Le sixième forum mondial de l'eau qui vient de se tenir à Marseille a confirmé ce que l'on savait déjà : l'accès à l'eau potable est le problème environnemental le plus préoccupant pour l'avenir de la planète, bien avant la pollution de l'air ou l'appauvrissement des énergies fossiles.
Du 12 au 17 mars, le sixième forum mondial de l'eau s'est tenu à Marseille : 20 000 participants, et parmi eux les plus grands spécialistes de la question. Depuis 1997, ce forum a lieu tous les trois ans. Il fait le point sur une ressource essentielle et, ce qu'il a inauguré dès sa première édition, lance un cri d'alarme, généreusement relayé par les médias.
Inquiétudes méditerranéennes
Mais, au fil des années, le constat reste le même : il est difficile d'accorder les voix des ONG, des collectivités locales, des gouvernements, des opérateurs publics, des multinationales de l'eau, etc.
Quittons pour une fois l'optique spécifiquement corse et élargissons le regard. A la proximité immédiate d'abord. La situation dans le monde méditerranéen est particulière, et on croyait être tranquille : il existe 2 000 bassins versants qui jusqu'à présent ont été suffisants pour assurer la ressource. Mais celle-ci est aujourd'hui en danger : cela est dû au réchauffement climatique, qui, en imposant de plus en plus tôt l'état de sécheresse, oblige à irriguer davantage, donc à consommer plus d'eau.
On ne peut pas tout faire supporter aux aléas du temps. Les problèmes sont dus aussi aux prélèvements anarchiques, aux forages sans contrôle, et aux connexions que les régions littorales concernées par le tourisme ont imposées aux zones de l'intérieur, moins peuplées donc moins gourmandes. Les transferts massifs d'eau en période estivale produisent des déséquilibres lourds de conséquences. En même temps, les multiples accès aux nappes phréatiques ne font pas que pomper celles-ci. Ils permettent aussi la pénétration des polluants en profondeur.
De nouveaux polluants en Europe
S'il est une bataille qui sera difficile à gagner et qui coûtera cher, c'est bien celle de l'eau potable, sans cesse menacée de nouvelles agressions. Ainsi, il y a deux mois, après trois ans de travaux techniques, la commission européenne a décidé d'augmenter la liste des polluants déjà recensés dans les cours d'eau et les lacs de la communauté. Il s'y ajoutera 15 produits chimiques considérés comme nocifs pour la santé, en particulier, et c'est la première fois, des substances pharmaceutiques. Les résidus de médicaments se fixent au début de la chaîne alimentaire qui se trouve dans les rivières, avec des poissons qui sont parfois des pharmacies ambulantes. Pour que l'Europe s'active, Il faut que la situation soit bien préoccupante…
Même en France, pays considéré comme gérant le mieux sa ressource, moins de 50 % de l'eau douce est jugée de bonne qualité. Le Grenelle de l'environnement avait fait du renversement de cette tendance une priorité. Mais l'embellie tarde à se mettre en place. On doit en effet compter avec les réalités industrielles et agricoles, qui font que par exemple 60 % des rivières contiennent des pesticides pourtant interdits depuis 10 ans. Comme le déclarait aux Échos le directeur de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse : « Le mauvais état écologique n'est pas une fatalité. » Il est cependant une réalité économique : il suppose pour être diminué des travaux importants, ne serait-ce qu'au niveau des stations d'épuration.
Mais, dans nos régions, ce sont là somme toute des problèmes de nantis. La réalité du dossier de l'eau est tout autre et autrement plus dramatique.
Un droit humain intangible
La rencontre de Marseille était intitulée « le temps des solutions » mais ce temps n'arrivera pas de sitôt, à supposer qu'on le voie poindre un jour. En 2010 déjà, l'assemblée générale de l'ONU avait défini l'accès à l'eau et à des installations sanitaires comme un droit humain intangible. Plusieurs associations, qui jugent que rien n'a avancé en raison de l'influence écrasante des multinationales de l'eau, tenaient à Marseille un forum parallèle.
Il est vrai qu'il y a 10 ans, au sommet de la terre de Johannesburg, le sujet avait déjà été évoqué et des engagements pris. Mais les progrès sont minimes par rapport aux enjeux. Il est temps de dépasser les affirmations de principe.
