S'inscrivant dans le contexte du renouvellement en cours des instances européennes, l'ancien Premier ministre et l'ancienne ministre et actuelle présidente de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, constatent que jusqu'ici aucun Conseil européen n'a été exclusivement dédié aux révolutions sud-méditerranéennes.
Pourtant, « il y a aujourd’hui urgence à mettre le cap vers le Sud, car nos destins sont liés », estiment-ils dans leur appel, cosigné par plusieurs personnalités politiques des deux rives de la Méditerranée.
Appel pour une reconceptualisation de la politique méditerranéenne
La sécurité et la stabilité dans la région méditerranéenne sont les conditions sine qua nond'un développement durable et d'un partenariat équilibré entre les deux rives. Or le contexte régional aujourd'hui, fort tumultueux, avec des foyers de tensions et des conflits ouverts qui perdurent tend à compromettre toutes les formes de sécurité, entraînant dans son parcours de multiples violations des droits de l'homme.
Des événements de plus en plus graves se déroulent dans la région sud méditerranéenne. Au Moyen-Orient les affrontements israélo-palestiniens se poursuivent tout comme les guerres internes en Syrie et en Libye, le printemps arabe a généré des résultats inattendus alors qu'au Maghreb, les mouvements terroristes dans les pays du Sahel se propagent. Situation qui traduit la crise manifeste que traverse la région dont les répercussions sont très sérieuses sur le processus euromed dans son ensemble.
L'Europe, partie prenante dans ce processus doit accompagner les pays sud méditerranéens, en s'élevant en troisième force capable d'intervenir efficacement dans ces conflits, de soutenir ces pays dans leurs efforts pour instaurer la paix et contribuer avec des initiatives fortes en matière de développement pour répondre à leurs besoins. Seule manière de concrétiser le principe clé du processus de Barcelone : paix, stabilité et prospérité partagée.
Aussi, à l'occasion du renouvellement des instances européennes, il devient impérieux de réfléchir à un avenir commun entre pays européens et sud méditerranéens. Le devenir des relations entre le Nord et le Sud de la Méditerranée doit s'établir dans un rapport apaisé, fondé sur le respect mutuel, le soutien réciproque et l'égalité entre les parties ; processus indispensable pour réduire les inégalités économiques et sociales et amenuiser les crispations identitaires qui se développent au Nord comme au Sud.
Il y a aujourd'hui urgence à mettre le cap vers le Sud, car nos destins sont liés : crise économique au Nord et processus de transition au Sud. Certes, l'Europe a manqué le rendez vous des révolutions sud méditerranéennes, aucun Conseil européen ne leur a été exclusivement dédié, aucune réponse d'urgence vis-à-vis de ces situations n'a été apportée. Ce manque de mobilisation atteste que l'Europe craint les évolutions en cours dans cette partie du monde. Elle semble désenchantée et l'incompréhension prend le pas. L'Europe est trop absente. Pourquoi ? Parce qu'elle n'a pas de politique méditerranéenne. Son cadre d'action est plus atlantique que méditerranéen.
Si l'Europe a manqué et manque d'ambition dans son soutien à ces révolutions c'est, entre autre raison, que les deux outils à disposition sont inadaptés : l'UpM qui souffre d'un blocage institutionnel n'a pas atteint son objectif et la politique de voisinage, une conception euro centrée, ne correspond pas aux besoins des pays du Sud. L'Europe parle de sécurité, mais c'est un problème qui concerne avant tout le Nord. Les hommes politiques au Nord ne savent pas vendre un narratif sur l'importance de la relation avec les pays du Sud, alors que l'Europe a une responsabilité d'implication solidaire dans les transformations politiques, économiques et sociales qui demeurent l'horizon des sociétés arabes en mouvement.
Pour autant, bien sûr, tout le malheur de la Méditerranée ne vient pas de l'Europe. Les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée ont aussi leur part de responsabilité. Les déficits d'intégration Sud-Sud et le non-Maghreb sont une réalité palpable. Le Sud est un espace géographique et non un espace économique et politique.
Seulement, si face à ces difficultés, l'Europe a comme unique perspective la poursuite des accords commerciaux de libre-échange plutôt que d'œuvrer à une intégration régionale en profondeur par la coproduction, si elle ne se focalise pas sur la dimension politique, l'avenir sera sombre pour notre devenir commun.
La Méditerranée des projets, appelée de leurs vœux par de nombreux responsables politiques, est une approche intéressante mais insuffisante. La concentration sur la dimension économique et commerciale diminue de fait la dimension politique alors que les événements récents au Moyen-Orient témoignent de l'importance de cette dimension dans la stabilisation politique et le développement socio économique des pays du voisinage.
Il devient donc urgent d'élaborer un projet pour la Méditerranée, un projet efficient qui permette de construire un avenir commun, sur des bases équilibrées, et non sous la forme de règles imposées par les pays du Nord sur les pays du Sud. Le temps est venu de mettre en place une vraie politique européenne dédiée aux pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée, d'autant que la paix en Europe et son redressement productif passent par la stabilité et le développement de la Méditerranée du sud.
En effet, malgré les conflits, les fractures et les mésententes, persiste la conscience au Nord comme au Sud de la Méditerranée d'un patrimoine commun à préserver et d'un avenir commun à construire et à partager. Aussi, La constitution d'un groupe de travail de haut niveau, commun à la Commission et au Parlement européen pourra contribuer à la conceptualisation, la redéfinition et l'avancement de nouvelles idées pour construire une « politique méditerranéenne revigorée » qui pourrait être les prémisses pour la désignation d'un Commissaire européen à la Méditerranée.
Paris, le 9 octobre 2014
Source de l'article la Tribune
Signataires :
Aicha Belarbi, ancienne ambassadrice du Royaume du Maroc à l'Unesco ; Joachim Bitterlich, ancien ambassadeur d'Allemagne auprès de l'OTAN ; Kemal Dervis, économiste, ancien ministre turc de l'Économie ; Iqbal Gharbi, universitaire tunisienne ;Élisabeth Guigou, présidente de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, ancien ministre ; Alain Juppé, maire de Bordeaux, ancien Premier ministre ;Eneko Landaburu, ancien chef de la Délégation de l'Union européenne auprès du Royaume du Maroc ; Miguel Angel Moratinos, ancien ministre espagnol des Affaires étrangères ; Josep Piqué, ancien ministres espagnol des Affaires étrangères ; Fathallah Oualalou, maire de Rabat, ancien ministre marocain de l'Économie et des Finances ;Panagiotis Roumeliotis, vice-président de Piraeus Bank, ancien ministre grec des Finances.
Toutes ces personnalités sont membres du Comité d'Orientation Politique de l'Institut de Prospective Economique du Monde méditerranéen (IPEMED), instance consultative, paritaire et dépourvue d'attache partisane. Il a pour objectif de promouvoir l'action d'IPEMED et de défendre ses idées auprès de la sphère politique et internationale. Depuis 2013, Miguel Angel Moratinos,ancien ministre et Aïcha Belarbi, ancienne ministre, en assument la coprésidence.
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