Les citoyens européens semblent de plus en plus se distancier de cette Europe inachevée dont les décisions apparaissent déconnectées des réalités
La visite au Maroc de Johannes Hahn, Commissaire européen chargé de la politique de voisinage et de l’élargissement, est la première étape d’une tournée dans les pays du voisinage pour prendre la température de l’environnement, saisir les perceptions des partenaires, écouter leurs attentes. En filigrane de cette tournée, se pose en effet la question de la finalité de la politique de voisinage à laquelle le nouveau Commissaire en charge du dossier sera confronté. Quels sont les objectifs de la version relookée de la PEV aux lendemains du Printemps arabe et de la crise ukrainienne ? L’Europe doit-elle s’en tenir à une seule politique de voisinage ou aller plus loin dans la différenciation esquissée à travers le distinguo établi entre le partenariat oriental et le processus euro-méditerranéen ? Doit-elle s’apparenter à une extension à marche forcée du marché intérieur ou s’appuyer sur un nombre limité d’actions hiérarchisées adaptées à chaque État partenaire ?
Depuis l’avènement du Printemps arabe, la Commission européenne a réagi aux secousses politiques par une redéfinition des grandes lignes de sa politique à l’égard de ses voisins. D’abord, l’UE entend soutenir chez ses partenaires une transition vers une démocratie profondément ancrée. Ensuite, l’UE souhaite établir des partenariats centrés sur la coopération avec une société civile pluraliste. Enfin, l’UE veut promouvoir une croissance inclusive dans ces pays partenaires. Pour atteindre ces objectifs, la nouvelle approche de la PEV repose sur les principes de la différenciation, la conditionnalité et la coordination des instruments de l’aide. Plus précisément, la conditionnalité positive fera dépendre l’aide de l’amélioration de la situation des droits de l’homme et de la gouvernance (more for more) ; la conditionnalité négative sera activée pour sanctionner les entraves à la démocratie. Le principal instrument de l’UE pour soutenir cette nouvelle stratégie se présente sous la forme des «Trois M» de Catherine Ashton: Money, Market access et Mobility (argent, accès aux marchés et mobilité). Ensemble, ces trois éléments sont censés apporter les ressources et les incitations nécessaires pour permettre une nouvelle dynamique du Partenariat.
Les trois nouvelles priorités de l’UE dans son voisinage, à savoir une démocratie profondément ancrée, des partenariats avec la population et une croissance inclusive, sont encore mal définies. Sur le terrain, peu de choses ont changé. L’UE est encore à la recherche d’un dialogue structuré qui permettrait une implication effective de la société civile dans le système de veille et de décision. Enfin, la nouvelle approche de la croissance inclusive, trop focalisée sur le rôle du secteur privé, ne constitue sans doute pas un changement qualitatif par rapport aux réformes axées sur l’économie de marché. L’UE a promis de concentrer son aide sur l’éducation, la santé, l’emploi et le développement des PME. Dans les faits, les politiques de développement et de commerce de l’union reposent toujours sur la mise en place d’un libre-échange approfondi, la convergence normative, le transfert de l’acquis communautaire. Certes, l’UE tend de plus en plus à compléter ces mesures par des programmes en faveur de l’emploi des jeunes mais il n’existe pas de rupture nette avec son ancienne stratégie. En outre, elle n’a pas montré de volonté à s’attaquer à des sujets sensibles comme l’ouverture de son marché agricole ou l’augmentation de la mobilité des travailleurs.
Plus qu’un «nouveau départ», les fondements de la «nouvelle» approche de l’UE représentent à peine plus qu’un réajustement des objectifs précédents. Le nouveau cadre, censé créer une stimulation entre pays partenaires, suscite plutôt des frustrations à l’Est comme au Sud. Cette approche s’explique par son «péché originel» : inspirée de la politique d’élargissement, elle a les grandes ambitions d’une stratégie d’adhésion mais menée avec des moyens budgétaires d’une politique d’aide.
La révision de la PEV reste un exercice formel qui n’a guère permis de modifier le paradigme de partenariat qui sous-tend l’action européenne dans une région perturbée. Son flanc Sud s’enlise dans la décomposition des Etats-nations ou voit se reproduire de nouvelles variantes de l’autoritarisme. Son aile Est, troublée par la crise ukrainienne et le projet de la Russie de renforcer son emprise sur son «étranger proche» signale que le continent européen est en réalité partagé entre deux processus d’intégration régionale concurrents et incompatibles. L’impact simultané des tensions de la «périphérie» de l’UE et de la crise des institutions européennes provoque une érosion du rôle de modèle que veut jouer l’UE pour ses «voisins».
L’Union européenne est en proie à une grave crise économique qui lui fait perdre son souffle de locomotive de la croissance régionale. La nouvelle méthode de décision intergouvernementale, au travers d’un budget qui représente à peine 1% du PIB des Vingt-sept, révèle les limites de l’union à renforcer ses solidarités. Les citoyens européens semblent de plus en plus se distancier de cette Europe inachevée dont les décisions apparaissent déconnectées des réalités.
L’Union européenne est également confrontée à l’émergence ou à la réémergence de puissances régionales ou étrangères dans la région, comme la Turquie, la Russie, les États du Golfe et la Chine. Prise dans l’étau de ses divisions internes, absente sur la scène internationale, l’UE est de moins en moins comprise par ses partenaires.
Par Larabi Jaïdi. - Source de l'article La Vie éco
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