Seul les rêveurs pouvaient croire qu’il allait sortir quelque chose de la réunion tenue le 23 avril à Meknès, en marge des Assises de l’Agriculture, entre le ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch et le Directeur général de l’Agriculture et du développement rural de l’UE, Jerzy Bogdan Plewa.
Tout au plus, les discussions à huis clos sur les prix d’accès des fruits et légumes marocains au marché de l’UE ont débouché sur un accord pour la poursuite au cours des prochains jours à Bruxelles des négociations. Il ne faut pas être grand juriste pour comprendre que ni le président de la Commission européenne ni celui du Conseil européen et encore moins Plewa ne pourraient revenir sur la modification du système des prix d’accès des fruits et légumes marocains sur le marché de l’UE.
Cette décision a été entérinée le 14 avril dernier par le Conseil de l’UE après avoir été adoptée le 7 avril par la Commission de l’agriculture au sein du Parlement européen. Pire, à l’heure où toute l’attention est focalisée sur les élections européennes, les interlocuteurs du Maroc savent qu’ils peuvent se brûler les ailes au moindre faux pas. Donc, leur prudence est totale. Comme pour rendre aux Européens la monnaie de leur pièce, le Royaume prend son temps dans le processus de finalisation de l’accord de pêche, conclu en 2013 avec les l’UE, et devant permettre à 126 bateaux de pêche européens, espagnols pour la plupart, à pêcher dans les eaux marocaines.
« L’absence de finalisation par le Maroc de son processus de ratification interne est regrettable », a déclaré récemment la porte-parole de la Commission de l’UE pour la Pêche, rapporte l’AFP. Et Helene Banner d’ajouter, selon la même source : « La Commission attend du Maroc qu’il conclut le plus vite possible ce processus ».L’agacement des Européens pour profiter des ressources halieutiques marocaines n’a d’égal que celui des exportateurs marocains de fruits et légumes. Le Maroc et l’UE pourraientils s’acheminer vers une partie de tir à la corde ou, de part et d’autre, vontils plutôt lâcher du lest ? Pour l’heure, l’orage actuel qui traverse le ciel entre les deux pays ne laisse rien entrevoir.
Mais quelle mouche a piqué l’UE ?
Pour Hakim Marrakchi, président de la commission de coordination des comités d’affaires de la CGEM, cette volte-face de l’UE révèle la fragilité de cet accord de libéralisation, entré en vigueur il y a à peine deux ans, qui fut, pour nombre d’observateurs marocains, mal ficelé au grand profit des Européens. Depuis cette date, le Maroc pouvait exporter 55% de ses produits sans droits de douane, contre 33% auparavant, et les exportations de l’UE vers le Maroc devront passer sur 10 ans à 70% sans droits. Résultat : les exportations marocaines vers l’Europe ont réalisé un bond, pour les tomates, de 163.000 tonnes en 2004 à 365.000 tonnes en 2013, soit une hausse de 123% en moins de 10 ans.
Fouad Benabdeljalil de l’Association marocaine des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL) met en garde contre les conséquences graves que pourraient subir les exportations agricoles marocaines après la modification des conditions d’accès au marché européen : « Cette situation provoquerait la perte de 100.000 à 150.000 emplois en raison de suspension de 70 % des exportations du Maroc de tomates et causera de grands préjudices aux exportations du concombre, de la courgette et de clémentine ». Pour Houcine Aderdour, président de la fédération interprofessionnelle de production et d’exportation des fruits et légumes, suite à cette décision, plus de 50% de nos produits agricoles ne seront plus exportés en Europe.
Techniquement, les nouvelles restrictions soumettent le dédouanement des produits sur la base d’une valeur forfaitaire à l’importation (VFI), calculée par les services de la Commission selon des critères qui lui sont propres, sans pouvoir avoir recours, comme auparavant, à la valeur réelle et individuelle du produit dédouané, c’est-à-dire le prix effectif de la vente. Ainsi chaque fois que la valeur forfaitaire à l’importation d’un produit sera inférieure au prix d’entrée convenu, l’exportateur sera contraint d’interrompre l’exportation au risque de payer une forte taxe. « Les centrales d’achat, qui dominent à 80% les circuits de distribution des produits ne pourront probablement pas continuer de s’approvisionner auprès d’un fournisseur qui, pour des raisons règlementaires, sera rendu incapable de respecter ses engagements en matière de plannings de livraisons », prévient Benabeljali.
