Maroc-UE: un label «Made in Sahara» à négocier avec l’Europe ?


L’eurodéputée écologiste française Patricia Lalonde a récemment loué les efforts de développement engagés par Rabat au Sahara Occidental. Elle a cependant introduit une recommandation en faveur de la traçabilité des produits issus du territoire contesté. 

Une mesure ambivalente qui laisse le Polisario de marbre à la veille d’une échéance cruciale pour l’accord agricole révisé Maroc-UE. Explications

L’idée est de l’eurodéputée écologiste française Patricia Lalonde (du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe -ALDE), rapporteure de la Commission du commerce international (INTA) sur la renégociation des accords agricole et de pêche liant le Maroc à l’Union européenne.

Celle-ci a émis le 11 septembre une recommandation en faveur de la traçabilité des produits issus du Sahara occidental, dont Le Desk reproduit ci-dessous le draft.

Le sujet est au centre d’un bras de fer opposant Rabat et le Front Polisario : les produits émanant du territoire contesté (fruits, légumes et poissons notamment), embarqués à destination de l’Europe depuis le port d’Agadir, ont toujours eu pour certificat d’origine le royaume du Maroc. Or, le Polisario a fait de cette question son cheval de bataille sur la thématique du « pillage des ressources par la force occupante », particulièrement depuis que la distinction territoriale entre le Maroc et le Sahara Occidental a été arrêtée fin 2016 par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

Dans ce contexte, l’avocat du Front mène un combat acharné devant diverses juridictions européennes. Dernières en date, les plaintes déposées en France par Me Gilles Devers contre les conserveries Chancerelle qui ont décidé d’implanter une unité industrielle pour leurs sardines Connétable à Dakhla, ainsi que contre le maraîcher Idyl.

La proposition de Lalonde sur la règle d’origine vise, selon Africa Intelligence à « emporter l’adhésion du groupe socialiste, alors que le Parlement européen se prononcera en décembre sur l’accord agricole révisé, qui doit étendre au Sahara les droits préférentiels des accords Maroc-UE ».

Une délégation commerciale du Parlement européen, menée par Lalonde, s’est dans ce cadre, rendue au Sahara Occidental les 3 et 4 septembre pour constater sur le terrain « si une extension des droits de douane préférentiels sur le territoire bénéficie d’un soutien local ». Celle-ci avait notamment visité des fermes agricoles, des sites d’exploitation de pêche, le site phosphatier du groupe OCP à Phosboucraa et rencontré nombre d’officiels et d’acteurs de la région.

Un développement "incontestable" de la région

Lors de cette visite, Lalonde, avait qualifié à Laâyoune, d’« incontestable » le développement de la région, laissant ainsi entendre, selon la perception de Rabat, que l’objectif de ce déplacement qui était, selon les termes de l’eurodéputée « de vérifier sur le terrain si tous les projets profitent à la population et si la population est consentante », a été atteint dans le sens souhaité par le Maroc.

« Pour l’instant, c’est évident que ces projets créent de l’emploi pour les jeunes et pour la population locale », a-t-elle souligné. Interrogée sur la possibilité d’une approbation par le Parlement européen du renouvellement de l’accord de pêche maritime Maroc-UE, elle a relevé qu’« il n’est pas possible de mettre un frein à un développement économique dans une région qui en a besoin ».

Lalonde insiste dans l’ébauche de son rapport sur le fait que la définition imprécise concernant le consentement de la population locale – un des critères fixés par la CJUE pour étendre les taux préférentiels accordés au Maroc au territoire du Sahara Occidental -, a rendu la tâche particulièrement difficile. Elle exprime aussi sa ferme conviction que l’extension de l’application des taux de droits préférentiels à la région aura un important impact positif, citant quasiment à l’identique des secteurs soulignés par le rapport du Conseil économique et social (CESE) élaboré en 2013 en faveur d’un « nouveau modèle de développement » pour la région. Elle écrit à ce titre que « la population locale bénéficiera du développement économique ainsi que des retombées positives en terme d’infrastructure, de santé et d’éducation ».

