Penser autrement l'espace euro-méditerranéen est, aujourd'hui, une nécessité face aux résultats modestes du partenariat lancé en 1995 à l'occasion de la conférence de Barcelone et auquel ont succédé notamment la "politique européenne de voisinage" à partir de 2004 ainsi que l'UPM, l'Union pour la Méditerranée, un projet mort-né.
Son échec est dû principalement à l'instauration d'un bilatéralisme entre la France et les pays du Maghreb sans se "soucier de l'intégration de ces pays entre eux" et sans tenir compte des relations qu'ils entretiennent entre eux.
Plusieurs raisons peuvent expliquer l'absence de résultat du processus de Barcelone. Tout d'abord, l'inexistence d'une politique extérieure européenne a empêché un dialogue entre les deux rives et a entretenu les relations bilatérales historiques. Sur ce point, il faut d'ailleurs noter la perte d'influence de l'Europe en Méditerranée face à d'autres puissances internationales. Ensuite, la persistance des conflits dans la région proche et moyen-orientale (intervention en Irak, conflit israélo-palestinien) a freiné toute avancée. En outre, le processus a pâti de l'élargissement de l'Union européenne à l'Est. Enfin, l'émergence de la société civile aurait dû être partie prenante de cette coopération euro-méditerranéenne ainsi que les questions liées au développement social, qui semblent avoir été omises.
Sur le plan économique, de l'emploi local à faible valeur ajoutée a été créé mais les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée ne sont pas parvenus à passer d'une économie de rente à une économie basée sur des règles de marché: production d'industries et de services répondant à une demande intérieure. A cet effet, un nouveau partenariat s'impose dans les relations économiques entre la France et les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée. Ce partenariat aurait pour mission de penser ensemble à un nouveau modèle de production et de développement destiné aux pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée: un partenariat euro-méditerranéen misant sur "la co-localisation" et non sur la sous-traitance au sein de la chaîne de valeur, où chaque partenaire trouve sa place. Le partenariat pourrait être financé par une sorte de "plan Marshall" auquel seraient associés les pays du Golfe. Ce projet se déroulerait selon un protocole de coopération entre l'Union européenne et le Conseil de coopération du Golfe.
L'objectif serait, d'une part, de créer des emplois de qualité et de répondre aux besoins les plus pressants des populations, et d'autre part, d'assurer la compétitivité et le succès des entreprises des deux rives (via notamment la fourniture de capitaux pour les entreprises de taille moyenne en Europe qui souhaitent s'internationaliser). Cela revient également à soutenir l'investissement et l'emploi au Sud comme au Nord de la Méditerranée. L'entreprise retrouvera une compétitivité accrue, ce qui lui permettra de s'internationaliser, de gagner en parts de marché, d'investir et de créer des emplois. Ce modèle s'inspire des partenariats industriels que la RDA a développé avec les pays d'Europe de l'Est dès la fin des années 50 et qui a profité à l'Allemagne réunifiée.
Certains exemples existent déjà, comme celui de Suez Environnement dans le traitement des eaux à Alger en partenariat public avec l'État pour la modernisation des services d'eau de l'agglomération. Des dizaines d'ingénieurs ont été formés. L'usine du sous-traitant aéronautique Aircelle (filiale du groupe Safran) à Nouaceur en est un autre exemple. Les activités tunisiennes d'Aerolia, un sous-traitant d'Airbus, pourraient également être citées. Les sous-ensembles sont montés par un réseau de sous-traitants locaux. Cela favorise la compétitivité de la société dans son ensemble et a permis d'embaucher en France.
En effet, les moyens financiers de la péninsule arabique et des pays du Maghreb et de la technologie conjugués au savoir-faire européen permettraient d'exceller dans la science, la technologie, le soutien à la formation et l'assistance technique dans la recherche et le développement, les secteurs de l'électronique, l'informatique, le numérique et la santé. La mise en place de structures de complémentarité actives et productives au bénéfice des deux rives permettrait le développement d'une économie de la connaissance illimitée, par opposition à celle des matières premières, épuisables. Ainsi, ce concept de "co-localisation" repose sur une démarche gagnant-gagnant, par opposition à la décolonisation qui porte sur l'ensemble d'un processus industriel.
Un volet environnemental serait étudié dans le cadre de ce plan. Il s'agirait de co-penser la "transition énergétique" et l'après-pétrole par un système de "coopération transméditerranéenne" pour l'énergie renouvelable afin de favoriser le développement d'industries locales, le transfert de connaissances et la croissance économique. La rive Sud dispose d'un vaste potentiel éolien et solaire, et d'hydrocarbures alors que la rive Nord détient la technologie.
Plusieurs défis persistent pour la réussite de ce projet dont la professionnalisation de la main-d'œuvre et l'ouverture des marchés, d'où l'importance de la formation des jeunes pour la pratique d'un métier. Un autre défi consisterait à relancer l'accord de libre-échange euro-méditerranéen, à inciter au démantèlement des barrières aux frontières entre les pays du Sud de la Méditerranée pour créer une véritable zone économique sur le pourtour maritime.
Un partenariat public-privé serait la clé de tout développement de "la Méditerranée des projets". Aux États d'assurer la sécurité juridique et sécuritaire pour instaurer un climat de confiance essentiel au développement économique des entreprises et des initiatives privées. Aux États de veiller au bon déroulement des réformes dans le domaine de la gouvernance et de l'état de droit de la part de leurs partenaires du sud. Le secteur privé mettrait en œuvre les outils nécessaires à la bonne conduite de ces projets pour offrir un avenir à cette jeunesse qui risque de sombrer, soit dans le radicalisme, soit dans les eaux de la Méditerranée. Faciliter la circulation des compétences devrait être mis au cœur de l'engagement des Etats et aboutir à l'instauration d'un Erasmus euro-méditerranéen.
Mettre l'économie au cœur du projet euro-méditerranéen, c'est probablement le chantier des prochaines années pour réussir les défis du siècle. Néanmoins, économie et politique doivent aller de pair, la société civile dans son ensemble (jeunesse, femmes et hommes) doit également jouer un rôle important pour mener à bien ce partenariat.
Par Rita Maalouf - Source de l'article Huffingtonpost
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