Par Henry Marty-Gauquié, directeur honoraire de la BEI, membre du groupe d'analyse JFC Conseil
Sous le double effet de la crise économique mondiale et du terrorisme généralisé, les relations euro-méditerranéennes ont été marquées par le retour des logiques d’ordre, de l’objectif sécuritaire et du bilatéralisme interétatique.
Il en est résulté une baisse généralisée de la volonté de coopérer – ce qui a affaibli durablement le peu d’instances régionales mises en place face aux crises : l’Union pour la Méditerranée, le Partenariat de Deauville ou le programme « Tunisia 2020 ». De même, la perte de vision régionale et la monté des populismes – eux-mêmes puissants facteurs d’incohérence dans le comportement des États – ont érodé, aux yeux des opinions européennes, l’intérêt d’une gestion collective des grands enjeux que sont la solution des conflits, la transition climatique et les migrations.
Plus grave encore, l’Union européenne a peiné à adapter sa politique de voisinage méridional. Ainsi, de 2010 à 2016 trois politiques euro-méditerranéennes ont été proposées, sans être effectivement réalisées avant d’être révisées. Il en est résulté une multiplication confuse d’objectifs pour éviter d’avoir à définir des priorités et une politique concentrée sur deux leviers : les traitements différenciés par pays et la primauté de l’agenda sécuritaire.
Une affaire intérieure
Cette absence de l’Europe en Méditerranée est d’autant plus paradoxale que la région est bien plus qu’un voisinage, c’est une affaire intérieure. Outre les interdépendances humaines, culturelles, économiques et à présent climatiques que partagent tous les riverains de la « Mer commune » et leurs hinterlands respectifs, l’Europe et ses pays membres ont en commun de s’être reconstruits au sortir de la Seconde Guerre mondiale sur l’intégration régionale comme cicatrisant du conflit et de la décolonisation. D’où la résonnance si positive qu’avait reçu le sursaut démocratique arabe en Europe ; d’où, également, la présence si forte des institutions allemandes dans les pays arabes pour y porter la pratique de la démocratie.
Mais, si la Méditerranée éveille de fortes connotations positives, elle est aussi associée à des peurs et ranime des clivages dans nos sociétés. Ceux-ci élèvent de fortes difficultés à la prise de conscience qu’ici encore, l’Europe a du sens et représente une opportunité. En outre, les pays de la rive sud peuvent difficilement prendre l’initiative d’une relance de la coopération régionale, tant leurs points d’appuis respectifs – qu’ils soient politiques, militaires ou financiers – diffèrent en cette période de sortie de crise ; notamment pour les pays du Machrek qui, plus que tous autres dans la région, dépendent de Washington pour l’aide internationale et des pays du Golfe ou de l’Iran pour la gestion des conséquences des conflits locaux.
Dialogue exigeant
C’est pourquoi la Méditerranée doit figurer parmi les priorités d’une relance du projet européen par la formulation d’une offre de stabilisation politique régionale reposant sur trois piliers et une mise au point :
- Le premier pilier exprime le ciblage des actions de coopération économique. La nouvelle offre euro-méditerranéenne doit avoir l’objectif prioritaire de renforcer le potentiel des pays méditerranéens dans une économie compétitive et mondialisée. Dans cette perspective, l’appui aux transitions climatique, énergétique et numérique doit concentrer l’essentiel des efforts, mais en couvrant toute la palette de la modernisation économique et sociale des pays partenaires : mobilité des savoirs, création de chaînes de valeur régionales et enrichissement du contenu des emplois pour en assurer la pérennité.
- Le deuxième pilier s’appuie sur le développement progressif de coopérations de sécurité et de défense à l’échelle subrégionale, puis régionale à mesure que l‘Union européenne aura elle-même progressé sur la voie de politiques extérieures communes et dans la mise en place de son pôle de défense ; à terme, ce second pilier pourrait déboucher sur des accords de défense à l’échelle de la région, créant ainsi des solidarités politiques et des cohésions entre les peuples de nature à rendre plus difficiles les interventions de puissances extérieures à la région .
- Le troisième pilier est celui de la restauration des instances de dialogue et de mobilité à l’échelle régionale ; initiées durant la décennie des accords de Barcelone (1995-2005) leur développement avait prouvé leur pertinence pour tisser des liens de compréhension mutuelle non seulement entre les Etats, mais aussi entre les sociétés civiles et les communautés d’affaires ou d’experts.
Cette offre de stabilisation ne saurait réussir sans une mise au point par la conduite d'un "dialogue exigeant" entre l'Union européenne et les puissances subrégionales que sont la Turquie, l'Arabie (et ses alliés du Golfe) et l'Iran: si ces partenaires sont en effet incontournables, encore faudrait-il les amener à clarifier les objectifs de leurs politiques régionales respectives et à lever leurs ambiguïtés quant à leurs relations avec l'Europe et les connivences entretenues avec certains mouvements ou organisations terroristes.
Il est temps d'être à la hauteur de nos responsabilités, comme de nos ambitions.
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