Le paysage syndical
arabe
Evoquer les rapports entre syndicalisme et « printemps arabe » exige une description préalable de la situation syndicale dans le monde arabe. En effet le monde arabe où ce qui est couramment appelé « monde arabe » n’a pas connu une histoire syndicale uniforme, nous pouvons même affirmer que dans certains pays, le syndicalisme n’a pas encore vu le jour. Cette disparité est expliquée par l’histoire du capitalisme dans la région, de l’industrialisation, du colonialisme et par la nature des régimes politiques en place. D’une manière empirique nous pouvons établir une typologie simple et opérationnelle qui couvre tous les pays arabes comme suit :
Evoquer les rapports entre syndicalisme et « printemps arabe » exige une description préalable de la situation syndicale dans le monde arabe. En effet le monde arabe où ce qui est couramment appelé « monde arabe » n’a pas connu une histoire syndicale uniforme, nous pouvons même affirmer que dans certains pays, le syndicalisme n’a pas encore vu le jour. Cette disparité est expliquée par l’histoire du capitalisme dans la région, de l’industrialisation, du colonialisme et par la nature des régimes politiques en place. D’une manière empirique nous pouvons établir une typologie simple et opérationnelle qui couvre tous les pays arabes comme suit :
- Les pays où le syndicalisme est toujours inexistant ou embryonnaire à l’instar des pays du Golf. Il est important de rappeler que dans ces pays, l’écrasante majorité des travailleurs sont des étrangers qui ne bénéficient pas encore du droit syndical.
- Les pays où les syndicats sont totalement inféodés aux partis uniques au pouvoir sur le model de l’Union Soviétique des années 30. Dans ce cas il s’agit plutôt de comités de surveillance des administrations, des entreprises et des travailleurs, tel que le cas de la Syrie, l’Irak, le Yémen et la Libye.
- Les pays où les syndicats même surveillés, adoptant parfois des attitudes de compromis, de résignation, d’allégeance, sont en réalité en confrontation permanente avec le pouvoir tels que la Tunisie, le Maroc, l’Algérie et l’Egypte.
L’émergence du syndicalisme
anticolonial
Le syndicalisme est représenté d’une manière générale dans l’imaginaire politique des populations arabes, tout particulièrement dans les pays du troisième groupe cité (Egypte, Tunisie Algérie, Maroc) comme étant le lieu du vrai combat pour la dignité, l’égalité et la liberté. Cette image provient du fait que ces mouvements syndicaux ont été à la tête de la lutte anticoloniale et dans certains cas, les leaders du mouvement national et les piliers de l’indépendance. En effet, pendant la période de la lutte pour l’indépendance nationale, ces centrales syndicales ont appris à mobiliser les masses populaires et à structurer des revendications à la fois anticoloniales et anticapitalistes.
Le syndicalisme est représenté d’une manière générale dans l’imaginaire politique des populations arabes, tout particulièrement dans les pays du troisième groupe cité (Egypte, Tunisie Algérie, Maroc) comme étant le lieu du vrai combat pour la dignité, l’égalité et la liberté. Cette image provient du fait que ces mouvements syndicaux ont été à la tête de la lutte anticoloniale et dans certains cas, les leaders du mouvement national et les piliers de l’indépendance. En effet, pendant la période de la lutte pour l’indépendance nationale, ces centrales syndicales ont appris à mobiliser les masses populaires et à structurer des revendications à la fois anticoloniales et anticapitalistes.
C’est à partir de cette expérience
d’affrontement contre les forces de répression coloniale qu’une certaine culture
de combat s’est développée au sein de plusieurs centrales syndicales. En effet,
par le fait de la colonisation, cette culture d’affrontement anticoloniale a
constitué un caractère original par rapport aux grands courants du syndicalisme
européen. Ce fait historique a permis à certaines organisations syndicales de se
transformer en mouvements de masses populaires, et en courants politiques
d’opposition au pouvoir central, l’exemple de l’Union Générale des travailleurs
de Tunisie (UGTT) et l’Union Marocaine des Travailleurs (UMT) illustrent très
bien ce type de mouvance syndicale.
Le syndicalisme au réveil du « Printemps
arabe »
Comme nous l’avons signalé, étudier le syndicalisme en relation avec le printemps arabe serait en fait limiter cette réflexion aux pays qui ont vécu une transformation politique et sociale provoquant soit la chute des dictateurs (l’Égypte et la Tunisie) soit des profonds changements dans l’organisation de l’Etat (Le Maroc). Nous constatons dans ces deux cas que ces grandes mutations ont lieu dans les pays ou les syndicats sont présents sur la scène politique, et où le syndicalisme est ancré dans le débat politique. J’exclue le cas de la Lybie pour deux raisons : l’inexistence d’un syndicalisme actif et le rôle déterminant de l’OTAN dans la chute de Kadhafi. Quant à l’Algérie, même inféodée, l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) peut malgré la création de plusieurs syndicats autonomes rester une centrale syndicale influente.
