Confrontée à des divisions politiques et aux défis du multilatéralisme et du démantèlement global, la coprésidence de l'Union pour la Méditerranée a tout de même réussi à convoquer au début de 2017, pour la deuxième année consécutive, une conférence des ministres des Affaires étrangères à Barcelone, dans le contexte d'un forum régional élargi réunissant des décideurs publics et des acteurs régionaux.
Du lancement initial de l'Union pour la Méditerranée (UpM), il y a neuf ans à Paris, à la troisième conférence des ministres des Affaires étrangères de l'UpM à Barcelone en 2017, l'organisation a connu d'importants changements qui ont profondément modifié sa physionomie et renforcé son importance politique. Mais, plus important encore, de graves événements d'ordre politique et économique ont radicalement changé le paysage des pays du nord et du sud de la Méditerranée, dans lesquels opère l'UpM.
L'Union pour la Méditerranée est entrée en scène comme un ballon dégonflé, à l'occasion d'un sommet pompeux organisé à Paris et accueillant pour la première fois au grand complet, les chefs d'État et de gouvernement des 43 pays euro-méditerranéens. En effet, le projet de (l'ancien président français) Sarkozy, qui avait fait les gros titres de l'actualité de l'époque, a été transformé par la politique et par la diplomatie de négociation en un projet de taille réduite, d'un impact nettement moindre et fortement teinté d'intergouvernementalisme.
Antérieurement, le Processus de Barcelone avait été régi par une série de principes fondés sur les droits de l'Homme, la bonne gouvernance et le droit international, principes que toutes les parties impliquées s'étaient engagées à respecter. En revanche, l'UpM renonce à son projet de réformes politiques et légales dans le voisinage de l'UE pour se concentrer sur le dialogue politique entre les partenaires "de même niveau" et sur la mise en œuvre de projets concrets. Cette nouvelle orientation se révèle être en phase avec la pensée fonctionnaliste classique, fondée sur la croyance que des institutions souples et transnationales remplissant des fonctions claires et pratiques peuvent remédier au marasme économique international et aux tensions sur le plan de la sécurité[1].
Pourtant, les trois premières années consécutives au sommet conduisent à une impasse sur le plan politique à cause de la crise de Gaza et de la persistance du conflit israélo-arabe. Ainsi, comme d'habitude dans la région, les principales dispositions institutionnelles énoncées dans la Déclaration de Paris (sommets biennaux de l'UpM et réunions ministérielles) ne peuvent pas être appliquées.
Il faudra attendre l'année 2012 pour que l'environnement général commence à changer et que des facteurs tant endogènes qu'exogènes redonnent de l'élan à l'UpM:
1. La vague de révoltes dans les pays arabes de la Méditerranée suscite une première remise en cause de la PEV en 2011. C'est alors que l'UE prend conscience de la valeur ajoutée que l'UpM peut apporter à la stratégie révisée à l'égard des pays du sud de la Méditerranée, en promouvant la résilience des États et des sociétés à travers le développement économique et social.
2. La prise en charge de la coprésidence de l'UpM par l'UE et la Jordanie a été une décision extrêmement positive. Alors que la Jordanie est un pays relativement stable qui appuie l'initiative à l'égard du groupe des pays arabes de l'UpM, l'UE (plus particulièrement le SEAE, mais aussi la CE et la BEI) joue un rôle clé dans la direction de l'organisation, assurant la visibilité et l'inclusion de l'UpM dans la stratégie de l'UE à l'égard des pays du sud de la Méditerranée.
3. La nomination consécutive de deux Marocains à la tête du secrétariat de l'UpM à Barcelone est également rassurant et démontre une fois de plus l'engagement du Maroc envers le partenariat euro-méditerranéen.
L'Union pour la Méditerranée serait-elle en train de "vivre son printemps"?
Tout au long de la période allant de 2012 à 2016, l'Union pour la Méditerranée s'est considérablement étendue. En effet, l'organisation a réalisé des études de faisabilité et organisé régulièrement de nombreux séminaires et réunions de haut niveau pour discuter d'un vaste éventail de questions. En outre, elle a également organisé des conférences axées sur les projets, et sur l'identification, la catégorisation et la promotion de projets pilotes régionaux. Sous la direction dynamique du secrétaire général Sijilmassi, le secrétariat a connu des transformations profondes et sérieuses sur les plans stratégique et structurel, afin de renforcer ses capacités, ses partenariats et ses réalisations, ce qui a donné des résultats concrets et un nouvel élan à la coopération régionale.
Cette expansion s'est accompagnée de la reconnaissance du rôle catalyseur de l'UpM dans les processus de coopération et d'intégration sur le plan régional. Un certain nombre de documents officiels de haut niveau de l'UE, ainsi que d'autres organisations multilatérales, réaffirment ce rôle ou mandatent l'UpM afin d'entreprendre certaines actions.
Les années 2015 et 2016 vont marquer un tournant décisif dans la courte histoire de l'UpM: d'une part, les premiers projets de l'UpM sont réellement mis en œuvre, l'organisation remplissant ainsi la mission principale pour laquelle elle avait été créée. D'autre part, l'UE reconnaît publiquement la valeur que représente l'UpM pour la politique à l'égard des voisins des pays du sud de la Méditerranée[2]. Mais, le plus important, l'UpM a réussi à convoquer, bien que de manière informelle, une conférence des ministres des affaires étrangères[3], la première depuis novembre 2008 à réunir au grand complet les 43 pays membres. Dans le cadre de cet événement, les États membres demandent au secrétaire général de l'UpM d'élaborer une feuille de route pour l'action de l'UpM[4] en vue d'élargir le champ thématique de l'organisation, qui sera soumise à discussion au cours de l'année 2016, puis adoptée au début de l'année 2017.
