Les pays au sud de la Méditerranée largués par l'Europe

Françoise Lemoine -L'auteure est économiste principale du Centre d'étude prospective et d'information internationale (CEPII) à Paris.
Les pays du pourtour sud de la Méditerranée connaissent des bouleversements politiques majeurs sous la pression de violents mouvements de mécontentement populaire. La révolte vise des régimes politiques, autoritaires ou dictatoriaux, corrompus, mais trouve aussi un soubassement dans la situation économique de ces pays.
Du Maghreb à la Syrie, ces pays, peuplés de plus de 200 millions d'habitants (hors la Turquie), ont des tailles et des profils économiques différents, mais aussi des points communs.
Avec un PIB par tête qui varie entre 4000$ et 8000$, ce sont des pays à revenu moyen, moins pauvres que les pays d'Afrique subsaharienne, mais beaucoup moins riches que ceux du nord de la Méditerranée. Ils ont connu au cours des 10 dernières années une croissance économique honorable (entre 4% et 5% par an), aussi forte que celle des pays d'Europe de l'Est, mais avec une augmentation rapide de leur population (2% par an en moyenne).
Il aurait fallu une croissance «à la chinoise» pour créer suffisamment d'emplois dans une période où la population en âge de travailler a plus que doublé. Entre 1980 et 2010, elle a été multipliée par 2,2 au Maghreb comme en Égypte, et par trois en Syrie. La population est jeune et les moins de 25 ans forment entre 44% (en Tunisie) et 52% (en Égypte) de la population totale. Elle est éduquée, avec un enseignement primaire généralisé dans la plupart des pays, et, dans certains, comme l'Égypte et la Syrie, une fraction importante des jeunes accède à l'enseignement supérieur. Le chômage qui dépasse 10% affecte particulièrement les jeunes qui doivent se contenter d'emplois précaires.
À l'exception de l'Égypte, ces pays sont économiquement et commercialement fortement liés à l'Europe. Ils font avec l'Union européenne plus de la moitié de leurs échanges, les deux tiers pour le Maroc, les trois quarts pour la Tunisie. Ils ont longtemps joui d'un accès préférentiel au marché européen et leurs exportations sont restées marquées par des spécialisations traditionnelles: les produits agricoles et textiles.
À la faveur de la libéralisation du commerce mondial de textiles en 2005, la concurrence chinoise a laminé leur position en Europe. Ils n'ont pas réussi à diversifier leur économie vers des industries nouvelles. Les liens commerciaux de part et d'autre de la Méditerranée se sont plutôt distendus, car avec l'élargissement de l'Union européenne à l'est, les entreprises européennes ont orienté de préférence leurs investissements directs vers les nouveaux pays membres.
La Turquie est le seul des pays du sud de la Méditerranée à avoir développé une industrie puissante et moderne, notamment dans l'automobile, grâce à son marché intérieur et aux investissements européens. Pour la plupart des pays de la région, le tourisme et les envois de fonds des travailleurs émigrés constituent des sources très importantes de revenus extérieurs, et ces pays sont fragilisés par la faible croissance et le fort chômage en Europe.
La légitimité démocratique des régimes passera aussi par la solution de ces problèmes économiques et sociaux.
Source http://www.cyberpresse.ca/opinions/201104/20/01-4391867-les-pays-au-sud-de-la-mediterranee-largues-par-leurope.php

.

Aucun commentaire: