Plus de trois ans après la fin de l’ère Ben Ali, la Tunisie n’a récupéré qu’une infime partie des biens détournés par l’ex-couple présidentiel et ses proches.
L’Union européenne soutient le processus de restitution des biens mais les décisions judiciaires relèvent des États membres.
« Plus de trois ans ont passé, et nous attendons toujours que les pays veuillent bien nous transmettre les informations sur les avoirs gelés. »Mohamed Askri, avocat général, conseiller du ministre tunisien de la justice et membre du comité de recouvrement des avoirs mal acquis, trouve le temps très long.
« Sans informations sur les comptes bancaires, il demeure impossible de retisser la toile d’araignée des sociétés écrans et des biens disséminés,déplore-t-il. Parmi les quelques comptes auxquels nous avons eu accès, l’un d’entre eux nous a orientés à lui seul vers treize autres comptes de sociétés écrans appartenant à la même personne. Or des comptes, il en existe des centaines. C’est dire combien la réalité nous échappe encore. »
Une vaste entreprise de détournement de fonds
Le nouveau pouvoir tunisien veut récupérer les biens mal acquis de l’ancien président Ben Ali et de son épouse Leila Trabelsi, chassés du pouvoir le 14 janvier 2011. Ils étaient à la tête d’une vaste entreprise de détournement de fonds qui leur avait permis de mettre la main sur plus de 21 % des bénéfices réalisés par le secteur privé de la Tunisie, selon un rapport de la Banque mondiale publié en mars.
L’Union européenne a lestement réagi en gelant dès janvier 2011 les fonds et avoirs de 48 personnes responsables de détournement de fonds publics tunisiens. Elle a créé une « task force » commune avec la Tunisie, organisé des séminaires, soutenu la création d’un forum arabe pour le recouvrement des avoirs (Afar), etc. Elle a multiplié les initiatives pour accélérer le processus de restitution, considéré comme un élément essentiel du soutien à la transition démocratique tunisienne.
Au bout de trois ans, le résultat reste toutefois maigre en dépit des 41 commissions rogatoires internationales (et 40 commissions rogatoires complémentaires) lancées par la justice tunisienne. Seuls deux avions qui se trouvaient sur les sols suisse et français et deux yachts en Italie et en Espagne ont été restitués, sans oublier, hors du sol européen, le recouvrement de 20,7 millions d’euros dissimulés sur un compte au Liban.
Une volonté politique de faire bouger les choses
Il est vrai que, si l’UE a jugé prioritaire cette question, ses pouvoirs se limitent au gel des avoirs. Elle n’a aucune compétence pour leur recouvrement et rapatriement qui relèvent des États membres.
« L’Europe a une volonté politique de faire bouger les choses », reconnaît l’avocat suisse Enrico Monfrini, chargé de la traque des biens mal acquis pour le compte de la Tunisie. « Pour les pays, c’est une autre paire de manches. »
Certains États comme l’Espagne ou l’Italie ont agi en pays « modernes et réactifs », selon Me Monfrini qui souligne aussi « l’exemplarité » de l’Allemagne.
Quant à la France, « elle affirme sa détermination à agir après s’être longtemps illustrée par l’absence de poursuites et de coopération judiciaire en la matière », estime-t-il. Le ministère des affaires étrangères fait valoir l’extrême complexité des procédures pour justifier qu’il n’y ait pas eu encore de restitution, concernant notamment un imposant parc immobilier.
UN ÉNORME DÉFI
Signe des nouvelles dispositions françaises, un magistrat de liaison a été détaché en décembre dernier à Tunis pour faciliter l’entraide judiciaire. Toutefois, Mohamed Askri reproche à la France de n’avoir toujours pas transmis les documents relatifs aux avoirs du clan Ben Ali-Trabelsi pourtant réclamés depuis novembre 2012.
« C’est un énorme défi que de prouver le lien entre un actif et un acte de corruption qui a eu lieu des années auparavant surtout lorsque celui-ci revêt toutes les apparences de la légalité », explique Jean-Pierre Brun, magistrat détaché auprès du programme pour le recouvrement des avoirs volés (initiative Star) de la Banque mondiale et des Nations unies.
S’inspirer de la jurisprudence Suisse
À ses yeux, les États pourraient s’inspirer de la jurisprudence suisse qui a inversé la charge de la preuve : « Dès lors qu’il est prouvé qu’un groupe de personnes agit comme une entreprise criminelle en détournant l’appareil d’État d’un pays, il revient aux membres de ce groupe de prouver l’origine légitime de leurs avoirs. »
En vertu de ces dispositions, la justice helvétique a ordonné le 9 avril dernier le rapatriement de l’équivalent de 29 millions d’euros à la Tunisie.
Si, in fine, les biens mal acquis placés en Europe finiront sans doute par être restitués à la Tunisie, « il n’est pas sûr, conclut Jean-Pierre Brun, que l’Europe soit le lieu où il y ait le plus d’actifs illicites réfugiés ».
Par Marie Verdie - Source de l'article La Croix
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