Pour un printemps de la Méditerranée

On a assez parlé de la Françafrique. Pourquoi parler aujourd’hui de la France-Méditerranée ? C’est que, pour moi, en tant qu’élu du suffrage universel d’une grande région méditerranéenne, l’heure est venue d’un appel solennel au président de la République et au gouvernement. 

Les images reçues par les Français n’illustrent que les horreurs d’un terrorisme qui se proclame «Etat» et «islamique» et, en réponse, des bombardements en Irak. La France n’a pas peur et nous sommes fiers de notre pays. Mais les Français, eux, ont peur. Le plan Vigipirate ne suffira pas à calmer les inquiétudes des habitants de Marseille ou de Nice.

Je parle de ceux que je représente en tant que président de région. La décapitation d’un Français de notre région a mis non seulement les drapeaux du pays mais ceux de notre région en berne. Marseille est à une heure de vol d’Alger comme de Paris. Quand la moitié d’une famille vit à Alger et l’autre à Marseille, la France se doit d’ajouter un troisième message à celui des forces armées et de la police. Marseille est proche du Maghreb. Pourtant, c’est à Bruxelles qu’on a traité les pays latins de «Club Méditerranée». C’est à Bruxelles, où l’on est à des années-lumière du Sud, que l’on parle de politique de «voisinage» avec le Maghreb alors que nous sommes, à Marseille comme à Nice, en «cohabitation» avec des milliers de Français d’origine maghrébine et de religion musulmane. Chez nous, la crise ne relève pas du ministère des Affaires étrangères, elle est régionale et sociale. Elle mélange racisme et chômage.

Le président de la République a eu le courage d’envoyer en Irak comme au Mali des soldats français eux-mêmes très courageux. Les guerres de religions sont évidemment au XXIe siècle beaucoup plus graves que les guerres de religions qu’a connues la France au XVIe siècle ou que l’Espagne et le Portugal ont portées en Amérique à la même époque. La violence des moyens actuels de guerre terroriste, le rôle des drones et la sophistication des moyens de renseignements présentent de nouveaux dangers pour la paix. Il y a aussi la «tweetérisation» de la vie politique qui ne laisse plus le temps aux dirigeants, pressés par les médias, d’expliquer une politique devenue illisible. Elle finit par conduire nos élus locaux à voter, dans le secret des isoloirs, pour le Front national.

Quand on bombarde l’Irak, la traînée de poudre peut s’enflammer d’Alep à Beyrouth, de Beyrouth à Jérusalem, de Jérusalem à Gaza puis au Caire puis au Maghreb, et enfin du Maghreb à Marseille. Le président de la République et le gouvernement font preuve de la fermeté nécessaire pour conforter l’union nationale. Mais je ressens un changement d’esprit dans ma région méditerranéenne depuis la décapitation - comme pour les moines de Tibéhirine - d’un Français qui aimait, comme nous, l’Algérie. Le peuple de France, que l’on incite à vibrer autour du drapeau national, que, lors des championnats de foot, se fait heureusement à nouveau entendre en portant cette fois la voix de l’union nationale.

Il faut donc mieux expliquer aux Français que dans cette crise, il n’y a pas de solution de continuité entre la politique étrangère et la politique intérieure. L’Europe ne se fera pas en tournant le dos à la Méditerranée. Les Français du Sud entendent par les médias qu’ils devraient abandonner les acquis sociaux ringards ou leur prétendue manque d’ardeur au travail. On leur répète que le modèle en Europe, c’est l’Allemagne «Deutsche Qualität» et dans l’Union atlantique, les Etats-Unis d’Amérique «In God We Trust». Or, ce qui se passe en ce moment ne sera réglé, à terme, ni par des bombes ni par Vigipirate si nécessaire aujourd’hui. Pour vivre en paix, en prospérité et en fraternité dans la communauté de destin des peuples méditerranéens, nous devons rééquilibrer les effets d’annonce de notre politique orientale et sahélienne. Pour cela, une pédagogie expliquant notre politique économique, sociale et ethnique traitée en cogestion avec les pays méditerranéens est devenue indispensable. Ma région porte plus que sa part, malgré les avis de la Cour des comptes, d’une «diplomatie participative» dont les populations des régions méditerranéennes ont besoin. La France a besoin d’utiliser Marseille pour sa politique méditerranéenne, comme l’Espagne a su utiliser Barcelone. La disparition de la Délégation interministérielle à la Méditerranée, les réticences de certains hauts fonctionnaires à soutenir l’Agence des villes et territoires méditerranéens, le mépris de certains technocrates du milieu parisien pour le rôle de la société civile quand les diplomaties d’Etat cheminent trop lentement, sont incompréhensibles.

Le président Hollande avait annoncé à Malte une «Méditerranée de projets» avec la jeunesse comme priorité. Hélas, aujourd’hui, les jeunes des deux rives partagent à Marseille comme à Alger le même désespoir. Les uns, au Sud, veulent fuir leur pays au risque de mourir en mer. Les autres, au Nord, expriment leur désarroi dans une société qui semble les mépriser. Tous attendent après le message du «printemps arabe», un printemps de l’Europe, et un printemps de la Méditerranée. Tous ces jeunes sont des Indignés. Si l’on veut éloigner, non pas demain mais dans dix ans et pour le siècle, le spectre de la guerre, du terrorisme, du racisme et de l’intégrisme dans une communauté méditerranéenne de fait, il faut faire de la politique étrangère et de la politique intérieure dans cette zone, une seule et même politique, co-imaginée et cogérée, par les gouvernements et les sociétés civiles du Sud et du Nord, avec la participation de toutes les catégories sociales.

Jamais la France n’a connu un tel mélange de misère sociale et morale et de racisme ethnique, religieux et social. Si le discours adéquat n’est pas tenu dès maintenant par les responsables politiques et expliqué par les médias, ce ne sont pas des «frondeurs» qui poseront un problème, c’est l’extrême droite qui le réglera.

Tribune de Michel VAUZELLE Président de la région Provence­-Alpes-­Côte d’Azur, vice-­président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

Source de l'article Libération 

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