Nicolas Sarkozy avait voulu faire de l'Union pour la Méditerranée (UPM) un élément essentiel de la crédibilité internationale de la France, notamment dans son "dialogue" avec les pays du Sud. Après deux ans d'errements et d'improvisations, cette institution a montré ses limites. Ce fiasco était prévisible. Dès sa conception, l'UPM souffrait de trois grands paradoxes.
La première contradiction réside dans la méthode : à vouloir faire cavalier seul et s'attribuer la réussite du projet, le président s'est disqualifié en ne jugeant pas nécessaire de convaincre ses partenaires européens, et en particulier l'Allemagne, de la pertinence de l'enjeu méditerranéen. Cette obsession à tout s'approprier, à faire des coups médiatiques au détriment d'une véritable politique, est contraire à l'intérêt général.
Deuxième paradoxe : la politique intérieure du gouvernement s'oppose à un projet méditerranéen. N'est-il pas en effet contradictoire de parler d'"union de projets", de "dialogue des civilisations", de "ponts à construire", tout en s'érigeant en citadelle ? La énième loi sur l'immigration contribue, une fois encore, à faire de l'étranger un délinquant.
Au-delà de la question migratoire, comment nouer une alliance fondée sur la confiance avec ces pays tout en stigmatisant, jour après jour, les Français de tradition arabo-musulmane qui vivent sur votre sol ? Ceux-là mêmes qui possèdent toujours des liens très forts avec l'autre rive. La refondation de l'UPM va percuter, avec fracas, le débat voulu par le parti du président sur - ou plutôt contre - l'islam.
Car, en France, le musulman est devenu la nouvelle figure de l'Autre. Les petits fils d'immigrés, nés français, sont désignés comme "musulmans" pour mieux les enfermer dans une identité allogène et forcément pathogène. Pour Nicolas Sarkozy, le musulman devient, face à la surenchère électoraliste imposée par le Front national, un enjeu qu'il suffirait de triturer habilement pour en faire une martingale en vue des prochaines élections.
Défiance grandissante
Sa croisade a commencé dès 2007, elle s'est poursuivie avec la création du ministère de l'identité nationale et du funeste débat du même nom, avant de se décliner dans des polémiques autour de la burqa, des minarets et de la nourriture halal. C'était faire injure à ces millions de citoyens qui vivent leur foi en toute discrétion et tranquillité, en parfaite cohérence avec la laïcité.
Cette diabolisation de l'islam, ces éructations répétées contre une foi et une spiritualité sont contraires à notre conception de la laïcité et constituent autant d'humiliations aux conséquences corrosives pour le vivre-ensemble et l'image de la France. Faut-il rappeler que les jeunes de la rive sud vivent la démocratie par procuration en suivant avec avidité la vie politique française ? Les propos, agissements et décisions de nos responsables sont commentés en temps réel sur les réseaux sociaux, dont on connaît le rôle déterminant dans le déclenchement du "printemps arabe".
Le troisième paradoxe repose sur une erreur majeure dans l'analyse de l'évolution politique des pays de la rive sud. Obsédé par l'intégrisme, le gouvernement français a cautionné la privation des libertés dans les pays du Sud en soutenant des régimes autoritaires et déconnectés des peuples. D'ailleurs, la France, et elle n'est pas la seule en Europe, s'est faite la complice de la théorie selon laquelle la foi musulmane serait incompatible avec la démocratie. Aujourd'hui, cette vision fantasmée et anxiogène de l'islam et des musulmans justifie, dans les pays du Sud, une défiance grandissante à l'égard de la France.
En définitive, l'Union pour la Méditerranée est une belle idée gâchée qu'il faudra nécessairement repenser. La vision française sur le sujet, en plus d'être paradoxale, est schizophrène : elle est lyrique et grandiloquente dans ses discours, et paranoïaque dans ses actes. La dichotomie entre politique intérieure et politique étrangère n'est plus acceptable.
Dans l'immédiat, il est indispensable de soutenir les sociétés civiles de la rive sud qui expriment avec une vitalité et une conviction insoupçonnées leurs aspirations démocratiques. Il convient de leur proposer les outils de cette émancipation afin qu'elles s'approprient les processus démocratiques en renforçant les mécanismes de financement européens dédiés.
Enfin, il est urgent et salutaire d'ouvrir une séquence positive avec nos citoyens de tradition arabo-musulmane car ils seront les meilleurs passeurs vers la rive sud.
Bariza Khiari, sénatrice de Paris, vice-présidente de l'Assemblée des parlementaires de la Méditerranée
Article paru dans l'édition du Monde du 9 avril 2011 Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/08/la-diabolisation-de-l-islam-est-une-impasse_1504918_3232.html .
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