Dimanche 30 août, la compagnie italienne ENI annonçait la découverte, au large des côtes égyptiennes, du plus grand gisement de gaz naturel mis au jour ces dernières années dans le monde. Le gisement égyptien, baptisé Zhor, contiendrait 850 milliards de mètres cubes de gaz et détrônerait ainsi le champ gazier israélien Léviathan, découvert en 2010 par un consortium israélo-américain au large des côtes de l’État hébreu.
Ce dernier faisait jusqu’alors figure du plus grand champ gazier de la Méditerranée avec ses presque 500 milliards de mètres cubes.
Si ces données se confirment, le gisement égyptien modifierait le rapport de force énergétique régional favorable à Israël depuis quelques années. L’État hébreu était en effet parvenu à s’imposer dans le jeu gazier méditerranéen en devenant un exportateur potentiel pour un ensemble d’acteurs de la région, tous fortement consommateurs de gaz naturel. Or, l’énorme gisement égyptien pourrait bien contrarier les plans du consortium israélo-américain, mais pas forcément ceux d’Israël.
Fin des exportations israéliennes dans la région ?
Depuis plusieurs années, les deux principales compagnies du consortium israélo-américain (l’américain Noble et l’israélien Delek) envisagent d’exporter une partie du gaz qu’elles ont découvert au large des côtes israéliennes. Des contacts ont ainsi été noués avec la plupart des acteurs régionaux, débouchant sur des promesses de vente en janvier 2014 avec une entreprise palestinienne (4,75 milliards de m3 pendant 20 ans à partir de 2017), avec la Jordanie au mois de septembre de la même année (45 milliards de m3 pendant 15 ans à partir de 2018) et plus récemment avec l’Égypte, dans le cadre de négociations en cours (5 milliards dès 2015 pendant trois ans).
Or, pour l’heure, aucun de ces contrats n’est encore effectif. Les vifs débats en Israël liés à la position monopolistique du consortium israélo-américain ont considérablement contribué à retarder la validation de l’accord avec l’Égypte ainsi qu’avec la compagnie palestinienne, laquelle a préféré annuler son contrat en mars 2015. L’accord avec la Jordanie fait quant à lui régulièrement l’objet de manifestations d’une partie de la population jordanienne hostile à la signature d’un contrat avec l’État hébreu. Dans ce contexte, Jordaniens et Palestiniens pourraient se détourner du gaz israélien au profit de l’égyptien. Quant à l’Égypte, dont la production actuelle peine à satisfaire la demande domestique, l’accord en cours avec Israël lui permettrait de s’approvisionner en gaz le temps que la production du gisement Zhor démarre.
Mais qu’en sera-t-il après ? Le Caire a déjà fait savoir qu’il pourrait désormais satisfaire sa demande de gaz pour plusieurs décennies. Enfin, des États comme la Grèce, Chypre et même la Turquie, qui ont également manifesté un intérêt pour l’importation de gaz israélien ces dernières années, pourraient aussi revoir leur position soit pour des raisons politiques (dans le contexte actuel, l’opinion publique turque accepterait davantage un accord gazier avec l’Égypte qu’avec Israël) ou économique si l’Égypte décide de vendre à des prix plus attractifs qu’Israël. Les perspectives d’exportation pour le consortium israélo-américain semblent donc s’assombrir et avec elles, la promesse pour Israël de générer d’importantes recettes budgétaires.
Néanmoins, le champ gazier égyptien pourrait être de bon augure pour la sécurité énergétique de l’État hébreu. Depuis la découverte de ses gisements offshore, Tel-Aviv a en effet favorisé une production locale alors que dans le même temps, le contrat d’importation de gaz égyptien signé en 2005 avec Le Caire a pris fin en 2012 sous la présidence de Mohammed Morsi, proche des Frères musulmans. Aussi, la part du gaz dans le mix électrique israélien, en constante augmentation depuis une décennie (41,7 % en 2014) n’est plus assurée que par les gisements israéliens. En cas d’accident ou d’attaque sur les plateformes d’extraction, c’est l’ensemble du secteur électrique qui serait affecté, et avec lui, une partie des dispositifs sécuritaires du pays qui fonctionnent à l’énergie électrique. Par conséquent, Israël aurait tout intérêt à multiplier ses sources d’approvisionnement en gaz naturel, et donc à importer de nouveau du gaz égyptien, pour assurer sa sécurité énergétique. L’arrivée de l’Égypte pourrait en outre favoriser la concurrence et ainsi influer à la baisse sur les prix pour la compagnie israélienne d’électricité (détenue en quasi-totalité par l’État) qui achète actuellement son gaz auprès du seul consortium israélo-américain. Ces dernières années, des hausses des prix de l’électricité avaient conduit à des manifestations d’une partie de la population israélienne.
Par David Amsellem, docteur en géopolitique, spécialiste des enjeux énergétiques -
Source de l'article le Monde
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