restent fortes pour une grande partie de la population qui n'est pas encore insérée dans l'économie marchande organisée. Le Maroc est un pays où l'on peut croiser à la fois la technologie la plus pointue, avec le taux d'accès à Internet le plus élevé du monde arabe, et des pratiques d'agriculture vivrière ancestrales.
Face à ce constat, la cohérence d'une vision stratégique à long terme et la capacité à concrétiser cette vision sont déterminantes, ainsi que cela apparaît très clairement dans l'ouvrage collectif publié récemment à l'initiative de l'AMIE-Center. Son titre -Le Maroc stratégique : ruptures et permanences d'un royaume en mouvement- résume à lui seul la nature des enjeux. Il s'agit en effet de s'appuyer sur les atouts du pays (une population jeune, une forte cohésion nationale et une situation géostratégique privilégiée) afin de surmonter les pesanteurs structurelles (insuffisance du capital humain et physique, poids de l'économie informelle), et d'identifier les leviers d'action à même d'accélérer le développement du pays et d'en faire un modèle de prospérité et de stabilité dans la région euro-méditerranéenne.
Sur la base d'une analyse sur longue période, l'appréciation mitigée qu'on peut porter sur les performances économiques du Maroc, s'explique ainsi par le poids de ces pesanteurs structurelles et par la formidable explosion démographique à laquelle le pays a du faire face en un demi-siècle, avec un triplement de la population qui a fortement pesé sur les infrastructures, l'accumulation de capital et la croissance. La situation s'est quelque peu améliorée au cours des dix dernières années, en lien avec les grandes réformes de structures engagées et sous l'effet d'une conjoncture mondiale plus porteuse. Mais l'arrimage à une trajectoire de croissance potentielle plus élevée et de convergence avec les économies avancées n'est pas encore acquis.
Les impératifs stratégiques: Modernisation de l'agriculture, résorption de l'économie informelle et transition vers une économie de la connaissance
Il faudra pour cela, ainsi que je le suggère dans le chapitre consacré à ce thème, d'abord mener à son terme la modernisation du secteur agricole et rural et la transition de l'agriculture vers l'industrie et les services. La dualité de l'agriculture au Maroc est bien connue, avec d'une part un secteur agro-exportateur moderne et productif, et d'autre part plus d'un million de petites exploitations familiales morcelées qui ne disposent pas de la taille critique. Le Plan Maroc vert a été conçu dans ce sens, mais il faudra sans doute le coupler avec des mécanismes de transferts de revenus sur le modèle du programme Bolsa Familia au Brésil, afin d'encourager la scolarisation des enfants, ainsi qu'avec une extension des crédits accordés aux familles rurales afin d'encourager la diversification des activités et de fixer les populations, comme cela a été fait dans d'autres pays émergents.
Il faudra aussi définir une stratégie efficace pour résorber l'économie informelle, qui alimente la corruption et emprisonne l'économie dans une trappe à faible productivité, et qui empêche la diffusion d'externalités positives en matière de savoir-faire, de formation et de qualification. Là encore l'exemple du Brésil montre qu'il est possible de ramener des millions d'emplois vers l'économie organisée, en combinant à la fois une logique incitative - accès à la formation et à des ressources partagées en matière d'intelligence économique et de R&D au niveau sectoriel - et une logique répressive destinée à lutter contre l'évasion fiscale et sociale.
Enfin, ces réformes classiques doivent aller de pair avec une accélération de la transition vers une économie de la connaissance, à travers un investissement massif dans l'enseignement supérieur et la recherche, éventuellement sous la forme de partenariats publics-privés adossés à une régulation idoine. En effet, tant la théorie que la pratique montrent que le développement n'est pas un processus linéaire. Il est possible de sauter les étapes en intégrant les technologies disponibles au niveau mondial. Dans un univers de plus en plus concurrentiel, cette logique de leapfrogging (progression par sauts successifs) est seule à même de garantir - via une montée en gamme et une dynamique d'amélioration continue - la compétitivité des produits Made in Morocco, et in fine l'élévation de la productivité et des revenus. C'est à dire la convergence avec les économies avancées.
Par Alexandre Kateb - Source de l'article Hufftpostmaghreb
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire