Un Libyen sur deux, soit plus précisément 52 % de la population, est âgé de 24 ans ou moins.
Un combattant rebelle sur deux, soit plus précisément 52 % d’entre eux, était auparavant à la recherche d’un emploi ou étudiant.
Pourquoi ces chiffres sont-ils importants ?
Depuis mon dernier séjour à Tripoli, le conflit qui sévit en Libye est venu jeter une lumière crue sur ces pourcentages. Pourtant en avril dernier, de nouvelles perspectives, que j’évoquerai plus bas, avaient vu le jour. La Libye possède assurément un immense potentiel, du fait de ses ressources naturelles et de sa situation géographique. J’avais été impressionnée de découvrir que le littoral libyen était le plus long de tous les pays d’Afrique du Nord et que les réserves de pétrole du pays figuraient au dixième rang des plus grands gisements de brut mondiaux. La Libye entretient des liens commerciaux stratégiques avec l’Afrique et l’Europe ; elle possède des vestiges de l’Antiquité romaine encore inexploités et d’une richesse que seule Rome elle-même dépasse, et elle dispose d’une main-d’œuvre jeune. Mais, faute d’exploiter ce potentiel, les perspectives demeureront restreintes pour sa jeune population active et les milices continueront de s’imposer comme l’une des rares sources d’opportunités, ce qui aura pour effet de perpétuer le conflit.
Le taux de chômage libyen, qui a bondi de 13 à 19 % entre 2010 et 2012, est aujourd’hui l’un des plus élevés au monde. Mais, paradoxalement, c’est peut-être la physionomie de l’emploi qui constitue un défi beaucoup plus insidieux : plus de 84 % des actifs occupés sont des agents de la fonction publique payés par l’État ; chez les femmes, ce chiffre atteint 93 %. Malgré ces effectifs considérables, les services et les infrastructures publics en Libye dépérissent ou sont inexistants. En dépit d’une masse salariale faramineuse, l’administration est peu performante. Elle ne crée pas un environnement favorable à la diversification de l’économie et n’est guère capable d’offrir des débouchés aux 52 % de jeunes et de chômeurs décrits plus haut.
Comment la Libye peut-elle transformer le paysage de l’emploi ? S’il n’existe pas de remède miracle, on peut suggérer un certain nombre d’axes prioritaires.
En premier lieu, une fois la stabilité retrouvée, la Libye pourrait signifier plus clairement que dans le passé qu’elle est « ouverte aux affaires » en accélérant les réformes dans ce sens et avec l’objectif principal de stimuler les secteurs non pétroliers à fort potentiel de création d’emplois mais aujourd’hui inexploités. Les investisseurs étrangers seront d’autant plus séduits que la Libye offrira rapidement un secteur financier opérationnel et une économie diversifiée. Les pays voisins, comme la Tunisie, l’Égypte et Malte, sont déjà largement parties prenantes de l’économie libyenne, tout comme les travailleurs africains et asiatiques. Le développement de secteurs en friche (infrastructures, commerce, services, agro-industrie…) donnerait un coup d’accélérateur bienvenu à l’emploi.
Par ailleurs et peut-être tout aussi fondamentalement, la Libye pourrait faire en sorte de proposer des formations professionnelles de qualité en adéquation avec les besoins du secteur privé en utilisant le levier des partenariats public-privé. D’après l’évaluation du climat de l’investissement réalisée par la Banque mondiale en Libye, une entreprise sur trois ne peut trouver les compétences qu’elle recherche, quelles soient manuelles ou en rapport avec des emplois très qualifiés. Il s’agit de doter les jeunes d’un savoir-faire compétitif par le biais de programmes d’apprentissage et de formation reconnus dans le monde et dispensés par les meilleurs centres et entreprises. Les contrats de performance et les partenariats avec le secteur privé augmentent leurs chances de trouver un emploi. L’existence d’un gisement de travailleurs dotés de compétences spécifiques qui répondent à des besoins pré-identifiés favoriserait la confiance des investisseurs. Les programmes mis en place au Mexique et au Bosnie Herzégovine pourraient, à ce titre, servir de modèles.
Enfin, compte tenu des effectifs pléthoriques de l’administration, la Libye devra aussi revoir ses politiques de l’emploi et de la protection sociale dans le public et dans le privé. Seuls 46 % des salariés du privé bénéficient d’une couverture sociale, ce qui est préoccupant. Comme partout dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), la fonction publique offre la sécurité de l’emploi et des avantages beaucoup plus intéressants. Mais la situation en Libye est encore plus complexe. Le secteur privé se caractérise par des contrats de travail flous et l’absence de prestations sociales de base tant pour les personnes employées que les demandeurs d’emploi.
La refonte de ces politiques et de ces programmes prendra du temps, mais des initiatives innovantes en faveur de l’emploi avaient déjà pris forme avant l’avènement de la crise actuelle. Lors de ma dernière visite, le conseil municipal de Tripoli venait de nouer un partenariat avec l’organisation non gouvernementale Libya Foundation for Development, pour aider les Libyens à trouver un emploi et soutenir l’entrepreneuriat. Ce centre pour l’emploi de type public-privé (l’un des tous premiers de la région MENA) propose un éventail de prestations, comme des stages et des emplois au sein d’entreprises toujours plus nombreuses. La consolidation de ces réseaux est cruciale car elle aidera les jeunes Libyens, et tout particulièrement ceux qui ont pris les armes, à trouver des opportunités d’emploi.
Ces formes de coalition nationale ou internationale font partie des nombreuses initiatives en mesure de fournir aux jeunes de Libye une alternative viable aux milices. Ils sont 52 % à compter dessus.
Par Heba Elgazzar - Source de l'article Le Blog de la Banque Mondiale
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