De plus, Lalonde note qu’il est concrètement en l’état des choses, impossible de différencier l’origine des produits exportés par le Maroc vers l’Europe. C’est pourquoi, elle propose d’y remédier en introduisant une procédure de traçabilité…

Sa proposition est-elle contradictoire avec ses déclarations qui louent l’action du gouvernement marocain ? Rien n’est moins sûr, cette disposition n’est pas explicitement avancée dans son rapport dans un objectif de disqualification des produits sahraouis, qu’elle semble par ailleurs redouter. Son rapport argue en effet, comme cela a déjà été le cas lors d’une précédente proposition, que l’application d’une différence tarifaire, impacterait négativement la région disputée en encourageant la migration des activités commerciales et économiques vers le nord. Sollicitée par Le Desk pour clarifier cette question, Lalonde n’a pas été joignable à l’écriture de ces lignes.

Lalonde aux côtés de fervents lobbyistes pro-Maroc

Mais le Polisario se méfie assurément de la proposition, justement pour son caractère ambivalent. Me Devers qui défend les intérêts du Front n’a pas non plus répondu aux sollicitations du Desk à ce sujet. Cependant, un aspect méconnu du pedigree de la rapporteure européenne est de nature, selon nos sources, à refroidir l’enthousiasme de ses clients : l’auteure du rapport siège au conseil d’administration de la Fondation EuroMedA, un organisme basée à Bruxelles, dont la principale motivation « est de créer un forum de discussion, un espace de débats », autour de thématiques qui concernent les deux rives de la Méditerranée. 
Avec, il faut le souligner, un tropisme assumé pour le Maroc en faveur duquel la fondation multiplie les actions de soft power dans l’enceinte du Parlement européen, de la promotion de la production intellectuelle d’OCP Policy Center, le think tank du Groupe OCP, à celle de la mise en valeur de la politique officielle du royaume en matière des droits de l’Homme…

Aux côtés de Lalonde, une brochette d’influenceurs complète le tableau des administrateurs de la Fondation EuroMedA. Outre des officiels marocains, comme MBarka Bouida, originaire du Sahara et secrétaire d’Etat à la Pêche encartée au RNI, (le parti dirigé par Aziz Akhannouch, lui-même ministre de l’agriculture et de la Pêche), l’ex-ministre et intellectuel Abdallah Saaf, ou encore la RNiste Bouchra El Maliki, la présence en haut de l’affiche de Bariza Khiari, ex-sénatrice de Paris qui conseille Emmanuel Macron sur les dossiers maghrébins, connue pour sa proximité affichée avec Rabat, est pour le moins significative. 
Elle n’est d’ailleurs pas la seule dans ce cas, puisqu’elle est flanquée de l’eurodéputée roumaine Ramona Manescu qui plaide régulièrement pour le maintien du volet agricole des accords Maroc-UE et du Polonais Bogdan Klich, rapporteur de la Commission des questions politique et de la démocratie relevant de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), auteur d’un récent rapport qui encense « le partenariat pour la démocratie » avec le royaume.

L’identité des fondateurs la Fondation EuroMedA ne laisse d’ailleurs aucun doute sur son orientation pro-marocaine. On y retrouve en bonne place, l’eurodéputé Gilles Pargneaux, ex-président du groupe d’amitié UE-Maroc et lobbyiste convaincu de la cause du royaume et le Dr. Mohamed Cheikh Biadillah. 
Ce membre du PAM, ancien ministre et wali, est un défenseur historique de la « marocanité du Sahara », tandis que son propre frère est un membre influent du Polisario…Des connexions qui tendent ainsi à relativiser l’initiative de Lalonde dont la faisabilité hypothétique, même posée sur la table, ne constitue pas un barrage rédhibitoire pour la reconduction des accords Maroc-UE qui ne souffrent pas, selon elle, d’un doute sur leurs bienfaits pour les Sahraouis. Simple perche tendue aux eurodéputés de gauche encore récalcitrants, alors ?

Source de l'article le Desk

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