Le syndicalisme Tunisien pilier de « la révolution »
Ce n’est donc pas par hasard que ces processus de changements et de ruptures se sont produits dans les pays arabes où le syndicalisme est structuré et agissant. En effet en Tunisie, le pays qui a inauguré « le printemps arabe», l’émergence du syndicalisme date des années vingt. C’est là que la lutte syndicale est la plus développée dans le monde arabe, elle y a accumulé une expérience de plus de soixante dix ans, ayant dirigé et encadré par le passé plusieurs luttes pour la dignité et la justice sociale. De nombreux indices, évènements historiques nous confirment cette hypothèse (Arrestation et condamnation de centaines de syndicalistes, attaques organisées des locaux des syndicats, interdiction d’accès au moyens de communication…).
En ce qui concerne la Tunisie nous pouvons remarquer aussi que la centrale syndicale l’UGTT a engagé la lutte ouverte contre le régime de Ben Ali en 2008. C’est à partir de la région de Gafsa, la région des mines, qu’une grève a été organisée et un mouvement de solidarité exceptionnel à l’échelle nationale et internationale s’est imposé. Ce mouvement a duré six mois constituant la première victoire contre la dictature en démystifiant la peur, l’outil essentiel de la répression. Le siège du parti au pouvoir, symbole de la corruption a été occupé par la population. Des manifestations de masse ont parcouru toute la région pendant quarante jours consécutifs. Toutes les villes avoisinantes du Sud ont soutenu le mouvement de contestation par des rassemblements quotidiens face aux préfectures et palais de la justice… Suite à une répression féroce et à des arrestations massives, ce mouvement a été étouffé en apparence seulement, car les contestataires ont réussi à implanter à travers les syndicats locaux et régionaux un réseau de résistance dans tout le pays. Depuis, le mouvement social tunisien disposait d’une logistique révolutionnaire syndicale» qui lui a permis de marcher de toutes parts sur La Kasbah (place du Gouvernement) le 14 janvier 2011.
Comme nous l’avons signalé, étudier le syndicalisme en relation avec le printemps arabe serait en fait limiter cette réflexion aux pays qui ont vécu une transformation politique et sociale provoquant soit la chute des dictateurs (l’Égypte et la Tunisie) soit des profonds changements dans l’organisation de l’Etat (Le Maroc). Nous constatons dans ces deux cas que ces grandes mutations ont lieu dans les pays ou les syndicats sont présents sur la scène politique, et où le syndicalisme est ancré dans le débat politique. J’exclue le cas de la Lybie pour deux raisons : l’inexistence d’un syndicalisme actif et le rôle déterminant de l’OTAN dans la chute de Kadhafi. Quant à l’Algérie, même inféodée, l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) peut malgré la création de plusieurs syndicats autonomes rester une centrale syndicale influente.
Le syndicalisme Tunisien pilier de « la révolution »
Ce n’est donc pas par hasard que ces processus de changements et de ruptures se sont produits dans les pays arabes où le syndicalisme est structuré et agissant. En effet en Tunisie, le pays qui a inauguré « le printemps arabe», l’émergence du syndicalisme date des années vingt. C’est là que la lutte syndicale est la plus développée dans le monde arabe, elle y a accumulé une expérience de plus de soixante dix ans, ayant dirigé et encadré par le passé plusieurs luttes pour la dignité et la justice sociale. De nombreux indices, évènements historiques nous confirment cette hypothèse (Arrestation et condamnation de centaines de syndicalistes, attaques organisées des locaux des syndicats, interdiction d’accès au moyens de communication…).
En ce qui concerne la Tunisie nous pouvons remarquer aussi que la centrale syndicale l’UGTT a engagé la lutte ouverte contre le régime de Ben Ali en 2008. C’est à partir de la région de Gafsa, la région des mines, qu’une grève a été organisée et un mouvement de solidarité exceptionnel à l’échelle nationale et internationale s’est imposé. Ce mouvement a duré six mois constituant la première victoire contre la dictature en démystifiant la peur, l’outil essentiel de la répression. Le siège du parti au pouvoir, symbole de la corruption a été occupé par la population. Des manifestations de masse ont parcouru toute la région pendant quarante jours consécutifs. Toutes les villes avoisinantes du Sud ont soutenu le mouvement de contestation par des rassemblements quotidiens face aux préfectures et palais de la justice… Suite à une répression féroce et à des arrestations massives, ce mouvement a été étouffé en apparence seulement, car les contestataires ont réussi à implanter à travers les syndicats locaux et régionaux un réseau de résistance dans tout le pays. Depuis, le mouvement social tunisien disposait d’une logistique révolutionnaire syndicale» qui lui a permis de marcher de toutes parts sur La Kasbah (place du Gouvernement) le 14 janvier 2011.