En effet, il n'est pas facile pour la coprésidence de l'UpM de poursuivre les conférences des ministres des Affaires étrangères - chose qui s'est avérée impossible depuis janvier 2009, date à partir de laquelle la coprésidence égyptienne de l'époque reporte indéfiniment toutes les réunions politiques de l'UpM, notamment les sommets et les réunions des ministres des affaires étrangères. À cette époque, pour le groupe des pays arabes, il est évident que les délégations arabes, et plus particulièrement l'Autorité palestinienne, ne peuvent pas participer à des assemblées politiques auxquelles assiste aussi une délégation israélienne.
Pendant ce long intervalle de temps, quelques semaines après les dernières élections législatives israéliennes de mars 2015 et profitant du fait que la formation du gouvernement était toujours en cours de négociation, la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, saisit l'occasion d'organiser des consultations avec les ministres des Affaires étrangères des pays du sud de la Méditerranée concernant la révision de la PEV. Puis, au cours de la réunion tenue au siège de l'UpM à Barcelone en présence de délégations arabes de la Méditerranée et d'Israël, il est fait explicitement mention de la nécessité de renforcer l'UpM sur le plan politique. Six mois plus tard, les réunions ministérielles de l'UpM sur les affaires étrangères reprennent avec succès.
Observations finales: l'Union pour la Méditerranée est arrivée à un carrefour
Le multilatéralisme n'est pas au goût du jour. L'UpM a été créée pour rehausser le niveau politique des relations de l'UE avec les pays du sud de la Méditerranée. Or, le problème principal réside dans le fait que la région méditerranéenne en tant que construction politique est remise en question. L'Union européenne a soutenu une politique de type "centre-périphérie" (l'UE à l'égard de ses voisins) qui opère principalement sur une base bilatérale, au lieu de réaffirmer dans la pratique la nécessité d'une plus grande régionalisation des débats, des politiques et des processus de décision pour pouvoir relever les défis pressants communs (à l'échelle régionale).
D'un terrain technocratique à une arène politique. Au cours de ces dernières années, l'UpM ainsi que les autres politiques de l'UE à l'égard de la région ont été dépolitisées. Tandis que ces dernières suivent un cheminement logique en vue d'adoucir les relations avec certains pays partenaires du sud de la Méditerranée, on recherche par ailleurs de plus à plus à promouvoir le dialogue régional sur des questions liées à la politique et à la stabilité. L'organisation d'un sommet n'étant pas envisageable pour l'heure, il pourrait y avoir néanmoins la possibilité de renforcer le dialogue politique stratégique au niveau des réunions des hauts fonctionnaires, en convoquant des réunions du Comité permanent conjoint à Bruxelles[5], en renforçant le mandat de l'AP-UpM et en organisant des réunions ministérielles informelles, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU), afin d'optimiser le débat politique et le processus de décision.
Une feuille de route pour l'action de l'UpM : un marteau pour briser le plafond de verre de 2008. Le paysage régional de l'époque à laquelle les déclarations de Paris et de Marseille ont été adoptées n'a pas grand-chose à voir avec celui de 2017. L'approbation de la feuille de route lors de la dernière réunion ministérielle à Barcelone constitue un bond en avant significatif dans l'alignement des priorités de l'UpM sur celles fixées par la Stratégie globale de l'UE, et plus particulièrement dans la révision de la PEV de 2015. Toutefois, la mise en œuvre pratique de la feuille de route dans des domaines comme la migration, la mobilité et la prévention de l'extrémisme et du terrorisme doit être suivie attentivement afin d'éviter que la feuille de route ne devienne une stratégie de la "coquille vide", au lieu d'un moteur politique efficace.
La transition en douceur des directeurs généraux du secrétariat. Le tournant le plus critique de l'UpM sur le plan institutionnel à court terme est le remplacement de son actuel directeur général, dont le mandat prend fin avant l'été 2018. L'échec n'est pas permis et il ne sera pas facile de trouver un remplaçant qui s'avère aussi doué et compétent que l'actuel directeur général et qui satisfasse aux critères politiques. Le poste reste très disputé.
Le manque de personnel et de moyens du secrétariat de Barcelone. En dépit de progrès considérables dans ce sens, notamment l'annonce récente de l'attribution par l'Agence suédoise de développement international (ASDI) d'un fonds pluriannuel de 6,5 millions d'euros pour soutenir les activités centrales de l'UpM, ce n'est un secret pour personne qu'un secrétariat purement opérationnel avec 47 projets retenus à l'échelle régionale doit être équipé d'une meilleure infrastructure. Pour redorer le blason de l'UpM, il est donc absolument nécessaire de créer un mécanisme financier dédié (par ex. un fonds fiduciaire) pour pouvoir mettre en commun les ressources provenant de bailleurs de fonds intéressés, et de mettre en place un ensemble de règles plus souples permettant de recruter du personnel spécialisé de longue durée.
[1] Mitrany, David. The road to security, National Peace Council, Londres, 1944.
[2] Voir d'autres références dans le tableau 2 sur la communication conjointe "Révision de la politique de voisinage" et sur la stratégie adoptée "Une stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne".
[3] 26 novembre 2015 à Barcelone.
[4] http://ufmsecretariat.org/wp-content/uploads/2017/01/UfM-Roadmap-23-JAN-2017.pdf.
[5] Envisagé dans la Déclaration de Paris (2008), le Comité permanent conjoint est un organe qui réunit des représentants permanents d'ambassadeurs de l'UE, dont la mission est de réagir rapidement à toute situation exceptionnelle survenant dans la région et requérant la consultation des partenaires euro-méditerranéens.
Une version originale de cet article a été publié dans L'Annuaire IEMed de la Méditerranée 2017.
Source de l'article Huffpostmaghreb
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