Existe-t-il un droit public méditerranéen ? À quoi servirait une telle recherche ? C'est autour de ces questions que s'est tenu le 1er colloque international du Laboratoire méditerranéen de droit public (LMDP), créé à l'Université du Maine en France par le Pr Mathieu Touzeil-Divina, colloque qui s'est tenu à l'Université Muhammed V à Rabat avec la participation de plus de quarante spécialistes de plus de dix pays méditerranéens.
Le colloque se déroule à une période où nous vivons « une crise humanitaire d'une dimension nouvelle et l'exigence d'un nouveau débat » (Lobah Jochen, Fondation Hanns Seidel). Il faudra surtout « contextualiser les approches » (Nicoletta Perlo, France), opération qui peut s'avérer « ambitieuse et périlleuse » (Theodora Papadimitriou, Grèce). Il s'agira, dans une perspective de paix et de durabilité que symbolise l'olivier dans l'emblème du LMDP, de « partager, comprendre et comparer » (Mathieu Touzeil-Divina, France, fondateur du LMDP) dans la perspective de l'État de droit constitutionnel, la Constitution ayant été qualifiée par l'un des intervenants « d'autobiographie d'un peuple ».
Il ressort de plus de vingt communications et des débats trois perspectives.
1. Exigence d'acculturation et d'appropriation du droit : on a généralement tendance à exagérer l'apport et l'influence du colonialisme dans les processus constituants. L'autorité mandataire ou coloniale, d'après la genèse historique des travaux préparatoires, a souvent cherché à prendre en compte les spécificités nationales. Des défauts d'adaptation découlent de la culture dominante sur l'État-nation, l'intégration, la participation politique et la gestion du pluralisme religieux et culturel. On souligne que « l'État-nation a toujours été concurrencé » (Sarah Cassella, France). L'exemple du Conseil des notables au Maroc dans le projet de Constitution de 1908 (Amine Benabdallah, Maroc) montre les origines autochtones du constitutionnalisme. Des approches historiques permettent à travers des travaux anthropologiques d'enfoncer « des univers historiographiques verrouillés », notamment à la lumière de l'ouvrage Soldats, domestiques et concubines (Mohammad Ennagi, Maroc).
L'acculturation du droit et son appropriation dans la conscience collective évitent de « basculer dans une postmodernité plus nuisible que le sous-développement » (Amal Mecherfi, Maroc) et assurent aux dispositions juridiques leur pleine effectivité (Neila Chaabane, Tunisie).
2. Dépoussiérer nombre de concepts : à un moment où des Constitutions en Méditerranée orientale cherchent à conformer les nouvelles Constitutions aux normes de l'État de droit, l'expression « religion d'État », qui n'a aujourd'hui qu'une signification historique bien éculée, se poursuit, par paresse intellectuelle, dans des travaux académiques. Le mot État (dawla), au sens du gouvernement, n'existe pas dans le Coran. Le verset du Coran : « Pas de contrainte en religion » (lâ ikrâh fî-l-dîn) est d'ailleurs fort explicite, le recours à la contrainte étant le monopole exclusif de l'État. Certes, les religions et les grandes philosophies sont la source valorielle du droit, mais la source exécutive du droit est la loi positive émanant d'un Parlement élu à travers des élections justes et équitables et dont l'application relève d'une magistrature indépendante.
Nombre de dispositions constitutionnelles nouvelles dans le monde arabe montrent « l'évacuation de la religion du champ politique, dont l'interdiction de constituer des partis sur des bases religieuses » (Yelles Chaouch Bachir, Algérie). Des approches en termes de foi et de spiritualité, et non de dogmatisme clos, montrent que « celui qui approfondit sa religion touche au cœur des autres religions » (Baptiste Bonnet, France). On relève notamment la haute qualification de Libanais en droit international privé, parce qu'ils sont confrontés au quotidien au pluralisme (Pierre Delvolvé, France).
3. Perspectives pour demain : plus on avancera à l'avenir dans l'investigation sur le droit public méditerranéen, plus on se trouvera plongé dans l'anthropologie juridique, l'histoire du droit, la socialisation juridique, l'acculturation et l'appropriation du droit et du principe de légalité. On relève que dans certains pays, des sentences judiciaires rendues camouflent des problèmes juridiques de fond pourtant soulevés par les requérants (Yelles Chaouch Bachir, Algérie). On relève aussi la tendance à « l'économisation du droit administratif », avec des dérives quant aux principes fondamentaux (Amal Mecherfi, Maroc). Des problèmes de pratiques judiciaires sont exposés dont celui du « délai raisonnable » (Stavroula Ktistaki, Grèce). Les jurisprudences en Méditerranée font émerger aujourd'hui des standards communs, dont des jurisprudences normatives du Conseil constitutionnel libanais (Melina Elshoud, doctorante, France).
Dans la perspective d'un approfondissement ultérieur des travaux du LMDP, on relève la centralité de trois problèmes : la formation des États en Méditerranée, l'émergence du principe de légalité dans l'histoire du droit public et la notion d'ordre public qui n'est pas l'ordre de la majorité ni de la religion dominante.
Par Antoine MESSARRA (Membre du Conseil constitutionnel - Titulaire de la Chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, USJ)
Source de l'article l'Orient le Jour
* Le texte est une synthèse partielle du colloque du Laboratoire méditerranéen de droit public, Université du Maine (France), Rabat, 28-29/10/2015.
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