Nous assistons actuellement à de profondes évolutions dans les grands secteurs industriels, liées aux innovations technologiques rapides et à l’interconnexion de ces activités.
C’est ainsi que le « mariage » entre transports et logiciels a donné naissance à des applications comme Google Maps, Waze ou Uber, que nous utilisons pour aller d’un point A vers un point B.
Powerwall, la batterie lithium-ion rechargeable de Tesla qui stocke de l’électricité pour un usage domestique (pour les coupures de courant ou la maîtrise de la consommation), a bousculé les acteurs du stockage de l’énergie en augmentant la fiabilité des énergies renouvelables. Ce projet s’inscrit dans la vision encore plus ambitieuse d’Elon Musk qui entend permettre ainsi à un individu de s’affranchir du réseau électrique grâce à l’énergie solaire produite et stockée chez lui en lui offrant 24 heures de consommation, y compris pour recharger sa voiture électrique. Cela rappelle la révolution des télécoms, avec l’apparition des téléphones portables et des smartphones, qui a entraîné une chute très nette de l’utilisation des réseaux téléphoniques et des lignes terrestres.
Si l’on peut affirmer que le secteur des nouvelles technologies énergétiques constitue un marché de niche, concentré dans des bulles high-tech comme la Silicon Valley, Londres, Tel-Aviv et Pékin, la réalité est légèrement différente. Valorisé à 50 milliards de dollars cinq ans seulement après son lancement, Uber touche désormais toutes les grandes villes de la planète et transforme les rapports du citadin à ses moyens de transport en faisant évoluer le concept du déplacement urbain.
Agir au lieu de subir
Nous sommes entrés dans l’ère du transport 2.0, où l’individu cesse d’être un consommateur passif pour peser activement sur le devenir du secteur. Une révolution de ce type a déjà eu lieu avec l’internet 2.0, les médias sociaux remplaçant la diffusion traditionnelle d’informations. Ne sommes-nous pas tous devenus journalistes avec Twitter, réalisateurs avec YouTube et photographes avec Instagram ?
L’ère de l’énergie 2.0 a commencé. Indépendamment des Tesla Energy, SolarCity, Google ou autre groupe « perturbateur », dont les nouvelles technologies énergétiques seront bientôt viables commercialement et appelées à inonder les marchés, la révolution de l’énergie est déjà en marche dans certains pays du monde.
En 2011, Nest a présenté son thermostat Wifi, pilotable à distance et intelligent qui permet d’alléger sa consommation énergétique. Début 2014, la société a indiqué vendre entre 40 et 50 000 thermostats de ce type par mois et prévoit d’en écouler encore plus à terme. Selon l’Energy Information Administration (EIA), aux États-Unis, l’État de Californie arrivait en tête du nombre de véhicules électriques en 2013, avec 70 000 voitures électriques et 104 000 voitures hybrides rechargeables.
Alors qu’aux États-Unis, la tendance depuis dix ans était à la construction de fermes solaires à échelle industrielle, on observe depuis quelque temps un changement d’attitude, les consommateurs se mettant en quête d’installations individuelles. Au premier trimestre 2015, pratiquement la moitié des nouvelles capacités installées dans le pays fonctionnaient à l’énergie solaire, les ménages constituant l’une des principales structures de production. Si cette tendance devait se maintenir, le besoin d’infrastructures solaires à grande échelle diminuerait à mesure que se réduira la dépendance vis-à-vis des centrales électriques.
Mais qu’en est-il pour les économies du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), qui reposent sur les hydrocarbures et n’ont pas ce profil high-tech ? Comment y introduire ces technologies énergétiques perturbatrices ?
Et de fait, à moins de prendre des dispositions adaptées en temps voulu, les perspectives paraissent assez limitées. Pour certains pays de la région MENA, les hydrocarbures constituent toujours le pilier de l’économie, en dépit des tentatives de diversification. En Iraq par exemple, les exportations de pétrole ont représenté 90 % des recettes de l’État et 80 % des entrées de devises en 2014. Au Koweït, les recettes pétrolières représentent plus de 65 % du PIB et 96 % des revenus d’exportation. L’économie saoudienne est fondée sur le pétrole, qui constitue 80 % des recettes publiques, 45 % du PIB et 90 % des entrées de devises. Quel impact aura sur les pays riches en pétrole et en gaz une baisse de la consommation mondiale des énergies fossiles à mesure que les ménages se convertiront aux technologies alternatives, par souci écologique certes, mais aussi par volonté d’économiser, de gagner en indépendance et de changer de mode de vie ?
La force des aspirations
Le mode de vie et le prestige peuvent se révéler être des motivations plus puissantes que les justifications économiques. Si la théorie économique classique stipule que l’individu agit dans son propre intérêt dès lors qu’il comprend les conséquences de ses choix économiques, l’économie comportementale suggère quant à elle que l’individu n’est pas aussi rationnel qu’on voudrait bien le penser et que, dans la réalité, il prend des décisions contraires à son intérêt.
En 2012, le Daily Mail racontait comment un jeune Chinois de 17 ans avait vendu un de ses reins pour s’acheter un iPhone et un iPad. Apple est devenue une marque qui fait rêver et chacun veut s’acheter ses produits, qu’il en ait ou non les moyens, y compris dans les couches urbaines pauvres de Chine, comme l’indique Fortune en 2015. Tandis que l’objectif ultime d’Uber est de ramener à zéro le nombre de propriétaires de voiture, il est déjà en train de faire des émules, certains automobilistes renonçant à utiliser leur véhicule en ville pour faire appel à ses services. La batterie Powerwall de Tesla sera-t-elle le prochain produit que les ménages s’arracheront pour se détourner du réseau électrique ?
Un certain nombre de difficultés se profilent effectivement à l’horizon pour les économies de la région MENA tributaires des hydrocarbures mais leurs gouvernements peuvent anticiper les conséquences négatives du point de basculement qui transformera le secteur de l’énergie. En adoptant rapidement les nouvelles technologies énergétiques et en investissant dans la recherche et le développement au service d’une vision de long terme, les autorités pourraient faire l’économie des lourds investissements dans les infrastructures énergétiques conventionnelles, réduire le poids des subventions à l’énergie, et atténuer ce faisant un éventuel ralentissement de l’économie.
En 2014, le Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA avait identifié l’existence de corrélations positives non linéaires entre le prix des carburants et la croissance du PIB par habitant. L’analyse montre que même si l’on peut craindre à court terme les répercussions économiques d’une hausse du prix de l’énergie, la croissance s’améliore considérablement à moyen et long terme, en particulier grâce à une meilleure intensité énergétique. Les subventions à l’énergie (électricité, gaz naturel et produits pétroliers) de la région MENA représentent 48 % du total des subventions mondiales — un record absolu. Dans les pays exportateurs d’hydrocarbures (Arabie saoudite, Iran et Iraq par exemple), elles dépassent les 10 % du PIB. D’après le FMI, les subventions à l’énergie avant impôt au Moyen-Orient ont coûté quelque 237 milliards de dollars en 2011, soit l’équivalent de 8,6 % du PIB de la région et de 22 % des recettes publiques.
En réorientant ces sommes considérables vers des investissements dans les nouvelles technologies énergétiques et la recherche et développement, les pouvoirs publics pourraient atténuer le risque de récession économique et d’instabilité politique. Face à l’évolution du secteur de l’énergie, dont les conséquences nous concerneront tous, le moment est venu de faire preuve d’inventivité.
Par Reem Muhsin Yusuf - Source de l'article Blog Banque Mondiale
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire