A qui voulons-nous accorder l’asile ?

Combien de morts encore pour que le drame migratoire ne soit plus considéré comme un phénomène passager, un « état de crise », mais bien comme le signe d’une déstabilisation durable ? 

Résultat de recherche d'images pour "drame migratoire"Combien d’enfants, de femmes et d’hommes fuyant les guerres civiles, encore sacrifiés sur les routes périlleuses de l’exil en voulant éviter les contrôles, le refoulement ou la détention, avant même d’avoir pu demander l’asile, comme les y autorise pourtant la Convention de Genève ? Combien de temps encore pour que la question migratoire soit traitée comme une priorité absolue ?

Face à la pression humanitaire, le régime d’asile européen commun (RAEC) se trouve contraint de changer de nature. Mis en œuvre depuis le conseil de Tempere en 1999, son cadre juridique reste moins soucieux de la protection internationale des étrangers que du renforcement des frontières extérieures face aux risques supposés de la migration.

Il semble que s’éveille à ce sujet une prise de conscience et de responsabilité politique. C’est ce qui ressort des déclarations d’Angela Merkel et de François Hollande à Berlin sur la « gravité » de la situation et la mise en place rapide au sein de l’UE d’un « droit d’asile unifié» et d’une «politique migratoire commune » avec « un mécanisme permanent et obligatoire » d’accueil des réfugiés. Propositions qui seront « soumises » le 14 septembre à un conseil des ministres de l’intérieur de l’UE, avant la tenue d’un sommet européen. Ces déclarations sous-entendent l’incapacité actuelle à prévenir et empêcher les drames humains dont l’actualité témoigne chaque jour. Espérons que cet appel franco-allemand à « l’unification » soit entendu autrement que comme une énième phase du long et chaotique processus d’harmonisation du régime d’asile européen commun.

Un projet de droit d’asile unifié, soit, mais à quelle échelle ? Strictement régionale ? Inter-régionale ? Autrement dit, quelle place accorder aux États voisins dans la négociation de ce projet d’unification européen ?

Résultat de recherche d'images pour "drame migratoire"Le problème est loin d’être périphérique. Au contraire, il en est même le cœur d’enjeu. La place et la considération accordées aux pays du Sud de la Méditerranée dans ce processus sont déterminantes.

L’enjeu d’unification de l’asile est d’autant plus complexe à mettre en place que l’UE y engage depuis 20 ans les États voisins de l’Afrique et de l’Est de l’Europe, pays d’émigration devenant aussi pays d’immigration et de transit. Dès la fin des années 1990, la plupart des États d’Afrique du Nord, comme ceux de l’Afrique de l’Ouest, ont accepté de s’engager dans la politique menée par l’UE pour définir leur politique migratoire, alors même qu’il n’était pas dans une situation d’égalité pour négocier. Le processus de Barcelone, lancé en novembre 1995 par la Conférence euro-méditerranéenne, a tenté d’établir les bases d’un cadre multilatéral de coopération entre l’UE et 12 pays méditerranéens. Cette politique euro-méditerranéenne de contrôle aux frontières s’est par la suite caractérisée par un large éventail d’accords pour endiguer les flux clandestins : modification de la législation des États maghrébins sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers ; collaboration de plus en plus étroite avec les pays de l’Union européenne dans la lutte contre les migrations irrégulières, comme pour la Tunisie (loi de 2004), le Maroc (2003), ou l’Algérie (2008) ; formation du personnel de surveillance du littoral et équipement en nouveaux matériels de détection ; développement de projets transfrontaliers de coopérations économiques et culturels.

On peut analyser ces stratégies de coopération bilatérale et multilatérale, développées par l’Union dans le champ des migrations ces vingt dernières années, comme un renforcement du déséquilibre des richesses, une externationalisation de son contrôle, un transfert du coût de la migration accentuant le fardeau de l’asile sur les pays les plus fragiles, sans assurance d’effets en retour. Cette politique ne serait au mieux qu’un des avatars du recul du politique sur l’économique, au pire un nouvel épisode de la néo-colonisation…

On peut penser au contraire que cette politique de coopération est le signe d’un tournant dans les rapports Nord-Sud : les pays de départ, certes considérés dans une relation économique dissymétrique, deviennent cependant des partenaires politiques à part entière, responsables de leurs émigrants comme de leurs immigrés. Autrement dit, loin d’être la seule expression d’une délocalisation de la responsabilité européenne en matière d’asile, elle serait le signe d’une responsabilisation des pays d’origine sur la gestion de leur politique migratoire - longtemps abandonnées au gré des nécessités économiques - et d’une prise en main législative en matière de protection des réfugiés. Sans doute ces deux interprétations ne sont-elles pas exclusives l’une de l’autre…

Les événements politiques de 2011 ont indéniablement constitué un autre tournant dans la politique de coopération de ces pays avec l’UE. Et surtout dans leur processus d’appropriation de l’encadrement des migrations et du droit des réfugiés. Le fort développement des sociétés civiles maghrébines et leurs revendications en matière de respect des droits humains des étrangers, soutenues en cela par le HCR (Haut Commissariat des Nations unis pour les Réfugiés), ont impulsé une dynamique de changement au point que des régimes d’asile jusqu’ici inexistants sont en projet dans quatre États maghrébins (Mauritanie, Algérie, Tunisie, Maroc).

Victimes de crises politiques ou d’infortunes du climat, sous régime autoritaire ou sous guerre civile, en période de délitement de la nation ou de recréation de califat, sous terrorisme d’État ou sous dictature militaire, en plein massacre de masse ou au cœur de crimes génocidaires, ressortissants d’anciennes colonies ou de futurs candidats à l’Union, martyrs de la folie religieuse ou simplement de toute la misère du monde, à quelles populations doit-on ouvrir notre porte ? Pour l’heure, on ne peut que constater qu’il manque toujours aux États, pays d’accueil comme pays de départ, une réponse politique claire à une question éthique simple : à qui voulons-nous accorder l’asile ?

Par Sylvie Mazzella chargée de recherche CNRS en sociologie, directrice du LAMES (AMU, CNRS), Laboratoire méditerranéen de sociologie à la MMSH d’Aix-en-Provence

Source de l'article Le Monde

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