Ne pleurons pas sur notre industrie disparue et ne cherchons pas la solution dans un passé révolu : ayons l’audace de remettre la France au cœur du développement industriel contemporain et futur.
Inutile d’aller en appeler à la statue du commandeur !
Au moment où l’on sait que la performance des entreprises passe par la décentralisation et la responsabilisation des équipes locales, il y aurait pour le moins un contresens de voir les pouvoirs publics choisir un chemin inverse.
Arrêtons de croire que la solution viendra d’un retour aux formules issues du passé, et de la réincarnation d’un "De Gaulle" sauveur !
Non, compte tenu de ce qu’est devenu notre monde contemporain, le Développement industriel et économique ne passera pas par la récréation, sous une forme ou une autre, d’un Commissariat au Plan directif, et un pilotage accru par l’État.
Comment en effet, quel que soit son niveau de compétence, une équipe restreinte pourrait-elle trouver des solutions à des problématiques complexes, en perpétuel mouvement, et entremêlées ?
Non, les entreprises ne sont pas des êtres méchants, voulant la mort de la France, et l’appauvrissement des habitants. Elles ne sont pas non plus des enfants en mal d’un père qui les aiderait à mieux décider.
Se doter d’une capacité d’expertise indépendante
Mais, ne tombons pas dans la naïveté inverse, il ne faut pas non plus attendre que, naturellement, du jeu d’un marché naisse la solution : Le développement industriel d’un pays ne naîtra pas de la réinvention du dirigisme public, mais il est illusoire et dangereux de l’abandonner aux seules lois du marché.
En effet, compter sur un engagement des grandes entreprises en faveur de la Nation où elles sont nées, est une illusion, et relève soit d’une méconnaissance du fonctionnement maintenant global des grandes entreprises, soit d’une croyance, un peu naïve, dans la parole de leurs dirigeants : une entreprise doit d’abord quotidiennement se battre pour sa survie, et préparer son futur.
Elle le fait en s’impliquant dans les territoires où elle opère, mais elle peut de moins en moins en privilégier un plutôt qu’un autre. Simplement pour celles pour lesquelles la France reste la base principale, il y a un intérêt commun de fait, et qu’il s’agit donc d’entretenir. Ni plus, ni moins…
Quant à tout le discours sur la responsabilité sociale des entreprises, il abrite bien rarement une réalité sincère. Certes les concepts de développement durable et de codépendance entre une entreprise et son environnement, font leur chemin, mais cette avancée n’en est qu’à son début. Pour la plupart des entreprises, ce n’est qu’un discours, une façon de se défausser à bon compte d’un vrai sujet et d’une réelle responsabilité.
Aussi, quand un État s’appuie sur une grande entreprise et ses services techniques, pour obtenir des expertises et croit qu’elles seront indépendantes, et non pas au service des intérêts de l’entreprise, il fait à nouveau preuve de méconnaissance ou de naïveté : une entreprise aura toujours à cœur de défendre d’abord ses intérêts propres.
Se doter d’une expertise propre et indépendante est donc de mon point de vue une priorité :
- Pour permettre à l’État d’orienter ses choix, ainsi que ceux des Régions tant dans les sujets restants de sa prérogative (politique de santé, développement des énergies nouvelles, tutelle des entreprises publiques…) que pour l’élaboration des plans d’action avec les Régions (notamment en matière de choix de pôles d’excellence et de support à mettre en place),
- Pour être un lieu à la disposition des PMI/PME, et de leurs organisations professionnelles (notamment les chambres de commerce et d’industrie) pour apporter des éclairages, et faciliter des prises de décision,
Mais pas pour décider à la place des entreprises !
Faire le bon diagnostic
Agir pour relancer réellement l’emploi industriel en France, c’est aussi ne pas se tromper dans le diagnostic :
- Ne pas croire que le repli de l’emploi industriel est un mal récent : il ne date pas de ces dernières années, et remonte à beaucoup plus de trente ans. Il suit une pente régulière et constante. Ceci ne signifie pas que rien ne puisse être fait, mais qu’il est faux de le lier à une perte de compétitivité récente de l’emploi en France. Il s’agit d’un phénomène structurel qui est resté peu ou prou identique que ce soit sous des gouvernements de gauche ou de droite, avec ou sans les 35 heures…
- Ne pas analyser l’emploi industriel en tant que tel : même les activités des industries de base intègrent dans leurs processus une part croissante de logiciel et d’innovation. Il convient donc de penser ceci comme un tout. D’où le choix de parler de "Développement industriel et économique". Ceci ne recouvre pas le développement des activités purement financières ou de distribution, sauf pour leur interface avec les activités industrielles et économiques (notamment pour le financement de leur développement, ou l’éventuelle captation de valeur par la distribution).
