La santé, réforme oubliée du Maghreb, l’intégration, une option sérieuse

La santé, réforme oubliée du Maghreb, l’intégration, une option sérieuse
Entretien avec Macarena NUÑO chef de projet «Méditerranée 2030» et «Capital humain»- Ipemed
- Différents obstacles existent actuellement mais aucun n’est indépassable
- Des coopérations, voire des alliances, sont possibles
- Le Maroc, la Tunisie et l’Algerie ont vu leur système de santé évoluer
- L’Economiste: Dans quels pays avez-vous eu le plus de difficultés à collecter de l’information ?
- Macarena NUÑO:
Le rapport «Les systèmes de santé en Algérie, Maroc et Tunisie : défis nationaux et enjeux partagés » est composé de deux parties principales, une partie comportant des monographies pour chacun des pays concernés (Maroc, Algérie, Tunisie) réalisées par des spécialistes de la santé de ces pays. Elle s’appuie surtout sur des sources nationales qui offrent une bonne vision de l’état de santé de leurs populations. Les experts mobilisés sont de bons connaisseurs des systèmes de santé de leurs pays, ils savent où trouver les données et ils n’ont pas eu de problèmes particuliers pour collecter les informations. Cela dit, pour le cas de l’Algérie, on a souligné le fait que les informations sont morcelées et collectées par une multitude d’organismes. L’autre partie du rapport, plus transversale, s’appuie sur des données d’organisations internationales et notamment des statistiques sanitaires mondiales 2011 de l’Organisation mondiale de la santé.
Ce qui ressort du rapport c’est que des efforts peuvent être faits, car malgré le fait que les données sont multiples et accessibles, les systèmes de santé des pays du Maghreb sont souvent centrés sur l’épidémiologie et ils gagneraient à être davantage tournés vers le management des organisations, la planification des équipements et des services et l’évaluation et l’attribution des ressources financières, en clair, d’être davantage des outils d’aide à la décision.

- Quel accueil vous a été réservé et pensez-vous que les données recueillies reflètent la réalité?
- Les monographies pays donnent une vision claire de l’état de santé des pays du Maghreb. Le constat est connu et partagé par la communauté d’experts. De plus, les représentants des pouvoirs publics sont conscients que les trois pays se trouvent au même moment de leur transition démographique et épidémiologique, qu’ils font face à des défis communs et que des réponses communes peuvent être formulées.
Le rapport, qui met en exergue ces points là, a été très bien accueilli peut-être parce que son objectif premier est de proposer des lignes directrices et de collaboration maghrébine, voire avec les pays de l’Union européenne. De plus, il est publié à un moment où les questions de santé sont de plus en plus à l’ordre du jour. Les populations sont en demande croissante de soins de qualité au moindre coût. Des débats sont en train d’être organisés au Maroc et en Tunisie, les pouvoirs publics ont compris l’importance d’associer tous les acteurs concernés. Le rapport d’Ipemed va permettre de nourrir la réflexion.

- Quelles sont les forces et les faiblesses de chaque système? Quels pays tirent leurs épingles du jeu?
- Il faut tout d’abord souligner le fait que les trois pays du Maghreb ont vu leur système de santé évoluer considérablement ces cinquante dernières années avec des différences bien entendu en fonction des moyens et des orientations politiques données. En regardant les indicateurs internationaux, la Tunisie apparaît aujourd’hui la mieux dotée, le Maroc et l’Algérie étant en retard en matière d’infrastructures de base et de ratio lits hospitaliers/habitants. Le Maroc souffre également d’une pénurie de personnel médical et paramédical.
Mais ce qu’il faut surtout mettre en avant c’est le fait que des convergences sont facilement envisageables, que des complémentarités pourraient être exploitées car ces pays font face à des défis communs parmi lesquels, un vieillissement de leur population (espérance de vie au-delà de 70 ans pour les trois pays), l’apparition des maladies non transmissibles, plus coûteuses (au Maroc les maladies cardiovasculaires, les maladies chroniques et dégénératives et les cancers deviennent les premières causes de recours au système de santé) et la nécessité de développer des politiques publiques intersectorielles, prenant davantage en compte les déterminants de la santé (nutrition, habitat, éducation, environnement).

- Quels sont les domaines prioritaires sur lesquels le Maghreb doit axer ses efforts?
- Le rapport d’Ipemed identifie dix axes d’évolution possibles. On en citera les plus significatifs. Il y a, tout d’abord, le fait de considérer la santé comme un droit fondamental des citoyens et de mettre la santé au cœur du politique. Des changements en ce sens ont lieu, par exemple, la nouvelle Constitution du Maroc dans son article 31 va dans ce sens. Il y a aussi des actions à mettre en place afin d’accompagner la réforme des systèmes de santé vers des systèmes plus solidaires, efficients, moins centrés sur la gestion de l’offre de soins et plus tournés vers la mise en place des politiques intersectorielles. La question de la formation du personnel est également très importante, des améliorations et des coopérations entre les pays du Maghreb sont possibles. Enfin, des actions peuvent être mises en place afin de renforcer l’information qui est donnée à tous les acteurs concernés (élus, populations et personnel de santé) et aussi encourager les consultations et les actions de concertation avant la prise de décision.

- Une politique maghrébine de production et d’importation des médicaments est-elle réalisable?
- Il est clair que la question du médicament est primordiale et qu’elle est au cœur de la réflexion sur l’organisation du système des soins. Des experts réfléchissent déjà à cette question complexe d’une politique maghrébine du médicament. Différents obstacles, réglementaires, technologiques et politiques, existent actuellement mais aucun n’est indépassable. A Ipemed nous défendons l’idée qu’une intégration poussée est possible. Nous pensons donc que des coopérations, voire des alliances, sont possibles et souhaitables dans ce domaine du médicament entre les pays du Maghreb et qu’une certaine dose de convergence (une harmonisation des procédures par exemple) pourraient permettre un meilleur accès aux médicaments pour les populations des pays du Maghreb, donner un plus grand poids aux pays concernés dans leurs négociations avec l’industrie pharmaceutique internationale et permettraient le développement de l’industrie pharmaceutique locale en facilitant l’accès aux marchés du médicament au niveau maghrébin et en permettant de réaliser des économies d’échelle.

Propos recueillis par Fatim-Zahra TOHRY
Source de l'article l'Economiste du Maroc

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