Le nouveau président de la République devra rapidement faire montre de sa capacité à exister sur la scène internationale. Cette exigence ne saurait être confondue avec un quelconque "volontarisme gesticulatoire" dans lequel s'est complu le président sortant.
Aussi, le silence paradoxal sur de nombreuses questions de politique étrangère durant la campagne présidentielle doit être rompu. Si le président élu se concentre légitimement sur le dossier de la crise de la dette en Europe, le début de son mandat ne saurait ignoré ce qui se joue aux portes de la France et de l'Europe : un monde arabe traversé de la Tunisie à la Syrie par un souffle démocratique historique, mais fragile. Il est de la responsabilité du président élu d'accompagner par les paroles et les actes l'aggiornamento politique en court sur la rive sud de la Méditerranée. Certes, il est difficile de porter un jugement univoque sur un mouvement global caractérisé par la diversité des situations nationales, animé par des soulèvements populaires dépourvue d'assise idéologique et dont les issues demeurent encore incertaines. Pour autant, comment imaginer que le nouveau président issu de la gauche puisse passer à côté de l'Histoire, celle d'une dynamique politique par laquelle les peuples prennent conscience de leur souveraineté, qui contredit directement la conception essentialiste selon laquelle certains peuples seraient naturellement étranger au principe démocratique, ou du moins insensibles à l'idéal qu'il porte ?
La victoire de François Hollande a été saluée par les peuples de la rive sud de la Méditerranée. L'attente est réelle au terme d'un mandat présidentiel marqué par les contradictions et la défiance. Les obsessions identitaires et sécuritaires qui ont sous-tendus les discours nationaux et internationaux de Nicolas Sarkozy ont eu une résonance directe et négative sur les peuples de la rive sud de la Méditerranée. Pis, la crédibilité de la France en Méditerranée est sérieusement éprouvée par ses atermoiements lors des premiers soulèvements des peuples arabes et par l'échec cuisant de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Du reste, les deux éléments sont liés. Le lancement par l'Elysée - avec faste et fracas - de l'UPM a mis en lumière la persistance d'incompréhensions réciproques, d'intérêts divergents et de grilles de lecture obsolètes. Les insuffisances structurelles et l'ambiguïté des objectifs de l'UPM interrogent sa propre raison d'être. Union mort-née, l'UPM est aujourd'hui une coquille vide incapable d'impulser une quelconque dynamique. La nécessité de repenser les fondamentaux de la coopération entre le Nord et le Sud du bassin méditerranéen suppose une refonte de l'UPM en faveur d'un projet intégrateur fondé notamment sur une dimension politique assumée. Impensable jusqu'alors, la "problématique démocratique" s'impose désormais dans des relations d'égal à égal avec les démocraties naissantes. Certes, il convient d'éviter tout discours teinté de néocolonialisme et investi d'une sorte de "mission civilisatrice". Il n'empêche, une démarche d'intégration méditerranéenne doit s'inscrire - aujourd'hui plus que jamais - dans le sens des aspirations démocratiques des peuples arabes. Le soutien des démocraties naissantes suppose des financements significatifs - alimentés par une Banque euro-méditerranéenne ? - suivant une logique de co-développement qui est de l'intérêt de tous. À titre d'exemple, le flux migratoire dépend à l'évidence en grande partie du (sous-)développement des régions défavorisées de la rive sud de la Méditerranée. Aussi, au lieu de nourrir le malentendu autour de l'idée d'une "union" des deux rives, serait-il plus judicieux de conclure un pacte de coopération et de solidarité limité aux Etats des deux rives de la Méditerranée, un pacte fondé sur des valeurs et principes communs, un pacte motivé par un objectif de solidarité et de développement.
L'acte de décès politique de l'UPM peut être l'acte fondateur d'un tel pacte pensé dans le cadre de la nouvelle donne régionale et de l'aspiration démocratique des peuples du Sud de la Méditerranée. Afin de renforcer les liens entre les pays riverains de la Méditerranée et de faire de cette aire géographique et culturelle un espace de coopération et de solidarité réelle, les discours ne suffisent plus. Des actes s'imposent, à commencer par la décision qu'avait suggérée M. Hollande, alors en campagne, de convertir la dette tunisienne sous forme de don par la communauté internationale... Il convient surtout de se défaire des hantises sécuritaire et migratoire en faveur d'un authentique projet d'intégration au sein d'un espace euro-méditerranéen - comptant quelque 400 millions d'individus - dont les peuples sont plus qu'ailleurs liés par une communauté de destin.
Par Sélim Ben Abdesselem et Béligh Nabli
Source de l'article LeMonde
Sélim Ben Abdesselem, député franco-tunisien à l'Assemblée nationale constituante de Tunisie, vice-président du groupe parlementaire Ettakatol (parti social démocrate),
Béligh Nabli, directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Maître de conférences à Sciences Po Paris.
Béligh Nabli, directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Maître de conférences à Sciences Po Paris.
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