- Confondre compétitivité et coût salarial : analyser la compétitivité des entreprises uniquement à partir du coût salarial est une erreur profonde, car aujourd’hui la performance d’une entreprise repose d’abord sur le niveau d’engagement de ses collaborateurs, leur compréhension et leur adhésion à la vision et à la stratégie, l’adéquation entre leur formation et les tâches à entreprendre, leur capacité à travailler ensemble et à prendre les bonnes initiatives… et très secondairement ensuite sur leur coût direct. La période du travail à la chaîne décrit dans les Temps Modernes de Charlie Chaplin est bien dépassée… (1)
Selon des analyses croisées et convergentes, la tendance lourde de baisses des activités industrielles en France se corrèle à trois phénomènes :
- Le premier spécifique à la France est notre déficit de confiance en nous, et les uns avec les autres (2). Or la confiance est le moteur essentiel du développement : tout investissement ou création est un pari vers l’avenir ; tout travail collectif est un abandon à l’autre. Ce point est lié directement avec le système éducatif français qui donne une part essentielle aux évaluations individuelles et sanctionne de fait tout travail collectif.
- Le deuxième, aussi spécifique, est lié à la dérive excessive et constante des délais de paiement, qui se traduit par un transfert massif de ressources depuis les PMI/PME vers la grande distribution et les grandes entreprises. Il est d’ailleurs flagrant que le seul secteur où l’on ait vu fleurir de nouvelles grandes entreprises d’origine française est depuis trente ans, celui de la grande distribution. Les sommes en jeu sont considérables, puisqu’elles représentent plus de 500 milliards d’euros. Elles sont très probablement la raison majeure du déficit de la France en entreprises moyennes. Cet abus en matière de délai de paiement se corrèle directement avec une spécificité du droit français qui organise le transfert de propriété non pas au paiement, mais à la livraison (3).
- Le troisième concerne tous les pays occidentaux : depuis le début des années 80, nous faisons face à un rattrapage des pays dits émergents – qu’il conviendrait d’ailleurs appelés émergés –, dont essentiellement la Chine, l’Inde et le Brésil. Le mouvement en cours est loin d’être terminé et devrait se prolonger encore pendant dix à vingt ans (4).
C’est sur ce socle structurel, qu’est venu se rajouter l’excès des charges sociales en France. Il faut revenir dessus, mais faire seulement cela, serait inefficace.
Autre dimension à prendre en compte : la complexité du réseau des entreprises. Le développement du tissu industriel s’est fait au travers de la constitution d’un réseau de plus en plus complexe de relations intra et inter-entreprises, rendant difficile l’analyse réelle de la localisation de la création de la valeur ajoutée. Ce n’est pas parce qu’un produit est assemblé dans un pays donné que les composants qui interviennent dans son élaboration le sont aussi. De plus, souvent une part importante de la valeur ajoutée est dans le processus industriel lui-même, et dans l’origine des machines-outils et des systèmes informatiques qui le pilotent. Il faut donc se garder d’une analyse trop rapide et de conclusions hâtives.
Agir en privilégiant la régénérescence du tissu industriel
En conclusion et en résumé, une politique de développement industriel et économique devrait :
- Partir de la complexité des organisations en place, tant au sein des entreprises qu’entre elles,
- Ne pas chercher des pseudoremèdes dans un passé rêvé et révolu,
- Ne pas se leurrer sur la capacité de lutter contre le courant de fond du rééquilibrage au profit des pays émergés,
- Bâtir une stratégie sur cet état de fait,
- Savoir que la confiance, la capacité ensemble et l’anticipation sont les leviers majeurs de création de valeur durable.
La capacité d’intervention directe de l’État vis-à-vis des grandes entreprises, hormis les quelques-unes dont il détient une part du capital significative, ne peut se faire réellement efficacement qu’au travers de la définition du cadre réglementaire et fiscal.