Le syndicalisme égyptien
à la Place Tahrir
En Egypte Le syndicalisme a été inféodé au pouvoir dès 1957, Jusqu'en 2009 seul le syndicat officiel, l’ETUF, pouvait s’exprimer au nom des travailleurs. A partir de 2009 et suite à une forte contestation ouvrière, le premier syndicat indépendant fut crée : le RETA. C’est le début d’une grande marche d’un syndicalisme égyptien indépendant tournée vers la justice sociale et la lutte contre la corruption. Il s’agit d’une avancée incontestable qui a favorisé l’émergence de slogans anti Moubarak et l’amplification du mouvement social dans toute l’Egypte. Depuis 2005, les actions des travailleurs égyptiens : piquets de grève, rassemblement dans les lieux de travail se comptaient par milliers par an. En 2008 le déclenchement de la grève de Mahallaa groupant 24 000 travailleurs et travailleuses du textile a rompu le sentiment de peur qui paralysait tout le peuple égyptien et surtout les couches sociales les plus pauvres. Cette grève, très soutenue, a eu les mêmes effets que celle des mines de la région de Gafsa en Tunisie, déclenchée également la même année.
Tous ces éléments indiquent clairement que le mouvement syndical égyptien indépendant était fortement présent dans le processus révolutionnaire. Kamel Abouaita, figure connue du syndicalisme indépendant, arrêté plusieurs fois à cause de son militantisme syndical affirmait que tous les noyaux des syndicats indépendants étaient actifs sur la Place Tahrir dès les premiers rassemblements…
Le retour du syndicalisme marocain
Apres quelques années de distance de la scène politique et sociale, le syndicalisme marocain pluriel marqué par une grande tradition de collaboration avec les partis politiques s’est trouvé depuis le déclenchement du soulèvement social en Tunisie dans une position de combat, soutenant sans réserve les revendications des employés du secteur public dans un premier temps, puis celles du secteur privé. Tous les syndicats notamment les plus importants (l’UMT, UGTM, la CDT...) ont su mobiliser et encadrer le mouvement social. C’est à partir de 2009, qu’après une période de désenchantement syndical, une nouvelle conscience émerge, donnant aux syndicats un rôle nouveau dans la contestation et dans la défense des travailleurs. Les premiers slogans adoptés par les syndicats portaient sur la justice sociale et le partage des richesses du pays avec plus d’égalité et de solidarité. Ces syndicats ont participé à toutes les manifestations, certains d’ente eux étant proches du mouvement du 20 février. Dans cette lutte, les employés et les travailleurs ont perdu progressivement ce que l’on appelle au Maroc le désenchantement syndical. Dans ce contexte, une nouvelle page du syndicalisme s’est ouverte contre l’ostracisme, marquant la volonté de ce dernier de collaborer avec tous les mouvements démocratiques pour soutenir les libertés fondamentales, la réforme des structures étatiques, des élections transparentes et un développement soutenu dans les régions les plus pauvres. Tous les slogans émanant des syndicats au Maroc rejoignent globalement ceux de la Kasba à Tunis et ceux de la place Tahrir : Egalité, dignité, liberté. Autre caractéristique importante du syndicalisme marocain lors de cette grande marche vers la démocratie : tous ses leaders ont appelé à une unité de l’action syndicale permanente et stratégique pour faire pression sur toutes les instances de décision relative à la fois à la condition de vie des travailleurs et des couches les plus pauvres de la société et d’exiger l’introduction dans la nouvelle constitution de tous les droits syndicaux dans tous les secteurs et toutes les entreprises. Sans révolution les syndicats marocains ont pu rejoindre le printemps arabe avec une mobilisation de la population marocaine sans précédent.
En Egypte Le syndicalisme a été inféodé au pouvoir dès 1957, Jusqu'en 2009 seul le syndicat officiel, l’ETUF, pouvait s’exprimer au nom des travailleurs. A partir de 2009 et suite à une forte contestation ouvrière, le premier syndicat indépendant fut crée : le RETA. C’est le début d’une grande marche d’un syndicalisme égyptien indépendant tournée vers la justice sociale et la lutte contre la corruption. Il s’agit d’une avancée incontestable qui a favorisé l’émergence de slogans anti Moubarak et l’amplification du mouvement social dans toute l’Egypte. Depuis 2005, les actions des travailleurs égyptiens : piquets de grève, rassemblement dans les lieux de travail se comptaient par milliers par an. En 2008 le déclenchement de la grève de Mahallaa groupant 24 000 travailleurs et travailleuses du textile a rompu le sentiment de peur qui paralysait tout le peuple égyptien et surtout les couches sociales les plus pauvres. Cette grève, très soutenue, a eu les mêmes effets que celle des mines de la région de Gafsa en Tunisie, déclenchée également la même année.
