Le parfum de la guerre froide refait surface depuis quelques mois. Depuis le début de la crise ukrainienne, la question de l'énergie a été au centre des préoccupations de l'Union européenne. Les tensions entre la Russie et l'Ukraine ont en effet remis sur le devant de la scène la vulnérabilité évidente de l'approvisionnement énergétique de notre continent.
Nous importons plus de 53% de l'énergie que nous consommons dont plus d'un tiers de notre gaz et de notre pétrole provenant de la seule Russie. Pire, six pays membres de l'Union européenne sont intégralement dépendants des importations du gaz russe ne serait-ce que pour se chauffer.
Pour noircir le tableau, outre cette dépendance, la problématique énergétique européenne se situe à la convergence de la crise économique avec les conséquences particulièrement néfastes d'un coût trop élevé de l'énergie sur notre industrie, de la crise écologique avec la nécessité impérieuse de réduire le niveau d'émission de gaz à effet de serre et enfin de la crise sociale avec ses 100 à 125 millions d'Européens en situation de précarité énergétique qui ne peuvent pas se chauffer convenablement.
Inquiétudes à l'Est, espoir au Sud
Une fois de plus, l'énergie est au centre du défi européen. Après la Communauté européenne du charbon et de l'acier qui nous a apporté les prémices de la paix, nous devons mettre en place une Union de l'énergie pour assurer l'indépendance et la stabilité politique de l'Europe. Pour autant, indépendance ne signifie pas repli sur soi, ce serait même nous exposer à des dangers bien plus sérieux. Au contraire, indépendance signifie diversification de nos sources d'approvisionnement en énergie et coopération avec notre voisinage. Plus les sources d'énergie sont nombreuses, moins les risques de rupture d'approvisionnement ou de pressions politiques sont élevés.
Fort de ce constat, une évidence s'impose : en matière énergétique, s'il y a inquiétude à l'Est, il y a espoir au Sud. Le sud de la Méditerranée est en effet le partenaire idéal de l'Europe pour créer un espace commun de l'énergie.
L'énergie, un défi commun pour le nord et le sud de la Méditerranée
Les motivations pour la création d'une telle communauté euro-méditerranéenne de l'énergie sont nombreuses.
L'Union européenne au Nord et le Maghreb et le Mashrek au Sud sont des ensembles complémentaires. Au sud de la Méditerranée, les ressources en énergies fossiles (pétrole, gaz) et renouvelables, notamment en énergies solaire et éolienne, sont abondantes. Si des interconnexions électriques efficaces sont mises en place, 15% des énergies renouvelables de l'Europe en 2030 pourraient venir de cette région. En parallèle, ces pays font aussi face au défi du changement climatique et auront besoin du savoir-faire européen en matière d'efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables. Si à cela nous ajoutons les besoins en énergie différents selon les heures ou les saisons de l'année entre le Nord et le Sud mais aussi l'intérêt de nouvelles interconnexions gazières pour renforcer la diversification de l'approvisionnement en énergie de l'Europe, la pertinence d'une telle alliance prend toute sa force.
Catalyser la transition écologique de l'Europe et du bassin méditerranéen
Outre cette complémentarité géographique, une telle communauté pourra apporter une réponse intéressante au tout hydrocarbure de nos relations avec le Sud et constituer un catalyseur de la transition écologique. L'immense potentiel solaire des pays du sud de la Méditerranée a la capacité de générer une production électrique significative. Pour la première fois, les pays arabes seront considérés, non pas seulement comme des fournisseurs d'hydrocarbures, mais aussi d'une énergie propre. Ceci donnerait un sérieux coup à la "tyrannie pétrolière" dont l'historien libanais Georges Corm n'a eu de cesse de dénoncer les dérives néfastes pour les pays arabes.
Tout l'enjeu désormais sera de relier les deux rives de la Méditerranée à travers des interconnexions électriques. C'est l'ambition du consortium Medgrid au sein de l'Union pour la Méditerranée qui travaille déjà sur ces questions techniques et industrielles depuis 2011.
Une opportunité industrielle et sociale au sud de la Méditerranée
Enfin, une telle communauté de l'énergie en Méditerranée participera au renouvellement de nos relations avec les pays du Sud. Loin d'une relation strictement commerciale où la concurrence avec l'Europe est souvent intenable pour l'économie de ces pays et loin d'une relation strictement financière avec les grands producteurs d'hydrocarbures, ce partage de la production d'énergie répond aux impératifs de développement du tissu économique du sud de la Méditerranée. Cette répartition dans le développement de ressources énergétiques nouvelles est une réponse adéquate aux printemps arabes et à la volonté de co-développement exprimée par les populations du sud de la Méditerranée.
En 1974 à l'ONU, Boumédiène appelait déjà la communauté internationale à prendre ses responsabilités dans le développement des pays arabes au moment où elle profitait au maximum de la manne pétrolière. Nous avons ici l'occasion d'apporter une réponse à cet appel à la hauteur des valeurs et des ambitions de l'Union européenne.
Nécessité géopolitique, impératif économique et urgence écologique forment le triptyque vertueux qui oblige l'Europe à tourner son regard vers le Sud et à créer cette communauté euro-méditerranéenne de l'énergie. L'Europe a aujourd'hui besoin d'un nouveau souffle, d'une indépendance affirmée et d'une force retrouvée pour rassurer ses citoyens. La communauté de l'énergie méditerranéenne est l'un des projets fédérateurs qui pourra réconcilier les citoyens et l'Europe en étant une composante essentielle de l'Union de l'énergie. L'Europe de l'énergie n'est pas derrière nous, elle est devant nous.
Par Gilles Pargneaux et André Merlin - Source de l'article Huffigtonpost
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