La question centrale de la politique de l’État en matière de développement industriel n’est donc pas celle de l’action directe sur les grandes entreprises, mais celle de la régénérescence du tissu industriel, et donc du développement et de la pérennité des PMI/PME : comment rendre vivant le tissu industriel et y permettre la croissance des entreprises.
Comment donc redonner du tonus au tissu industriel français ?
Outre le développement d’une expertise indépendante et réelle, tel que je l’ai déjà mentionné, et une politique fiscale réaliste vis-à-vis des entreprises – qui doit être pensée autour de l’idée centrale du développement : "comment favoriser et accélérer la croissance des entreprises" –, l’action publique doit se centrer sur quelques thèmes, et ne pas se disperser.
D’abord s’attaquer au raccourcissement effectif des délais de paiement, par la modification du transfert de propriété : mettre fin à ce cancer qui mange la trésorerie des PME et les empêchent de grandir.
Puis simplifier vraiment les procédures administratives : arrêter d’en parler – c’est un leitmotiv de toute action gouvernementale… mais rien ne se passe, ou si peu – et le faire. En comprenant aussi que cela suppose un arrêt de la prolifération réglementaire…
Et pourquoi ne pas lancer un pari ambitieux avec les autres pays de la Méditerranée du sud ? Pourquoi, comme l’Allemagne a su trouver un nouveau dynamisme en tissant des liens avec les pays de l’Est, ne pas nous appuyer sur nos liens historiques avec l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Liban pour trouver des ressorts neufs pour notre croissance ?
En effet, l’Allemagne tire notamment sa force du maillage tissé avec les pays d’Europe centrale et orientale. Il ne s’agit pas de sous-traitance, mais d’un modèle de codéveloppement, qui bénéficie à l’industrie de ces pays, tout en renforçant la compétitivité du tissu industriel allemand. Il repose pour l’essentiel sur l’externalisation de fragments de la chaîne de valeur. Tel est la logique de la colocalisation.
Dans un document de décembre 2012, "Pour une stratégie euro-méditerranéenne de colocalisation", l’Ipemed a mis en évidence que le temps de la colocalisation est venu en Méditerranée en couplant l’Europe et les Pays du sud et de l’est de la Méditerranée : "L’Europe, la France en particulier et les pays de la Méditerranée occidentale pourraient tout en s’inspirant du modèle coopératif, capitaliser sur les expériences réussies de colocalisation en vue de créer une grande région euro-méditerranéenne et demain une grande région associant Europe, la Méditerranée et l’Afrique".
L’État, s’il se dote de la bonne organisation – pourquoi ne pas s’inspirer des commissariats à l’industrialisation mis en place par la DATAR dans les années 70 ? – pourraient aider les grosses PME, c’est-à-dire celles qui sont susceptibles de s’impliquer dans un processus de colocalisation, sans avoir assez de ressources propres pour le mettre en place de façon indépendante.
Enfin que l’État s’appuie sur les Régions pour définir avec elles et au travers d’elles, des actions décentralisées maillant le territoire des bons réseaux, notamment en développant les liens entre les Universités, les centres de recherche, les pépinières d’entreprises et les PME en place…
Nous avons les ressorts de la croissance et du dynamisme. Notre pays est riche de son passé, de sa culture, des hommes et des femmes qui y ont grandi, de ceux qui l’ont rejoint, du futur qu’ils peuvent tous ensemble construire. Retrouvons confiance en nous et en les autres.
Par Robert Branche - Source de l'article Les Echos
(1) Voir mon article paru en janvier 2012 dans le Cercle Les Échos, "Le coût du travail n'explique pas l'écart avec l'Allemagne"
(2) Voir notamment les travaux d’Yves Algan, et singulièrement le dernier livre auquel il a participé "La fabrique de la défiance", et sa vidéo "Construire une société de confiance"
(3) Voir mon article conjoint avec Stéphane Cossé de fin décembre 2012 dans le Figaro ("Les PME ont besoin d’un geste confiance") et dans les Échos ("PME, encore un effort M. Ayrault")
(4) Voir mon article paru dans le Cercle Les Échos "Faire face à la convergence des économies mondiales"
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