Créer un espace de confiance à l’abri des turbulences

Jean-François Coustillière, consultant, nous explique la démarche du 5+5 et en quoi consiste son rôle: être le laboratoire de la coopération euro-méditerranéenne. 

Pourquoi cet intérêt pour le 5+5 aujourd’hui?
L’Union européenne dispose de trois outils qu’elle a elle-même proposés pour organiser la coopération en Méditerranée: le Processus de Barcelone (1995), la Politique européenne de voisinage (2003) et l’Union pour la Méditerranée (2008). Si l’objectif est globalement le même: «Transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité» [1] , ces outils n’ont pas été en mesure d’atteindre les objectifs et font l’objet de défiance. Dans ce contexte peu favorable au développement des relations euro-méditerranéennes, aggravé par la dégradation du dossier israélo-palestinien et les hésitations des Européens face à la succession des révoltes arabes, la démarche 5+5, qui se déploie loin du Proche-Orient et en pleine transparence avec l’UE, constitue un laboratoire au profit du Processus de Barcelone. Elle est susceptible de créer de la confiance dans un espace plus restreint que celui de la Méditerranée dans sa totalité, mais à l’abri des turbulences les plus fortes qui nuisent aux démarches globalisantes.

Quels sont les atouts de cette enceinte? Peut-on la qualifier d’informelle?
La démarche 5+5 est modeste et pragmatique et ses membres partagent, du fait de leur proximité géographique et humaine, nombre de préoccupations qui sont autant de défis. Faisant volontairement le choix de relations informelles, discrètes, pratiques, plus techniques que politiques et surtout réellement partenariales, elle recueille l’adhésion de chacun dans l’exigence de l’équité et réduit le soupçon d’agendas cachés. Elle prend des formes différentes selon les dossiers, souple et adaptable aux priorités de chaque domaine concerné. Non contraignante et focalisée sur les priorités des différents membres, elle recueille un attachement fort de la part de chacun des partenaires car elle repose sur l’équité de traitement de leurs préoccupations.

Le changement de gouvernance dans certains pays a-t-il favorisé la reprise du dialogue?
Ce changement n’a certainement pas conduit à renforcer l’intérêt porté aux dialogues avec l’UE. Bien au contraire, on peut redouter qu’ils soient, aux yeux des peuples, entachés par l’appréciation d’une complicité européenne avec les anciens dirigeants. En revanche, dans ces mêmes pays, il apparaît que la démarche 5+5 est mieux perçue que les autres initiatives car elle laisse aux partenaires la liberté de s’engager ou non, la coopération est débattue, organisée et conduite en concertation entre acteurs techniques. L’histoire du 5+5 n’est pas marquée par l’engagement personnel de chefs d’État tels les présidents Ben Ali ou Moubarak. Les relations dans le cadre 5+5 sont donc plus aisées à reprendre par des dirigeants tenus d’intégrer dans leurs choix la grande vigilance de leur opinion publique vis-à-vis des options prises par les anciens pouvoirs autoritaires qu’ils ont chassés.

En quoi le 5+5 peut-il aider à l’intégration du Maghreb?
Le 5+5 a connu tout au long de l’année 2011 une période d’inactivité quasi complète. Quant à l’UMA (Union du Maghreb arabe), elle n’avait pas connu de réunion de ses ministres des Affaires étrangères depuis 2009. Dès le début de 2012, il est intéressant de constater que le 5+5 voit programmer de nombreuses réunions: celle des ministres des Transports à Alger, des ministres des Affaires étrangères à Rome, et celle du comité directeur du dossier Défense à Rabat, tout ceci en moins de trois mois. Dans le même temps, une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’ UMA s’est tenue à Rabat qui programme pour septembre-octobre un sommet à Tunis. Cette corrélation confirme qu’il existe une synergie entre les deux initiatives. Quoi qu’il en soit, et cela est particulièrement perceptible dans la coopération de Défense du 5+5, les relations développées entre les dix partenaires contribuent à créer de la confiance entre les acteurs.

Quels sont les sujets prioritaires du 5+5 aujourd’hui?
Il convient, tout d’abord, de renforcer l’existant en approfondissant les dossiers déjà initiés par une recherche plus active d’actions d’intérêt commun, en promouvant, dans chacun de ces dossiers, des méthodologies de partenariat qui ont fait le succès des dossiers les plus avancés et enfin en associant l’Union européenne comme observateur. Il serait souhaitable d’ouvrir de nouveaux dossiers dans les domaines de la santé, l’économie, la culture et l’agriculture. La priorité qui doit conduire l’ensemble de la démarche doit s’inscrire dans le souci de rapprochement des sociétés pour, en définitive, favoriser l’amélioration des situations socio-économiques: l’emploi et l’accès aux ressources vitales (eau, alimentation), conditions évidentes de la prospérité et de la paix. C’est à ce titre que le 5+5 remplira au mieux son rôle de laboratoire de la coopération euro-méditerranéenne de l’avenir.
Propos recueillis par Agnès Levallois 
Source de l'article IPEMED
[1]. Déclaration UPM du 13 juillet 2008.
 

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