Les crises économiques bouleversent les transitions démocratiques des pays du Printemps arabe. Mercredi 3 juillet, Mohamed Morsi a été la première victime. En Tunisie, la colère gronde également. L’été arabe n’est pas celui des libertés, mais celui de la pauvreté.
Aux Printemps arabes vont se succéder des étés arabes. Cela aurait pu n’être qu’une hypothèse, une théorie, si les très récents évènements en Egypte ne venaient pas de prouver la véracité des faits. En Tunisie comme en Egypte, les peuples ne se remettent pas de leurs révolutions.
Islamisme et crise économique, terreau des révolutions
Qu’on, ou qu’on eu, ces deux pays en commun, hormis leur récent passé révolutionnaire ? Un gouvernement d’islamistes d’une part et une crise économique foudroyante d’autre part.
Sur les places révolutionnaires, la connexion est rapidement établie et, en Egypte, c’est notamment en raison de son incapacité à redresser une économie en berne que le président égyptien a été sommé de quitter son poste par les manifestants. En Tunisie, le président, bien que laïc, est accusé de tous les maux par l’opposition en raison de son alliance avec les islamistes d’Ennahda, majoritaires au gouvernement.
Et là encore, le constat est le même, si les voyants ne sont pas encore au rouge, ils sont bel et bien orange foncé chez les Tunisiens.
Croissance en berne en Tunisie
Plus de deux ans après la révolution de Jasmin, la Tunisie subit de plein fouet une crise récemment accentuée par la baisse des réserves en devises étrangères. Au mois de mai, le dinar a connu une baisse brutale et finalement, selon la Banque centrale, la Tunisie n’atteindra jamais ses 4% de croissance espérés en 2013, cet objectif ayant été abaissés à 3%.
Moteur de l’économie tunisienne, le tourisme ne permet plus de renflouer les caisses de l’Etat. L’instable Tunisie n’attire plus les touristes européens, qui préfèrent des destinations plus rassurantes et qui, crise économique oblige, préfèreront également se rendre en Espagne ou en Grèce, où les prix sont largement bradés cette année.
Pourtant, le gouvernement garde espoir, un prêt a finalement été négocié avec le Fonds monétaire international et la Tunisie devrait bientôt bénéficier d’un plan d’aide de 1 milliard 400 millions d’euros. Cette somme n’a pas encore été débloquée et les réformes qui seront mises en place grâce à l’obtention de ce prêt n’ont pas encore été définies.
Ni tourisme, ni investisseurs
Quant à l’Egypte, la période de gouvernance des Frères musulmans ne semblent avoir servi qu’à aggraver la pauvreté des Egyptiens et, aujourd’hui, les indicateurs sont au rouge.
La première ressource du pays, le tourisme, qui représente une entrée de sept milliards de dollars par an, a largement été freiné par les révolutions successives, qui n’ont pas non plus permis à l’Egypte de garder ses investisseurs.
« L’aide des pays du Golfe, au premier rang desquels le Qatar, ne compense pas la fuite des investisseurs et des touristes », explique ainsi Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS.
Au pouvoir, les Frères musulmans n’ont pas pu activer « les leviers pour relancer une économie en plein marasme. Pas d’argent, donc pas de croissance », explique-t-il encore.
« De nombreux Egyptiens sont partis à Dubaï ou ailleurs pour placer leur argent, tandis que de nombreux travailleurs égyptiens expatriés, en Libye par exemple, sont revenus en Egypte et ne semblent pas sur le point de repartir. Or, sans ces revenus, l’Egypte ne peut pas redémarrer ».
Résultat, les réserves de devises qui étaient à 36 milliards de dollars lorsqu’Hosni Moubarak a quitté le pouvoir en janvier 2011, sont aujourd’hui à 13,5 milliards de dollars.
La dette extérieure est désormais de 38,8 milliards de dollars tandis que la livre égyptienne a perdu 11% de sa valeur. Même constat pour l’inflation, située à 8,7% en 2012, elle frôle désormais les 13%.
Le FMI est-il le bienvenu ?
Fuite des investisseurs, fuite des touristes. Les économies arabes paraissent condamnées. Comme solution de secours, les aides du Fonds monétaire international (FMI) apparaissent désormais comme le seul recours de ces pays, en Egypte comme en Tunisie.
Mais ces aides n’existeront pas sans contreparties. En Egypte, le FMI a par exemple exigé la suppression des subventions sur les prix des carburants et des hausses de taxes dans tous les secteurs d’activité. Dans un gouvernement égyptien - et qui plus est islamiste -, ces mesures sont très impopulaires.
« Elles sont assimilées à l’Occident en général, et aux Etats-Unis en particulier, comme une forme d’impérialisme économique accompagnant l’impérialisme politique », explique ainsi Sophie Pommier, auteure de l’Egypte, l’envers du décor, au site Tunisie Focus.
Une nouvelle conception de l’Etat avec les islamistes
En matière d’économie, les islamistes doivent également agir en fonction de leur conception de l’Etat. Dans la charia, une nation n’existe qu’en tant que communauté de musulmans.
« Les Frères Musulmans sont des néo-libéraux sur le plan économique », explique Marc Lavergne. « Sur le plan social, ils ne sont pas partisans de l’intervention de l’Etat ».
Or, depuis des décennies, les Egyptiens n’ont pu observer que deux modèles, celui de Nasser et celui de Moubarak.
« Les Egyptiens ont gardé la nostalgie et de nombreux restes de l’Etat providence édifié sous Nasser alors que les Frères musulmans se limitent à la référence à la zakat, à savoir la charité et la distribution d’argent aux plus pauvres depuis les mosquées », poursuit le directeur de recherche.
« Mais pour que ce système fonctionne, il faut de l’argent, une catégorie d’entrepreneurs qui soient des donateurs. Il faut également que les pays du Golfe soient présents derrière ce système. Depuis la crise de 2008 puis la révolution de janvier 2011, l’Etat a épuisé ses réserves et le système ne peut pas fonctionner ».
Au lendemain du coup d’Etat égyptien, les Tunisiens étaient nombreux à commenter la nouvelle en la comparant à leur propre situation. « Pourquoi Morsi et pas Marzouki et Ennahda ? » se demandaient-ils, assurés de croire que pour les Egyptiens et les Tunisiens, le combat est le même, puisque la pauvreté est la même.
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