« Ben Ali est parti ». Je me souviens encore de ma vive émotion lors que j’ai appris la nouvelle. Il flottait alors un parfum d’irréel. Les Tunisiens venaient de mettre fin à vingt-trois ans de dictature autoritaire et kleptocrate d’un homme. Ils ont alors entamé un livre dont les peuples méditerranéens n’ont toujours pas fini d’écrire les pages.
Au rythme de soubresauts politiques, de risques pour la démocratie, d’avancées pour les citoyens, les contradictions s’entrechoquent dans une période de transition qui reste une formidable aventure humaine, collective et sociale.
L’essentiel est toujours là car les Tunisiens ont leur avenir encore entre leurs mains. Il dépend d’eux d’abord, et aussi des coopérations concrètes que nous engagerons avec la Tunisie. Beaucoup a déjà été dit et écrit à ce sujet. Mais c’est un autre sujet qui me préoccupe aujourd’hui : la réussite de la révolution tunisienne dépend de l’image qui en est donnée. Lors de mon récent déplacement à Tunis et à Sousse, nombreux ont été mes amis tunisiens et français, établis sur place, à me faire part de leur colère en réaction à des reportages dépeignant systématiquement une Tunisie dominée par le conservatisme religieux le plus intolérant. Nous ne mesurerons jamais assez l’effet démobilisateur de tels traitements médiatiques sur ceux dont, justement, nous partageons les convictions d’ouverture et de progrès social. Il est temps que nous cessions de projeter nos propres peurs et fantasmes sur des situations que nous ne connaissons que trop mal.
J’invite les tenants du fameux « hiver islamiste » à encourager les aspirations démocratiques et sociales qu’expriment des millions de citoyens plutôt que de verser dans l’arabo-pessimisme permanent.
Il ne s’agit pas de nier les dérives et les dangers ; au contraire, il faut être aux côtés des artistes embastillés, des femmes intimidées, des démocrates déconsidérés. Mais la Tunisie profonde, la Tunisie réelle, c’est aussi une Tunisie attachée tant aux acquis de l’ère Bourguiba (une République moderne et un État fort) qu’aux acquis de la Révolution (et en particulier de la liberté d’expression).
La Révolution tunisienne nous est plus familière que nous le croyons et Serge Moati l’a parfaitement montré dans son récent film Méditerranéennes. Elle s’inscrit d’abord dans une séquence historique ouverte en 2009 par les citoyens iraniens. Depuis, partout autour de la Méditerranée, des peuples que leurs gouvernements paternalistes, avec la complicité des dirigeants du monde entier, n’avaient cessé de considérer comme mineurs, se sont emparés avec force de leur propre souveraineté.
À vrai dire, pour l’imaginaire français qui est le mien, la Révolution tunisienne est un triptyque presque parfait. Par l’affirmation politique du peuple, on retrouve notre Révolution de 1789. Les revendications économiques et sociales, déjà prégnantes durant les Grèves de Gafsa en 2008, renvoient quant à elles à 1848. Enfin, la lutte toujours vivace pour la liberté d’expression trouve son équivalent dans 1968.
Malgré les défis encore à relever pour la Constituante — notons l’exemplarité démocratique de la Révolution tunisienne qui est la seule à s’être dotée d’une telle assemblée ! —, les inquiétudes sécuritaires et les enjeux socio-économiques non-résolus, il ne faut pas douter des formidables ressources dont dispose le peuple tunisien, son État, sa jeunesse, ses artistes et son salariat. Le renforcement des capacités de la société tunisienne est justement tout l’enjeu pour la coopération française. Par-delà nos mémoires apaisées par des gestes symboliques forts*, s’appuyant sur notre langue commune conquise par les Tunisiens, notre pays doit peser de toutes ses forces et ouvrir la voie à un renforcement du projet méditerranéen. Cela passe notamment par la relation entre les sociétés civiles et les diasporas tunisiennes et françaises ; cela passera aussi par une stratégie concertée de multi-localisation des emplois et de développement partagé ; cela passera également par une autre politique de mobilité et de circulation des personnes.
C’est le sens que revêt le déplacement présidentiel du 4 et du 5 juillet. Au-delà des vicissitudes des scènes politiques, il s’agit de sceller l’amitié franco-tunisienne et de l’ancrer des projets économiques, culturels et politiques concrets. De la réussite de la Révolution tunisienne dépendra aussi l’avenir de toute la région. Plus que jamais nous devons nous tenir aux côté des Tunisiens.
* À l’instar de l’hommage qui sera rendu par le Président de la République à Farhat Hached, figure historique du syndicalisme tunisien.
Par Pouria Amirshahi, député socialiste de la 9ème circonscription des Français établis hors de France - Source de l'article Pouriaamirshahi
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