Après les révolutions, une relance de l'Union pour la Méditerranée?

Le partenariat économique qui unit la France et la Tunisie a survécu à la révolution de Jasmin, il a même battu des records en 2012. Les présidents Moncef Marzouki et son homologue François Hollande se rencontrent, jeudi 3 et vendredi 4 juillet. Pourraient-ils décider d’aller plus loin et de relancer l’Union pour la Méditerranée ? Réponses avec Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman.

Après la révolution de Jasmin, qui a renversé Ben Ali, les investisseurs français auraient pu fuir de Tunisie. Il faut dire que la France a toujours entretenu de profondes relations avec la Tunisie de l’ancien régime.
L’arrivée des islamistes au pouvoir n’a pourtant pas altérer les relations économiques franco-tunisiennes et aujourd’hui, la France demeure le premier partenaire de la Tunisie, devant l’Italie, l’Allemagne et la Chine, et malgré les opérations qataries dans le pays.
A la tête de ce partenariat, les président Moncef Marzouki et François Hollande, qui se sont rencontrés jeudi 3 juillet à l’occasion d’une visite de deux jours du président français en Tunisie, remplacent les précédents acteurs Zine el-Abidine Ben Ali et Nicolas Sarkozy. Les deux hommes parviendront-ils à relancer l’Union pour la Méditerranée abandonnée avec les révolutions ? Explications avec Vincent Geisser, sociologue et politologue, détaché de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM).
JOL Press : Sur un plan économique, quel impact a eu la révolution sur les partenariats qui unissent la France et la Tunisie ? A-t-on assisté à une fuite des investisseurs ?
 
Vincent Geisser : Il est vrai que l’on pouvait penser que le climat d’instabilité sociale et politique après la révolution et surtout l’arrivée au pouvoir d’une majorité islamiste en octobre 2011 - le parti Ennahda est majoritaire à l’Assemblée constituante et dans le gouvernement - provoqueraient un effet dissuasif sur les opérateurs économiques et les investisseurs français en Tunisie. Malgré ces craintes légitimes, notamment chez les partenaires économiques français habitués à la sacro-sainte image d’un « pays sûr et stable » sous les années Ben Ali, l’Hexagone reste aujourd’hui le premier partenaire commercial de la Tunisie.
JOL Press : Que représentent aujourd'hui ces échanges commerciaux et ces investissements pour la France comme pour la Tunisie ?
 
Vincent Geisser : La France représentait en 2012 16,5 % des parts de marché devant l’Italie, l’Allemagne et la Chine. Cette même année, les exportations françaises vers la Tunisie ont atteint d’ailleurs un niveau historique. Comme sous la période autoritaire, l’essentiel des échanges bilatéraux entre la France et la Tunisie repose sur des filiales françaises « off-shore », c’est-à-dire des entreprises tunisiennes fabriquant des produits français sous licence. Cette présence des entreprises françaises dans le « pays du Jasmin » est toujours significative, en dépit des rumeurs de fermeture et de départ pour cause d’instabilité politique.
En 2013, on recense en Tunisie environ 600 entreprises françaises et 660 entreprises franco-tunisiennes. Enfin, la France reste toujours le premier investisseur étranger en Tunisie (IDE), même si sa position est légèrement érodée par l’offensive récente du Qatar, notamment dans le domaine des télécommunications. Le secteur le plus inquiétant reste cependant le tourisme : si les touristes français représentent toujours le principal contingent touristique européen en Tunisie, les voyagistes notent un certain ralentissement de la destination, malgré des prix de vols et de séjours extrêmement attractifs.
JOL Press : Sur un plan politique, peut-on dire que les liens entre la France et la Tunisie se sont renforcés au lendemain de la révolution et avec l’instauration d’un régime démocratique ?
 
Vincent Geisser : Au lendemain de la révolution de janvier 2011, la France officielle a surtout cherché à se refaire une virginité diplomatique, tant ses liens avec la dictature de Ben Ali étaient profonds. La France a souvent été accusée de manquer de clairvoyance quant à la situation de crise politique et de désaveu populaire à l’égard du régime autoritaire. Toutefois, à l’heure actuelle, on peut parler de normalisation des relations bilatérales. En dépit de poussées francophobes dans certains secteurs de l’opinion tunisienne qui accusent la France de vouloir contrôler et influencer la transition démocratique, les relations sont plutôt au beau fixe.
Les appréhensions françaises à l’égard d’un gouvernement à majorité islamiste sont contrebalancées par des relations de proximité avec certains hauts personnages de l’Etat tunisien : le président tunisien, Moncef Marzouki, francophone et francophile (il est marié à une Française et père de deux filles franco-tunisiennes) et Mustapha Benjaafar, le président de l’Assemblée constituante, dont le parti est la version tunisienne du PS français. Par ailleurs, nombre d’islamistes actuellement au pouvoir ont été exilés en France durant de longues années et défendent plutôt une ligne francophile par rapport à d’autres courants du parti Ennahda qui sont plutôt tournés vers le monde anglo-saxon et les pays du Golfe comme le Qatar. La crise franco-tunisienne des lendemains de la révolution semble aujourd’hui en grande partie surmontée et la confiance entre les deux Etats se réinstalle progressivement.
Parallèlement à la diplomatie officielle, il est à noter la vigueur d’une diplomatie de la société civile de part et d’autre de la Méditerranée, nombre d’élites franco-tunisiennes jouant un rôle actif pour le rapprochement entre les deux pays.
JOL Press : Pensez-vous que l’entente franco-tunisienne d'aujourd'hui pourrait être un tremplin pour relancer l’Union de la Méditerranée ?
 
Vincent Geisser : Il est clair que l’Union de la Méditerranée rêvée par le président Nicolas Sarkozy est actuellement au point mort. Elle a été emportée par les révolutions arabes et ceci d’autant plus qu’elle reposait en partie sur la Tunisie de Ben Ali et l’Egypte de Moubarak.
Pour autant, les dirigeants tunisiens n’y sont pas complètement hostiles. Ils souhaitent qu’elle ne constitue pas exclusivement un organisme bureaucratique chargé de gérer les affaires sécuritaires et migratoires mais aussi un véritable espace d’échanges politiques, culturels, scientifiques et universitaires. Pourquoi ne pas imaginer une forme d’Erasmus euro-méditerranéen qui pourrait s’appeler programme Avicenne ou Averroès ? De ce point de vue, l’Union pour la Méditerranée pourrait être pleinement complémentaire des relations déjà existantes avec l’Union européenne, en se consacrant davantage aux aspects culturels, intellectuels et académiques.
En tout cas, il appartient à François Hollande et à ses interlocuteurs tunisiens de donner un nouveau souffle à l’Union pour la Méditerranée qui sorte du prisme sécuritaire et migratoire, dans lequel ses initiateurs, qu'il s'agisse de Nicolas Sarkozy, de Zine el-Abidine Ben Ali Ben Ali et d'Hosni Moubarak, ont voulu l’enfermer. C’est à ce prix que l’Union pour la Méditerranée pourra regagner le cœur des citoyens tunisiens et des peuples de la rive Sud.
Par Sybille De Larocque  - Source de l'article JOL Press

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