Méditerranée / La Syrie aussi? Entretien avec Mohamad Roumi
Les Syriens, las du régime de Bachar el Assad, avaient tenté d’exprimer leur malaise et d’emboîter le pas aux révolutions tunisienne et égyptienne sans grand résultat. L’étincelle a pourtant pris à Deraa, ville située à une centaine de kilomètres au sud de Damas.
Mais c’est une fois de plus l’autisme politique, propre à de nombreux régimes arabes, qui sévit actuellement en Syrie : manque de vision à moyen et long terme, recours immédiat à la répression sanglante avec un bilan qui oscille entre 40 et 100 morts, selon les sources.
Parmi les victimes, il y a de nombreux jeunes dont la seule faute est d’avoir crié pacifiquement leur envie de liberté et de changement. Nous avons rencontré le réalisateur syrien Mohamad Al Roumi pour mieux appréhender l’enjeu démocratique dans ce pays, qui reste peu connu. Car la Syrie n’est pas connectée au reste du monde comme la Tunisie et l’Egypte, dont les économies basées sur le tourisme, leur ont toujours garanti une attention particulière sur la scène internationale.
La Syrie ne semble pas épargnée par le printemps arabe, quelle est la situation spécifique de ce pays ?
Avant de parler de spécificité syrienne, il convient de rappeler la ressemblance qu’il y a entre tous les régimes arabes hormis les pays du Golfe. On dirait qu’ils se sont copiés les uns les autres. Beaucoup d’entre eux sont gouvernés par des militaires. Leurs présidents ont été formés au sein d’un même appareil, celui d’une armée qui les a coupés de leur société dès l’âge de 18 ans. Exclusivement habitués aux ordres, ils sont donc rentrés très tôt dans une logique dictatoriale. L’autre caractéristique de ces président arabes, c’est qu’ils s’entourent le plus souvent de gens incompétents qu’ils dominent au point de se sentir uniques et indispensables.
Il y a donc dans ces régimes une prédisposition des dirigeants à devenir dictateurs. En fait, tous ces pays, après la Deuxième Guerre mondiale, ne sont pas devenus des nations mais des brouillons de nations fondées sur un fonctionnement patriarcal. Et c’est précisément autour de la figure du patriarche, de sa famille et de son entourage que s’organise la corruption, autre point commun des régimes arabes. Et celle-ci n’a jamais été aussi repue qu’avec l’économie de marché.
Dans quel contexte politique s’enclenche cette révolte ?
Bachar el Assad est le fruit du compromis qu’il y a eu à la mort de son père. Au moment de cette drôle de succession politique, il a hérité d’une partie de l’appareil de Hafez el-Assad, à savoir des militaires et un parti, le Baas. Son oncle aurait voulu prendre le pouvoir à sa place, mais des luttes intestines au sein de l’armée l’en ont empêché.Vu que Bachar n’était pas un militaire, on a pensé - c’était en 2000 - qu’il serait capable de moderniser et de démocratiser le pays.
Ces aspirations se sont d’ailleurs exprimées à travers ce que l’on a appelé à l’époque “le printemps de Damas” dans lequel convergeaient des revendications de liberté et de changement émanant essentiellement de l’intelligentsia du pays. Mais aujourd’hui, nous sommes face à une réalité toute autre et les intellectuels syriens ne sont pas à l’origine des événements actuels en Syrie.
Quels sont les facteurs qui ont poussé Bachar El Assad à stopper cette impulsion démocratique d’alors ? Les militaires bien sûr, et l’absence dans les autres pays arabes d’un modèle démocratique à suivre sont les raisons principales de son impuissance. Il faut dire aussi qu’historiquement, la Syrie a toujours joué un rôle à part dans la région.
Elle s’est opposée à l’invasion de l’Egypte au moment de la nationalisation du Canal de Suez. Deux ans plus tard, en 1958, le président syrien, Shukri al-Kuwatli, est allé jusqu’à accepter d’unir clé en mains son pays à l’Egypte de Nasser en une seule et même nation, la République Arabe Unie.
Cette dose de panarabisme à laquelle vont s’ajouter une position fermement anti-israélienne et un recours constant à la théorie du complot venu de l’étranger ont permis au gouvernement de faire avaler bon nombre de couleuvres aux Syriens. Le régime sait aussi utiliser la dimension communautaire du pays.
Il prend tour à tour les chrétiens ou les alaouites (communauté à laquelle appartient Bachar el-Assad) en otage, en leur faisant croire que tout changement politique dans le pays pourrait leur nuire et qu’il vaut mieux rester sous sa protection.
Y a-t-il sur place des mouvements politiques capables de relayer la protestation populaire partie de Deraa ? Non, il n’y a pas aujourd’hui en Syrie de mouvement d’opposants politiques. Le parti communiste est une vieille boutique qui n’a plus rien à vendre, il est fractionné en plusieurs groupes qui ont perdu toute influence auprès du peuple. Quant aux forces de la droite islamique, souterraines puisqu’interdites, elles regroupent toutes sortes de tendances: du patriotisme à l’intégrisme, on ne peut donc pas parler d’une force homogène capable de jouer un vrai rôle politique. En fait, la protestation est populaire.
La culture des jeunes en est le moteur car elle remet en cause celle des gouvernants fossilisés, incapable de les comprendre. Les jeunes ont soif de dignité, de liberté, d’assurer leur avenir. A cela, le régime oppose une surdité stérile et une violence absurde. L’élément déclencheur à Deraa, ce sont quelques lycéens qui ont été jetés en prison après avoir écrit sur le mur de leurs maison des slogans antigouvernementaux. Les premières manifestations pour réclamer leur libération ont déjà fait autour de 100 morts. C’étaient des petits regroupements pacifiques, spontanés, sans aucun parti politique derrière eux. Des gens simples, révoltés par la répression, qui se sont contentés de crier “selmie, selmie” (pacifiques, nous sommes pacifiques).
Le gouvernement syrien vient de promettre de profondes réformes et des changements immédiats, comme la levée de l’état d’urgence. Y croyez-vous?
C’est étrange, cela renvoie à du déjà-vu, quand Ben Ali et Moubarak, acculés par leurs peuples, étaient disposés soudain à tout leur promettre. Ces scénarios, encore très frais dans les esprits, se ressemblent dans cette ultime et pathétique tentative qu’ont tentée ces hommes pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Quel sera l’avenir de la Syrie? Nous le saurons très prochainement.
Par Nathalie Galesne - Babelmed.net premier magazine on-line des cultures méditerranéennes.
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