Et d’ajouter :« Les fruits et légumes originaires du Maroc risquent d’être cantonnés dans l’approvisionnement d’appoint des grandes surfaces, en cas de défaillances conjoncturelles des fournisseurs attitrés. Ce serait alors l’anéantissement d’un secteur après tous les investissements réalisés en termes de modernisation des structures de production ».
Les opérateurs dénoncent
L’Etat marocain ne va rester les bras croisés. Les agriculteurs non plus. D’ailleurs, aussitôt la décision européenne entérinée, les professionnels du secteur agricole ont organisé, une manifestation près du siège de la délégation de l’Union européenne (UE) à Rabat. « Cette manifestation vise à dénoncer la décision de l’UE de modifier le régime des prix d’accès des fruits et légumes marocains aux marchés de l’UE qui signifie le retour au régime en vigueur avant la signature de l’Accord d’Association entre le Maroc et l’Union Européenne en 1996 et constitue un recul majeur par rapport aux différents accords agricoles signés depuis, par les deux parties », souligne Omar Mounir le vice-président de la Fédération interprofessionnelle de production et d’exportation des fruits et légumes (FIFEL). Même son de cloche de la part de Mohamed Ajana, membre de l’APEFEL. Lui aussi estime que les efforts déployés par les producteurs exportateurs marocains de fruits et légumes pendant les 15 dernières années seront réduits à néant.
Que faire maintenant ?
Certes l’UE demeure notre partenaire privilégié mais pas exclusif. Une partie des exportations des fruits et légumes sont destinés aussi au marché russe qui sera la planche du salut. Ce sera alors le même scénario que celui pour les agrumes qui ont tourné le dos au marché européen vers celui russe. Le Maroc peut-il se tourner vers d’autres marchés tel que celui de l’Afrique ? « Non ! », rétorque Hassan Beabderrazik, expert de renom en agriculture. « Nos exportations connaissent une forte croissance en direction des pays de l’Afrique de l’ouest, de l’ordre de 30% annuellement, mais les volumes restent faibles.
Le marché européen demeure de par sa taille et sa proximité irremplaçable », assure-t-il. Ahmed El Amrani, président de la commission de l’agriculture, du développement rural et de la pêche, au Conseil régional de Rabat affirme que « l’agriculture marocaine est de grande qualité en comparaison avec l’agriculture européenne, ce qui explique cette tentative qui vise à achever notre agriculture ». Selon ce responsable, tous les agriculteurs et les chambres agricoles du royaume sont prêts à réagir contre cette décision, quitte à boycotter toutes les matières premières importées de l’Union européenne.
« Il s’agit là d’un message politique fort qui confirme aujourd’hui que nous avions accordé des avantages dans le cadre de l’accord de pêche que nous n’aurions peut-être pas dû accorder. Nous devons revoir notre position à la lumière de ce nouveau fait. Heureusement le Maroc dispose encore de la carte de la pêche comme moyen fort capable de renverser la vapeur dans ses négociations avec le partenaire européen », insiste-t-il. Zakia Driouch, secrétaire générale du secteur de la pêche maritime au sein du ministère marocain de l’Agriculture et de la Pêche maritime, abonde dans le même sens : « L’accord de pêche Maroc-UE n’est pas définitivement approuvé, et il prendra tout son temps pour cet effet ». Le Maroc dispose d’une autre carte, celle du projet d’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), actuellement en discussion entre Rabat et Bruxelles. Or il n’est de l’intérêt de personne qu’une partie de qui perd gagne soit engagée entre le Maroc et l’UE
Par Mounia KABIRI KETTANI et Mohammed ZAINABI - Source de l'article l'Observateur du Maroc
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