Emmanuel Macron rend visite à un Maroc en proie à des tensions internes, tandis que Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères, s’est rendu à Alger. Le point de vue de Kader Adberrahim, chercheur à l’IRIS.
Quels sont les intérêts stratégiques que le président français va chercher à développer avec le Maroc ? La récente réintégration de ce dernier dans l’Union africaine ouvre-t-elle la porte à un partenariat plus poussé avec la France et l’UE ?
La visite du président de la République française au Maroc est toujours importante et attendue. En l’occurrence, il s’agit de la première visite à l’étranger d’Emmanuel Macron en dehors de Berlin.
Aujourd’hui, les intérêts français au Maroc restent très importants, bien que la France y soit en train de perdre du terrain – tout comme en Algérie - au profit de la Chine. Il y a malgré tout plus de 70 000 Français vivant au Maroc et 38 entreprises du CAC 40 qui y sont installées. Le royaume présente donc des enjeux économiques et commerciaux, ainsi que de population puisque des centaines de milliers de Marocains sont installés en France.
Cette relation privilégiée franco-marocaine continue d’être importante mais pour autant, on ne peut plus dire que la France reste le seul partenaire du royaume. En effet, depuis quelques années, le Maroc a décidé de diversifier ses partenariats afin de sortir de ce tête-à-tête avec la France. La réintégration du Maroc dans l’Union africaine montre qu’il cherche à avoir des relations avec à la fois le continent africain et le continent européen. Les dirigeants marocains voient bien que l’Europe est en crise depuis maintenant dix années et qu’elle a beaucoup de mal à en sortir. Il y a également eu des tensions diplomatiques entre l’Europe et le Maroc sur un certain nombre de questions, comme les visas, la question du Sahara, les droits humains... Les Marocains ont donc décidé de diversifier leurs partenariats pour éviter d’être totalement liés à une relation exclusive.
En parallèle, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian s’est rendu à Alger les 12 et 13 juin. S’agit-il pour la France de ménager la susceptibilité de ces deux pays rivaux ? La France a-t-elle un rôle à jouer sur la question du Sahara occidental ?
Il y avait de l’inquiétude côté marocain car pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait beaucoup parlé de l’Algérie, notamment avec sa fameuse déclaration à Alger de « crime contre l’humanité » à propos de la colonisation. Le Maroc se demandait donc si Emmanuel Macron n’avait pas plutôt un tropisme algérien.
La visite du ministre des Affaires étrangères qui intervient juste avant celle du président au Maroc est une manière d’envoyer des signaux clairs en disant : « oui, le président va à Rabat mais il va venir également à Alger très prochainement et nous n’oublions pas notre relation particulière avec l’Algérie ». Dans cette rivalité ancienne entre l’Algérie et le Maroc, les deux pays tentent toujours d’obtenir de la France un statut privilégié. Le locataire de l’Élysée doit donc toujours assurer un jeu d’équilibriste entre les frères ennemis du Maghreb.
Concernant la situation du Sahara occidental, la France a certes les moyens d’intervenir sur la question mais elle ne le fera pas car elle ne souhaite se fâcher ni avec le Maroc, ni avec l’Algérie, bien que l’on sache pourtant que la France a toujours soutenu la position marocaine. Aujourd’hui, on ne voit pas comment sortir de cette crise devenue chronique. La France va donc se tenir à égale distance de ce dossier particulièrement sensible au Maroc et également très délicat à gérer en Algérie.
Cette visite française se déroule dans un contexte tendu au Maroc, en proie à des révoltes dans la région du Rif. Quelles en sont les raisons ? Le gouvernement marocain peut-il être mis en difficulté face ce mouvement ?
Il s’agit de la crise la plus grave à laquelle est confrontée le Maroc depuis l’accession au trône de Mohamed VI en 1999. La situation s’est dégradée et est aujourd’hui inquiétante. Cette crise n’est pas bien gérée de la part du gouvernement marocain puisqu’aucun dialogue n’est amorcé avec les dirigeants de la contestation dans le Rif. Ces derniers ont pourtant émis des revendications en termes social, de droits humains, d’emplois, etc. Certains endroits de cette région aride, enclavée et montagneuse, sont dépourvus d’hôpitaux, de maternités et ont très peu d’industries installées. Les jeunes y ont très peu de perspectives.
Or, on assiste à une répression et à l’arrestation des dirigeants de ce mouvement, qui ont été déférés en pleine nuit à Casablanca devant un tribunal de première instance. Il aurait sans doute été préférable que le gouvernement envoie au contraire des signaux d’apaisement. L’État doit envoyer un signal fort, par exemple en libérant soit une partie, soit l’intégralité des dirigeants de ce mouvement pacifiste, afin d’entamer un véritable dialogue et sortir de cette crise.
La manifestation importante qui a eu lieu dimanche dernier à Rabat a rassemblé au-delà des Rifains. Il existe au Maroc cette sensation de « hogra », c’est-à-dire d’abus de pouvoir de la part de l’administration et de tous les symboles de l’État, doublé d’une corruption endémique. Il ne faudrait pas que ce mouvement du Rif puisse faire la jonction avec d’autres mouvements de contestation ailleurs dans le pays car cela pourrait amener à une situation nouvelle, peut-être équivalente à celle vécue par le monde arabe en 2010-2011.
Par Kader Abderrahim - Source de l'article IRIS
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