L’Europe et la Méditerranée : Propositions pour construire une grande région d’influence mondiale


Face aux bouleversements que connaît la région, le défi du renouvellement se pose aux pays du Nord comme aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Pour le relever, le Comité d’orientation politique d’IPEMED propose, dans un rapport commandé en février 2013 par le président du Parlement européen, Martin Schulz, des pistes de réflexion et de collaboration concrètes pour construire une grande région intégrée, durable et solidaire. 

Dans le cadre des petits déjeuners d’IPEMED, Elisabeth Guigou et Abderrahmane Hadj Nacer, membres du Comité d’orientation politique d’IPEMED, sont revenus sur les enjeux d’un partenariat renouvelé entre pays méditerranéens, exposés dans ce rapport intitulé « L’Europe et la Méditerranée : propositions pour construire une grande région d’influence mondiale ». Ces travaux avaient fait l’objet, en avril 2013, d’une présentation devant la Commission politique de l’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée (AP-UPM). 

Un moment charnière pour la Méditerranée

Introduisant la rencontre, Agnès Levallois a rappelé que la Méditerranée se trouvait à un moment charnière de son histoire. Les sociétés du Sud se sont, après des décennies d’autoritarisme, mises en mouvement pour contester l’ordre établi. C’est la question de la renégociation du pacte social et du modèle de développement économique qui se pose désormais. C’est aussi, pour les pays du Nord, un nouveau défi : celui du renouvellement du pacte qui les unit aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM). En effet, la relation qui liait les pays des deux rives de la Méditerranée n’a plus rien « d’automatique », l’Europe n’est plus le seul interlocuteur des PSEM, d’autres acteurs se tournent vers la région et tentent de tisser des liens avec ces pays. D’où la nécessité de repenser les relations entre l’Europe et la Méditerranée, d’apprendre à négocier avec des pouvoirs légitimes, issus des urnes, qui n’ont pas les mêmes agendas que les anciennes élites. Récemment encore, la « politique méditerranéenne », la « politique méditerranéenne rénovée », le « partenariat euro-méditerranéen » ou la « politique de voisinage » étaient associés à des projets pensés au Nord et imposés au Sud avec un seul objectif : celui de la construction institutionnelle d’Etat à Etat. Aujourd’hui, cette approche est dépassée et il est temps de la renouveler.

Elisabeth Guigou, ancienne ministre et présidente de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, rappelle que la dynamique impulsée par le processus de Barcelone, qui avait suscité un vif espoir en 1995, s’est vite essoufflée. Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire de rénover le partenariat entre les deux rives et de mettre en oeuvre ce grand projet de région méditerranéenne intégrée, durable et solidaire. Pour Elisabeth Guigou, le projet Euro-med est, pour les européens, une nécessité économique et politique. Au-delà, il relève d’une responsabilité historique. A défaut de construire ce partenariat, l’Europe sera « durablement fragilisée dans la mondialisation ». L’Europe a un rôle clé à jouer. L’engagement du Parlement européen et de son président Martin Schulz en faveur de l’Euromed doit à ce titre être salué. La première réunion, le 7 avril dernier, de tous les présidents des Parlements des pays membres de l’UpM à Marseille a été, à cet égard, un grand pas pour l’euro-méditerranée.

L’approche par les projets

Pour refonder ce partenariat euro-méditerranéen, Elisabeth Guigou rappelle que le rapport du Comité d’orientation politique d’IPEMED recommande une approche par les projets. Cette dernière est considérée comme un vecteur de compréhension et de coopération mutuelles tant dans le domaine de la santé, de l’agriculture et de l’agroalimentaire que de la gestion de l’eau etc. Elle a également appelé de ses vœux une intégration économique accrue, qui serait facilitée par la convergence des normes et la sécurisation des investissements, deux axes majeurs du rapport commandé par Martin Schulz. Les  « colocalisations », thème absolument central abordé lors des derniers déplacements des ministres et du Président François Hollande dans les pays du Maghreb notamment, s’inscrivent comme un élément incontournable du partenariat euro-méditerranéen.

Enfin, pour Elisabeth Guigou, la construction du partenariat euro-méditerranéen ne pourra se faire sans associer les sociétés civiles, qui joueront pour la première fois un rôle central. Tel est l’enjeu de la proposition de créer une conférence pour la solidarité et la coopération en Méditerranée. Il est en effet essentiel de « sortir de l’étatisme et du bilatéralisme » et de l’asymétrie du dialogue entre l’Europe et les PSEM. 

Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie et co-président du Comité d’orientation politique d’IPEMED, adhère à ce point de vue et complète cette vision en soulignant que la pression exercée par l’UE sur les PSEM afin qu’ils ouvrent leurs frontières commerciales – sans se soucier d’avancées sur d’autres aspects des politiques européennes, quant au respect des droits de l’homme notamment – contribue à répandre dans les PSEM le message « Oubliez l’Europe, tournez-vous vers l’Amérique ». 

Pour Abderrahmane Hadj Nacer, le principal défi de la construction du partenariat euro-méditerranéen sera celui du partage : partage des ressources en eau, des terres arables ; question de l’accès au sous-sol etc. Notamment, il est essentiel de redéfinir la notion de bien commun et les mécanismes de partage équitable de la rente, des progrès technologiques et de la création d’emploi également, Ce qui suppose de faire émerger une solidarité dans un contexte parfois hostile.

« Le droit à l’Etat de droit »

Selon le co-président du Comité d’orientation politique d’IPEMED, c’est la redécouverte des fondamentaux de l’Etat de droit qui a permis la renaissance de la Turquie, qui avait « sombré comme un pays sous-développé ». Le pays a su tirer partie des contraintes du complexe normatif européen pour instaurer un « Etat de droit », notion universelle selon A. Hadj Nacer, contrairement à celle de « démocratie ». L’Etat de droit devrait constituer le socle du partenariat euro-méditerranéen, quelle que soit la forme qu’il revêt. Les « transitions démocratiques » en cours, pour être qualifiées comme telles, devraient faire émerger des régimes plus respectueux des droits des personnes. 

Parmi les projets développés dans le rapport du Comité d’orientation politique, la création d’une banque méditerranéenne est centrale. En effet,  ce projet vise à créer des réseaux pour refaire circuler les fonds et lutter contre le fléau que constituent les détournements. Pour l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, les pays du Maghreb doivent absolument s’inscrire dans l’effort européen pour faire avancer la législation quant à la traçabilité des fonds, qui doit évoluer dans une dynamique Nord-Sud.

Des destins liés, un héritage compliqué

Les deux orateurs ont ensemble dénoncé la méfiance, voire la défiance, qui caractérise les relations euro-méditerranéennes. Ces dernières sont en effet marquées par la méconnaissance et la prégnance d’une approche de court terme qui ont entraîné méfiance au Nord et crispations identitaires au Sud. A. Hadj Nacer a déploré que ce cadre soit la trame de fond de tous les échanges entre pays du Nord et du Sud de la région. Pour eux, le passage d’une approche administrative des migrations à une approche économique des mobilités sera l’un des éléments déterminants du déblocage des relations entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. En outre, pour Abderrahmane Hadj Nacer, si l’industrie se déplace au Sud pour régler la problématique des migrations – par le biais de la colocalisation, de la création de chaînes de valeur entre le Nord et le Sud – le problème des comptes sociaux, de l’équilibre des comptes de la sécurité sociale pourrait être résolu concomitamment, ce qui impliquerait de parler de solidarité.
Compte rendu par Clarisse Boury - Source de l'article IPEMED

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