Tous ces éléments indiquent clairement que le mouvement syndical égyptien indépendant était fortement présent dans le processus révolutionnaire. Kamel Abouaita, figure connue du syndicalisme indépendant, arrêté plusieurs fois à cause de son militantisme syndical affirmait que tous les noyaux des syndicats indépendants étaient actifs sur la Place Tahrir dès les premiers rassemblements…
Le retour du syndicalisme marocain
Apres quelques années de distance de la scène politique et sociale, le syndicalisme marocain pluriel marqué par une grande tradition de collaboration avec les partis politiques s’est trouvé depuis le déclenchement du soulèvement social en Tunisie dans une position de combat, soutenant sans réserve les revendications des employés du secteur public dans un premier temps, puis celles du secteur privé. Tous les syndicats notamment les plus importants (l’UMT, UGTM, la CDT...) ont su mobiliser et encadrer le mouvement social. C’est à partir de 2009, qu’après une période de désenchantement syndical, une nouvelle conscience émerge, donnant aux syndicats un rôle nouveau dans la contestation et dans la défense des travailleurs. Les premiers slogans adoptés par les syndicats portaient sur la justice sociale et le partage des richesses du pays avec plus d’égalité et de solidarité. Ces syndicats ont participé à toutes les manifestations, certains d’ente eux étant proches du mouvement du 20 février. Dans cette lutte, les employés et les travailleurs ont perdu progressivement ce que l’on appelle au Maroc le désenchantement syndical. Dans ce contexte, une nouvelle page du syndicalisme s’est ouverte contre l’ostracisme, marquant la volonté de ce dernier de collaborer avec tous les mouvements démocratiques pour soutenir les libertés fondamentales, la réforme des structures étatiques, des élections transparentes et un développement soutenu dans les régions les plus pauvres. Tous les slogans émanant des syndicats au Maroc rejoignent globalement ceux de la Kasba à Tunis et ceux de la place Tahrir : Egalité, dignité, liberté. Autre caractéristique importante du syndicalisme marocain lors de cette grande marche vers la démocratie : tous ses leaders ont appelé à une unité de l’action syndicale permanente et stratégique pour faire pression sur toutes les instances de décision relative à la fois à la condition de vie des travailleurs et des couches les plus pauvres de la société et d’exiger l’introduction dans la nouvelle constitution de tous les droits syndicaux dans tous les secteurs et toutes les entreprises. Sans révolution les syndicats marocains ont pu rejoindre le printemps arabe avec une mobilisation de la population marocaine sans précédent.
Ce que l’histoire
retiendra
Sans aller dans une explication historique et politique trop lourde, on peut avancer l’hypothèse que c’est dans les pays où le syndicalisme a été présent, vif, revendicatif et parti prenante du mouvement démocratique, que nous avons assisté à la chute de la dictature, à la dénonciation de la corruption du néocolonialisme interne. Par contre dans les pays ou le mouvement syndical est absent ou inactif (La Syrie, Le Yémen, le Bahreïn, la Libye) le mouvement fut, encerclé presque étouffé par le tribalisme ou par l’intervention militaire.
Cette situation politique inédite dans les pays arabes impose une nouvelle approche du mouvement syndical, ainsi qu’une profonde réflexion sur le rôles que sera amené à jouer le syndicalisme arabe :
Sans aller dans une explication historique et politique trop lourde, on peut avancer l’hypothèse que c’est dans les pays où le syndicalisme a été présent, vif, revendicatif et parti prenante du mouvement démocratique, que nous avons assisté à la chute de la dictature, à la dénonciation de la corruption du néocolonialisme interne. Par contre dans les pays ou le mouvement syndical est absent ou inactif (La Syrie, Le Yémen, le Bahreïn, la Libye) le mouvement fut, encerclé presque étouffé par le tribalisme ou par l’intervention militaire.
Cette situation politique inédite dans les pays arabes impose une nouvelle approche du mouvement syndical, ainsi qu’une profonde réflexion sur le rôles que sera amené à jouer le syndicalisme arabe :
- Comment élargir l’action syndicale à toutes les composantes du mouvement social ?
- Quelles stratégies face aux pluralismes syndicales ?
- Comment structurer et décentraliser l’action syndicale ?
- Quels sont les nouveaux champs d’intervention ?
- Quel est le rôle du syndicalisme dans la rédaction de la nouvelle constitution
Par Ridha tlili - Babelmed premier magazine on-line des cultures méditerranéennes
Source de l'article Babelmed.
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