Aujourd'hui, 800 millions de personnes n'ont accès à aucune source d'eau potable. Selon les chiffres de l'Unesco, 2,5 milliards d'humains n'ont pas le minimum en termes d'assainissement, c'est-à-dire qu'ils font leurs besoins dans la nature, ce qui favorise l'apparition de maladies hydriques comme le choléra, qui font 3 millions de morts par an.
En conclusion du forum de Marseille, les représentants des gouvernements ont signé un communiqué commun. Ils y prennent le parti d'intensifier « la mise en œuvre des obligations en matière de droits de l'homme pour l'accès à l'eau potable et à l'assainissement pour le bien-être de tous et la santé en particulier des plus vulnérables. » À Marseille, on a aussi jeté les bases du prochain sommet sur le développement durable qui aura lieu en juin à Rio de Janeiro.
En effet, si l'assainissement a un impact certain sur l'hygiène et la santé, il en a aussi en profondeur sur les écosystèmes. Le fait que 80 % des eaux usées dans le monde ne sont pas traitées pousse à mettre en valeur l'idée d'un « assainissement durable », rendu d'autant plus nécessaire que les zones sous-développées n'échappent pas à la désertification rurale et aux concentrations urbaines, celle-ci prenant la forme de gigantesques bidonvilles d'où toute hygiène est absente. C'est pourquoi le nombre d'urbains privés d'eau courante et d'assainissement a crû de 20 % depuis l'an 2000.
Des investissements de grande ampleur
Entre pénurie physique de l'eau et pénurie économique, le constat reste le même : il faudra en Occident d'autres pratiques, d'autres modes de consommation, et dans les zones désertifiées par la sécheresse ou pénalisées par la misère des investissements de grande ampleur. Les uns ne dépendent pas des autres, mais les gouvernements, avant de s'accorder sur les problèmes globaux, ont tendance à penser d'abord à leur environnement propre. Et ils savent que leurs concitoyens sont très sensibilisés à ce problème.
Un sondage réalisé à l'occasion du forum marseillais révèle par exemple que la pollution de l'eau est considérée par les Français comme l'enjeu environnemental le plus préoccupant. Il vient avant la pollution de l'air, l'extinction des espèces animales et végétales, l'épuisement des énergies fossiles et le réchauffement climatique.
Lorsque l'on demande aux personnes interrogées quelle serait la meilleure manière d'améliorer l'accès à la ressource, elles préconisent la création d'un nouveau droit social à l'eau, sorte d'allocation pour les ménages modestes, mais elles pensent surtout que la modulation des tarifs de l'eau consommée serait plus efficace, avec un prix du mètre cube augmentant à mesure que la consommation augmente.
Le poids du prélèvement agricole
À Marseille, 140 pays étaient représentés, avec leurs cohortes d'experts. Il va sans dire que de l'Afrique à l'Europe en passant par les pays émergents, les soucis ne sont pas les mêmes au quotidien, mais ils se rejoignent sur le long terme. Les perspectives ne sont pas encourageantes. On estime que la demande d'eau aura augmenté de 55 % en 2050, alors que la ressource sera de plus en plus difficile à atteindre et coûteuse à exploiter. La population mondiale, en augmentant fortement, demandera davantage pour se nourrir à l'agriculture et à l'élevage, qui utilisent déjà 70 % de l'eau disponible.
Ces volumes pourraient augmenter jusqu'à atteindre 90 %. Telles sont les conclusions du quatrième rapport mondial de l'eau publié le 12 mars. En 400 pages, le document évoque aussi les contraintes presque insurmontables que créera le développement des villes. Il y avait en 2009 3,4 milliards de citadins. Il y en aura 6,3 milliards en 2050. Sans commentaire.
En matière économique, développement et disponibilité de l'eau sont étroitement liés. Et le rapport de l'ONU pointe un risque jusque-là inconnu : l'eau devenant un objet de conflits entre les états, une arme stratégique comme l'est parfois le pétrole. Cela est d'autant plus plausible que 15 % des pays du globe dépendent à 50 % d'une eau venue de l'extérieur. Et la quasi-totalité des bassins transfrontaliers n'ont pas de gestion commune.
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