Ce n’est pas si mal d’être un trait d’union entre deux mondes!
D’un côté, le Maroc regarde l’Union européenne, notamment la zone euro et plus particulièrement la France et l’Espagne.
Pour lui, ce sont des amis et des partenaires historiques dont il connaît bien l’histoire et partage beaucoup de valeurs. Symétriquement les Français bien sûr, mais aussi les Espagnols et les autres européens, regardent le Maroc comme un partenaire important et fidèle, un des quelques grands pays stables de la région. Un pays qui déploie, année après année, une politique d’ouverture et de modernisation dans tous les aspects de la vie économique et sociale.
D’un autre côté, le Maroc regarde l’Afrique, notamment l’Afrique sub-saharienne, comme un territoire où il est attendu et apprécié pour l’ensemble des apports techniques et scientifiques qu’il peut y faire. Le Maroc sait parfaitement que l’Afrique se développe à vive allure et qu’il a tout intérêt à travailler avec des économies porteuses mais encore très émergentes – et qui ne sont pas toujours faciles.
La transition théorique est tout de suite faite entre Maroc et Europe d’un côté, Maroc et Afrique de l’autre. C’est une des positions stratégiques les plus importantes qu’on peut imaginer, sachant que celle-ci est déjà ancienne et acceptée. Le Maroc peut ainsi réussir ce double rôle, un rôle qui peut profondément modifier son avenir.
Le Maroc, à la sortie de crise de l’Europe et à l’émergence de l’Afrique
Entre Maroc et Europe d’une part, les relations se renforcent constamment. L’Europe comprend tout l’intérêt de mener au Maroc des activités de production de biens (l’automobile après le textile) et de services (services de facturation et plus généralement de near sourcing) dans un pays compétitif et surtout sûr. La France voit ainsi le Maroc à la fois comme un lieu de production pour son marché domestique et pour ses capacités de hub avec les autres pays du continent. Les infrastructures sont là et s’améliorent. L’intégration biens et services, décisive dans la nouvelle compétitivité, se met en place. Le pays veut participer à cette évolution, son printemps à lui, en en maîtrisant autant que possible le rythme et les retombées. Ce qui est une bonne chose.
L’intéressant est que la forte proximité entre Europe et Maroc, entre France et Maroc notamment, rend rapides les échanges et la perception des besoins. L’Europe du Sud a bien compris qu’une bonne part du succès allemand venait de son hinterland, des liens techniques et productifs qu’elle avait noués avec les anciens pays de l’Est, Pologne et Tchéquie notamment. Et l’Europe du Sud sait bien qu’elle n’a pas d’hinterland, sauf à franchir la mer. Son extension à moyen terme, et la clef de son rebond, passe ainsi par la mise en place d’unités de production plus larges que celles installées en Europe et bénéficiant, pourquoi le nier, de conditions de coût plus favorables.
Le Maroc comprend parfaitement ce glissement productif qui lui vient d’Europe, sachant qu’il est lui-même concurrencé par les activités à moindre coût de main-d’œuvre qui se développent en Afrique. Il doit bouger. Il pourra ainsi, à son tour, organiser sa propre délocalisation et en bénéficier, en en conservant en partie la maîtrise, notamment au niveau des process.Ainsi entre Maroc et Afrique, les relations ne pourront aussi que se renforcer, notamment bien sûr dans la partie francophone. La langue joue, la culture, et aussi les règles comptables et plus encore juridiques.
Le défi va être, pour le Maroc, d’intégrer pleinement ce rôle d’intermédiaire ou, mieux, de «passeur d’activités», pour le compte de l’Europe et pour son propre compte. C’est une ingénierie particulière qui implique de dépister ce qui va bouger, de faire des démarches pour recevoir au Maroc même ou dans les pays limitrophes les activités qui bougent. C’est une sorte de «management de transition», mais au niveau d’entreprises, voire de filières. Ceci, à ma connaissance, n’a jamais été entrepris de manière raisonnée et intégrée. On se souvient, il y a quelques années, que certains «experts allemands» s’étaient inquiétés de la déperdition du savoir-faire germanique en matière industrielle au bénéfice (je cite) d’une «économie de bazar», où les produits étaient désormais plus conçus puis assemblés en Allemagne qu’entièrement produits dans ce pays. On voit les résultats de ce type de choix: un étonnant succès dès lors que le processus est dominé. Plus personne ne parle plus d’économie de bazar désormais pour l’Allemagne! Aucun pays ne fait plus tout, le «made in» a de fait disparu, l’essentiel étant de faire la part importante ou décisive du tout. Dans le cas du Maroc, en pleine sortie de crise mondiale, de restructurations d’activités et de chamboulement de filières, on voit l’enjeu. Il s’agit d’aller au-devant de ce changement qui commence. N’est pas l’intermédiaire entre deux continents qui veut.
La mise en place d’une stratégie
On le comprend, ceci veut dire que le Maroc doit renforcer – si cette stratégie lui convient – ses liens des deux côtés (Europe et Afrique) et ses capacités d’analyse. Il lui faudra mettre l’accent sur ce qui va bouger dans les années à venir pour comprendre et anticiper ce mouvement. Ceci passe par des plans légers, avec un important effort de formation et une véritable démarche commerciale adaptée à chaque cas. Les financements viendront alors, à l’appui des projets. D’ores et déjà, il faudra penser aux activités de recherche nécessaires à cette stratégie: recherche pour dépister (on l’a dit), recherche pour accueillir avec une valeur ajoutée spécifique à mettre en place (cadres, ingénieurs…), recherche sur les filières logistiques à mettre en mouvement.
Etre un organisateur des mouvements entre deux acteurs mondiaux qui bougent, une Europe qui sort de crise et une Afrique qui se prépare à un rôle historique, celui du nouveau continent émergent… ce n’est pas si mal d’être un trait d’union entre deux mondes!
Par Jean-Paul Betbèze (Président de Betbèze Conseil SAS, cabinet d’études et de conseil. Il est membre de la Commission économique de la nation et du Bureau du Conseil national de l’information statistique (France) - Source de l'article l'Economiste
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