Moteur du printemps arabe, la jeunesse est au centre de toutes les attentions. En Tunisie, mais aussi en Algérie et au Maroc, les effectifs de la classe d'âge des 15-24 ans sont à un sommet historique et les arrivées sur le marché du travail et celui du logement n'ont jamais été aussi élevées.
Chômage massif, pénurie de logements, l'insertion est difficile pour cette jeunesse et la frustration très vive. Mais la transition démographique en cours comprend également deux autres facteurs qui méritent attention, la chute de la fécondité et l'allongement de l'espérance de vie.
En 1970 au Maghreb, le taux de fécondité était de l'ordre de 7 enfants par femme ; en 2010, dans les trois pays il est proche de 2 enfants par femme. Au cours de la même période les espérances de vie dans les trois pays du Maghreb s'élevaient très rapidement, d'environ 53-55 ans à 71-74 ans.
Ainsi, un autre mouvement démographique se dessine, celui du vieillissement de la population : les effectifs des classes jeunes vont diminuer, celles des classes âgées augmenter. La comparaison avec la démographie française révèle l'intensité et la rapidité de ce vieillissement : de 1980 à 2040, soit en soixante ans, la dépendance démographique de la France (le rapport des 65 ans et plus aux 15-64 ans) devrait être multipliée par deux, passant de 20 à 40 %. En seulement trente ans, de 2020 à 2050, la dépendance démographique du Maghreb serait multipliée par trois (de 10 à 30%).
Quelle est la situation économique actuelle des personnes âgées au Maghreb ? Les pays du Maghreb disposent de régimes de retraite aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé. Ils ont été mis en place pour les fonctionnaires à la fin du XIXe ou début du XXe siècles par la France.
Pour le secteur privé, l'instauration de régimes obligatoires de retraite n'est intervenue qu'en Algérie et tardivement en 1953. Après l'indépendance, les gouvernements des trois pays consolident les régimes en place et, lorsqu'ils n'existent pas, mettent en place des régimes obligatoires pour le privé. Les régimes maghrébins fonctionnent en répartition, financés par des cotisations, employeurs et salariés, assises sur les salaires. Le fonctionnement de ces régimes est identique aux régimes de base français tels que ceux de la CNAV ou le régime des fonctionnaires, avec des différences du même ordre entre privé et public.
Dans les trois pays, l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite est de 60 ans. La pension d'un retraité représente, selon nos estimations, environ 50% du salaire moyen dans les trois pays, mais comme toute moyenne celle-ci cache de très fortes disparités entre public et privé, entre hommes et femmes et selon la nature de la carrière.
L'inégalité la plus forte oppose ceux qui sont couverts par un régime de retraite à ceux qui dans le secteur informel n'ont par définition jamais cotisé. En 2008, moins de la moitié des 60 ans et plus bénéficiaient d'une couverture retraite en Algérie et en Tunisie, mais un sur quatre seulement au Maroc. Parmi les artisans, commerçants, agriculteurs, rares sont ceux qui cotisent. Mais dans les sociétés maghrébines, la solidarité intergénérationnelle se manifeste d'abord au-delà des systèmes de retraite, en particulier par la cohabitation des générations dans un même logement : dans les trois pays, près de 90% des personnes âgées vivent avec leurs enfants. L'aide financière des enfants, notamment émigrés, constitue par ailleurs la première source de revenu de la population âgée au Maroc et en Tunisie.
Le vieillissement attendu dans les prochaines décennies porte en germe deux défis, l'équilibre des régimes actuels et l'extension de la couverture. Les régimes de retraite vont voir le nombre de retraités augmenter plus vite que celui de leurs cotisants mettant ainsi en péril leur équilibre financier probablement à très court terme pour certains régimes, à un horizon plus lointain (2040) pour d'autres.
Au cours de la dernière décennie, les caisses de retraite ont commencé à adopter des décisions que l'on connaît bien en Europe : relèvement des taux de cotisation, suppression des retraites anticipées, durcissement du mode de calcul du salaire de référence. Le gouvernement marocain a engagé un débat pour élaborer une réforme des retraites, l'Algérie et la Tunisie y pensent. Le relèvement de l'âge de la retraite est lui aussi au centre des discussions.
Le second défi, celui de l'extension de la couverture retraite, est inédit. Quels en sont les termes ? L'arrivée des classes nombreuses sur le marché du travail conduit au développement de l'emploi informel, et si rien ne change une grande partie de ces classes d'âge ne disposeront d'aucune couverture retraite à 60-65 ans.
A la différence des générations précédentes, ces générations ont deux enfants. La solidarité familiale sera plus difficile avec deux enfants qu'avec 7, d'autant que l'évolution en cours conduit à adopter le modèle familial nucléaire. On peut penser que confronté à de nouveaux modes de vie ce modèle nucléaire, plus mobile et affranchi des contraintes traditionnelles, soit de moins en moins apte à prendre en charge des personnes âgées qui de surcroit vivront plus longtemps. L'extension de la couverture retraite devient dès lors une nécessité.
Comment l'étendre ? Les régimes de retraite des pays maghrébins reposent exclusivement sur une affiliation professionnelle, formule inadaptée aux emplois de l'informel caractérisés par des revenus faibles et hors de toute réglementation. Certains pays d'Amérique latine ou d'Afrique ont mis en place des pensions universelles ou des pensions ciblées sur les personnes âgées les plus pauvres. Des voies nouvelles sont peut-être à inventer, adaptées aux structures économiques et sociales du Maghreb, en couplant par exemple l'adhésion à un régime de retraite aux effets lointains à des incitations à effets immédiats, dans le domaine du logement ou de la santé.
Mehdi Ben Braham est aussi chercheur au LEGI, école polytechnique de Tunisie et membre du réseau ESIRAMed (Economie sociale, investissement responsable et assurance en Méditerranée)
Mehdi Ben Braham, maître-assistant à l'université de Tunis Carthage
Source de l'article LeMonde
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