Est-ce parce qu'elle n'en est pas riveraine que l'Allemagne a toujours semblé se tenir relativement éloignée des problématiques du bassin méditerranéen occidental ?
Même au début du XXème siècle, lorsque la toute puissante diplomatie allemande entendait contrer les visée expansionnistes de la France et de l'Angleterre dans cette partie du monde, elle n'y enregistra que des déconvenues, à l'image de la singulière et finalement peu productive chevauchée de Guillaume II dans les rues de Tanger le 31 mars 1905 ou l'envoi de navires de guerre dans la baie d'Agadir en juillet 1911 qui n'empêcha pas l'établissement d'un protectorat français au Maroc mais qui fut à l'origine d'un accord entre Paris et Berlin aux termes duquel l'Allemagne gagnait des territoires... au Cameroun. Et c'est aussi pour allumer un contrefeu à la l'influence française en Afrique du nord, que l'Allemagne impériale jeta son dévolu sur les jeunes officiers qui voulaient changer la Turquie et entreprit en 1903 la mise en chantier du Bagdadbahnsous l'impulsion de la Deutsche Bank... Deux guerres mondiales, le processus de décolonisation ont naturellement totalement bouleversé le paysage géostratégique de la Méditerranée, sans parler des révolutions arabes....
Faire des déserts au sud de la Méditerranée des centres de proeuction d'energie solaire et éolienne
Au début des années 2000, un certain nombre de scientifiques, d'économistes d'Afrique du Nord, du Proche et du Moyen Orient, largement à l'initiative de la branche allemande du Club de Rome, ont commencé à élaborer un vaste projet de coopération internationale en matière d'énergie solaire baptisé TREC (Trans-Mediterranean Renewable Energy Cooperation), sur la base d'un constat, énoncé par le physicien allemand Gerhard Kniess : en six heures, les déserts reçoivent davantage d'énergie grâce au soleil que la consommation totale de l'humanité durant une année. Cette réflexion, en partie financée par le gouvernement allemand, devait donner naissance en 2009 à la Fondation Desertec ( présidée par Max Schön, un entrepreneur de Lübeck, également Président de l'association allemande du Club de Rome) qui se donnait pour objectif de construire dans les zones désertiques de la planète, en commençant l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, une infrastructure de production d'énergie solaire et éolienne destinée à être exportée en partie vers les pays du nord.
Il aura fallu cependant attendre que des industriels et financiers soutiennent cette idée, pour qu'elle commence à prendre une certaine substance. En octobre 2009, Desertec Industrial initiative (DII) voit le jour à Munich. Il s'agit d'un consortium réunissant de grands groupes industriels et financiers comme ABB, E-ON, RWE, Schott, mais aussi Saint-Gobain Solar,Abengoa Solar, ACWA ainsi que Deutsche Bank, HSH Nordbank et Munich Re. DII compte aujourd'hui une cinquantaine d'actionnaires et des partenaires techniques et scientifiques dont l'Institut Fraunhofer, le premier réseau de recherche et développement en Allemagne et probablement en Europe. Le but poursuivi par DII est clair : créer un nouveau marché pour les industriels allemands et européens des énergies renouvelables dans les pays du bassin méditerranéen et favoriser l'émergence d'un grand partenariat énergétique entre l'Europe, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. DII s'est fixé un certain nombre d'objectifs : installer d'ici 2020 des capacités de production d'électricité à partir des énergies renouvelables de 50 GW, construire leMedRing, un réseau haute tension sur tout le pourtour de la Méditerranée et étudier la faisabilité d'une ou deux connections entre l'Afrique du Nord et l'Europe. Pour les dirigeants de DII, les énergies renouvelables devraient fournir d'ici 2030, plus de 50% de la production d'électricité en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Depuis 2009, le directeur général de DII est Paul van Son, un spécialiste reconnu des questions énergéiques, ancien de Siemens, de Essent Energie Trading dont il dut CEO, ex-président de la fédération européenne des traders en énergie (EFET) et qui a créé une fondation dont il est président, Energy4All, qui entend notamment favoriser l'implantation des énergies renouvelables sur le continent africain.
Divergences stratégiques
Las....La gouvernance de ce projet visionnaire vient d'encaisser un coup assez rude. Le 1er juillet dernier, l'association Desertec annonçait la cessation de son partenariat avec DII, en raison de «désaccords insurmontables entre les deux entités en matière de stratégie », mais aussi, selon le communiqué officiel de Desertec, à cause du « style de management » de DII et de sa communication. En réalité, il semble que la cause première de ce divorce soit liée au fait que DII remet en cause le principe fondateur de Desertec, à savoir l'exportation d'électricité produite dans les zones désertiques vers l'Europe du nord. Pour une raison bien simple : contrairement à une idée reçue, l'Europe ne manque pas d'énergie solaire et les capacités de production au nord de la méditerranée, devraient largement suffire aux besoins. Sans parler des difficultés liées à la construction des infrastructures de transport des deux côtés de la méditerranée, mais aussi les obstacles de nature politique et réglementaire. Ainsi, le projet TuNur, qui prévoit l'exportation à partir de 2016, de 2GW d'électricité à partie des énergies renouvelables entre le Sahara et l'Europe, via une ligne haute tension entre la Tunisie et Rome, est pour l'instant au point mort.
Est-ce la fin de Desertec, comme beaucoup de commentateurs l'anticipent ? Il est probablement trop tôt pour être aussi formel. Les besoins de la Méditerranée en énergie sont patents, et c'est une région idéale pour y développer le solaire. Certes, la vision d'une association à l'approche généreuse et humaniste n'est pas toujours compatible avec les réalités objectives de l'économie et des affaires. DII (qui a enregistré ces derniers mois la démission de certains de ses actionnaires comme Siemens et Bosch) affirme qu'il continuera de promouvoir les énergies renouvelables dans les pays concernés et met en avant les accords de coopération conclus en 2011 avec l'Algérie, la Tunisie et le Maroc. Dans ce dernier pays d'ailleurs, la première pierre d'une centrale solaire de 160 MW opérée par le groupe saoudien ACWA Power, l'un des actionnaires de DII, a été posée en mai dernier. Le Maroc, où se tiendra d'ailleurs fin octobre la quatrième conférence internationale de DII, qui sera ouverte par le Suisse Bertrand Piccard, dont les bons offices seraient naturellement bienvenus pour réconcilier tous les acteurs du projet Desertec...
Par François Roche - Source de l'article La Tribune
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire